25/03/2010
Après le postmodernisme ?
Le postmodernisme est né à la fin des Trente Glorieuses, quand les publicitaires découvrant qu'ils n'avaient plus rien à dire des produits dont les annonceurs leur confiaient la destinée, se sont décidés à qualifier ... les acheteurs de ces produits.
Avant, on achetait une DS pour le plaisir, voire ce que Barthes nommait "une gourmandise de la conduite" ! A partir des années 70, les cadres se ruèrent sur les BMW pour affirmer leur réussite sociale, comme le constatera Baudrillard : "Les objets [...] ne "désignent" non plus le monde, mais l'être et le rang social de leur détenteur".
Le modernisme - même si le terme ne sera guère utilisé que rétrospectivement - fût l'époque de ces annonces vantant un progrès très concret : celui du "Avec Génie, je ne fais plus bouillir", celui des premiers réfrigérateurs, des premiers hypermarchés regorgeant de produits quasi magiques.
Le postmodernisme, sera l'âge d'une consommation désabusé, où le progrès ne sert plus vraiment les individus, mais leur permet juste de se différencier les uns des autres : on n'achète plus un téléviseur Sony parce qu'offrant une meilleure image, mais simplement parce que c'est ... le plus cher du marché !
Le postmodernisme, sera l'époque où tous les produits se ressemblent - Clio, Fiesta, Corsa, etc., comment les différencier - et où des consommateurs blasés se rassurent en payant plus cher, jusqu'à la caricature quand Séguéla déclare : "Si on n'a pas de Rolex à 50 ans, on a raté sa vie".
Le postmodernisme aurait pu durer longtemps - aussi longtemps que les publicitaires verrouillaient la communication marchande : la puissance du média télévisuel les y aidait grandement ... sauf que le jour où Le Lay déclarait vendre à Coca-Cola "du temps de cerveau humain disponible", le tonneau des Danaïdes s'était réellement mis à fuir de partout.
Comme l'annonçaient dès 1999 les rédacteurs du Cluetrain Manifesto, "les marchés sont des conversations" : à côté du verticalisme de la publicité médias, naissait une communication citoyenne, horizontale, entre pairs.
Et les gens se sont tranquillement mis à discuter des produits et des marques qu'ils achetaient, non plus en en termes de signes, mais de réels bénéfices - et cela tombait bien, depuis un quart de siècle que leur pouvoir d'achat s'érodait (les revenus salariaux n'ont pas progressé en France depuis 1980).
Dès lors, ils allaient distinguer les vrais progrès des faux ... car bizarrement avec Internet, fixe ou mobile, notre société s'était remise à avancer : alors que les publicitaires s'évertuent toujours à parler de signes, les consommateurs parlent d'usages ; il semblerait même que certains retrouvent un certain plaisir à consommer - utilement, s'entend - comme ce fut le cas de leurs parents et grands parents dans la France de l'après guerre.
Retour vers le modernisme ?
Chronique préparée pour, et également publiée dans Influencia.
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23/03/2010
Peter Gabriel à Bercy
Peter Gabriel à Bercy, une occasion à ne pas manquer : j'ai réservé mes places dès la veille de ... Noël !
J'ai réservé mes places, sans trop savoir à quoi m'attendre, Peter Gabriel n'ayant rien sorti de réellement nouveau depuis le somptueux Up - mais datant quand même de 2002 !
Et voilà que sort Scratch my Back, c'est l'évènement, même France Inter en parle au journal de 8 heures !
Catastrophe : une compilation de guimauve, où il reprend les plus belles chansons des plus grands - de Bowie à Radiohead, en passant par Lou Reed et Neil Young - en les assaisonnant à la sauce grand orchestre philharmonique !
En les assaisonnant ou en les assassinant ? Aucune créativité, tout a le même goût : insipide !
Et si c'était ça, Gabriel à Bercy ?
Gagné : ce fut ça ... en partie.
Enfin toute la première partie : le Philharmonique de Radio France (ce qui explique certainement la pub sur Inter) qui nos sert une bouillie de Heroes - pauvre Bowie ! Le chanteur s'économise la voix, rien ne porte, il semble ailleurs, le regard en biais sur ses notes, comme s'il avait peur d'avoir oublié les paroles des chansons qu'il ... interprète ?
Se sauver à la pause ? Je patiente ...
Seconde partie : et là, miracle, ça part sur les chapeaux de roue !
Plus d'antisèches, Gabriel arpente la scène, se démène comme un diable et enchaine les tubes, avec un Solsbury Hill envoutant et surtout un Don't give up à vous glacer le sang : Kate Bush où es-tu ?
Et puis arrive un élégant Youssoun' Dour en chemise blanche, et hop : In Your Eyes.
J'aurais bien aimé déguster un vieux Génésis, juste pour me rappeler le premier concert où j'ai aperçu un Peter Gabriel avec des cheveux super longs et une raie de plusieurs centimètres de large, sur fond de flammes et de fumée, les bras croisés ... plus de cheveux aujourd'hui, reste cependant un goût incontesté et incontestable pour le spectaculaire et les jeux de lumière.
Bref, on bon moment.
Dans bien des concerts, on nous offre une première partie un peu merdique, histoire de patienter, chauffer la salle : Peter Gabriel aura assumé les deux rôles ...
Strauss après Strauss : après les laborieuses et ennuyeuses valses de Johann, le puissant Ainsi parlait Zarathoustra de Richard - je n'aime vraiment pas les petites valses de Vienne !
Et pourtant, malgré la qualité de la seconde partie, tout cela manquait sérieusement de punch : le chef d'orchestre a bien essayé de redonner un peu de tonus à grand coups de timbales ... mais, bon, ce n'était vraiment pas ça !
Le rock, même progressif, reste une musique de guitares et de batteries : Moody Blues, Procol Harum, Pink Floyd se sont aussi frottés aux orchestrations classiques ... mais sans pour autant abandonné leurs propres instruments. En fait, les orchestres symphoniques ou philharmoniques remplaçaient les habituels mellotrons d'alors, ou les synthétiseurs d'aujourd'hui
Pourquoi les rockeurs sur le tard auraient-ils besoin de la légitimité des orchestres classiques, alors que pour moi le rock, progressiste ou non, tout comme le trip hop ou le jazz, possèdent une légitimité bien aussi forte que le classique.
Heureusement.
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16/03/2010
Le coup de cœur de la semaine
Je ne relaie que rarement les créations publicitaires que l'on m'envoie, mais parfois une exception s'impose comme celle réalisée par BDDP & Fils pour la Fondation Abbé Pierre : si le printemps tarde cette année - j'en ai encore les pieds gelés -, qu'il pleuve ou qu'il vente, les expulsions vont reprendre !
C'est le coup de cœur de la semaine.
19:35 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
15/03/2010
Votre prose nous intéresse
Le Web 2.0 est le lieu de toutes les générosités, de tous les désintéressements ... et de tous les profiteurs.
Il y a ceux qui créent spontanément pour le bien de tous, à la base de tous les UGC, les rédacteurs de Wikipédia, les blogueurs, les vidéastes qui enrichissent les réseaux sociaux, etc.
Il y a ceux qui offrent à ceux qui souhaitent s'exprimer des espaces dédiés à cet effet, comme Agoravox qui souhaitait transformer tout citoyen qui le souhaitait en journaliste indépendant.
Bien sûr, générosité ne signifie en aucun cas naïveté, et ce dans les deux sens.
Les ados qui créent leur blog sur la plateforme de Skyrock acceptent volontiers la publicité qui finance le réseau : chacun prend ses risques, à sa mesure, le blogueur qui passe ses soirées à peaufiner ses posts et l'éditeur qui lui offre les outils nécessaires à son expression.
Le succès du Web 2.0, ce sont des pages blanches que de courageux entrepreneurs mettent à la disposition de potentiels créateurs ... mais qui peuvent bien désespérément rester vierges, voire se vider brutalement de contenus si des internautes un peu trop versatiles quittent le navire avant même qu'il navigue à l'équilibre financier.
Et puis, il y a les profiteurs, ceux qui attendent que les blogueurs aient fait leur preuve pour leur quémander leurs papiers.
"Suite à la découverte de votre blog, je me permets de vous contacter car j'aimerais vous faire découvrir Paperblog, un service de diffusion dont la mission est d'identifier et valoriser les meilleurs articles issus des blogs".
La gloire, enfin ? Pas sûr.
Car Paperblog ne va pas ouvrir ses pages à des blogueurs débutants : pas vraiment de prise de risque de leur part.
"En proposant votre blog sur Paperblog, chaque article sera associé à votre blog via un lien vers l’article original et associé à vous via votre nom et votre fiche Auteur".
Ce qui est sûr, c'est que si vous recopiez un de vos papiers sur Paperblog, vous disparaîtrez immédiatement de Google, du moins pour le dit papier : en effet, le moteur de recherche supprime les doublons pour faciliter la lecture de ses utilisateurs ; et comme Paperblog, somme de centaines de blogs, disposera toujours d'un PageRank supérieur à ceux des blogs qu'il recopie (et qui pointent vers lui), c'est le blog du pigeon qui disparaît de l'index !
D'où cette question : "Comment s'effectue le partage des revenus publicitaires (votre onglet Shopping) avec les rédacteurs ?"
Ben oui : c'est le travail d'une multitude d'anonymes qui permet à Paperblog de gagner de l'argent en privant les blogueurs naïfs de visibilité !
Je dis bien naïf, car le mail envoyé par ce site laisse supposer l'inverse : "Parmi la masse d’informations créées chaque jour sur les blogs, il existe en effet des pépites difficilement accessibles pour le commun des internautes. Nous souhaitons donc donner une plus grande visibilité aux meilleurs articles".
Et on se plaît à se rêver "pépite" ... alors que l'on a déjà fait ses preuves et que l'on offre son travail la tête inclinée comme les Bourgeois de Calais.
Et que répond ma correspondante à ma demande ? En très bon jargon : "En effet des articles de blogueurs inscrits au service seront possiblement lus via Paperblog en plus des lectures du blog original. Ainsi les articles des membres seront nécessairement plus lus sans que cela ne veuille dire qu'il y aura nécessairement plus de lectures uniquement sur le blog original. De cette façon, nos auteurs partenaires ne sont pas rémunérés".
Circulez, il n'y a rien à voir !
On n'est pas très partageux, chez Paperblog.
Mais comme je ne suis pas rancunier, je leur offre même une page de publicité. Gratuite. Comment, ce n'est pas une bonne pub ?
21:21 Publié dans Un peu de bon sens | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
11/03/2010
Enquête à Barbès : l'interview
Emmanuelle Lallement, dont j'annonçais ici la sortie de son dernier livre, a bien voulu répondre à mes questions sur son intérêt pour les espaces commerçants, entre marketing et ethnologie, ou plutôt à la rencontre du marketing et de l'ethnologie.
MarketingIsDead : Qu'est-ce qui t'a conduit à t'intéresser à Barbès ?
Emmanuelle Lallement : Je travaillais déjà, en tant qu’ethnologue, sur la ville et les formes marchandes qui s’y développent, à Paris et ailleurs dans le monde. Je souhaitais analyser la manière dont le commerce façonne la ville, lui donne sa couleur, participe à son identité.
Barbès est un lieu que tout le monde connaît plus ou moins, typiquement parisien et cosmopolite. Mais Barbès c’est aussi l’archétype du commerce populaire représenté par les magasins Tati qui sont sans doute les précurseurs du discount. Un monde marchand aussi intéressant pour moi que celui du luxe.
MarketingIsDead : Le regard d'un ethnologue, c'est un regard extérieur : en quoi ce regard extérieur peut-il nous renseigner sur notre société ?
Emmanuelle Lallement : L’ethnologue travaille sur des situations ordinaires, sur ce qui constitue le familier et le quotidien de nos vies. Par l’enquête de terrain de longue durée, il cherche à saisir le point de vue interne d’une situation.
Il fait le pari qu’en observant minutieusement les lieux, les interactions sociales, en saisissant les paroles en acte, il peut comprendre les logiques, souvent implicites, que nous suivons tous dans les situation de notre quotidien.
MarketingIsDead : En quoi l'ethnologie peut-elle se révéler utile au marketing ?
Emmanuelle Lallement : On entend beaucoup parler d’ethnologie dans le marketing, depuis les méthodes ethnographiques qui sont utilisées pour observer des comportements d’achat jusqu’à l’approche anthropologique de la consommation, en passant par l’ethno-marketing qui intègre les dimensions interculturelles.
Beaucoup d’approches, de méthodes, de perspectives, quelquefois réalisées par des ethnologues de formation, quelquefois improvisées.
Pour ma part je considère que si l’ethnologie peut être utile au marketing, c’est précisément pour saisir et comprendre tout ce qui, dans les relations d’échange, échappe au marketing.
08:44 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |