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03/04/2007

L’illusion du futur ou l’impossible imaginaire

medium_Fabriquerfutur2.2.jpgPetite contribution à Fabriquer le futur 2, seconde édition du livre de Pierre Musso, Laurent Ponthou et Eric Seuilliet, dont je vous ai déjà annoncé la récente sortie en librairie.*

Impossible à la fin des années quatre-vingt dix d’évoquer les écrans plats au cours d’une quelconque réunion de consommateurs sans que tout le monde ne s’extasie : « Extraordinaire, on baignera dans l’image, on sera au cœur des films ».

Impossible deux ou trois ans plus tard, d’aborder le même sujet sans que revienne de manière récurrente l’angoissante image de 1984 d’Orwell : « C’est un peu comme si la télévision nous suivait partout, on n’est plus vraiment libre de ses loisirs ».

Aujourd’hui, les consommateurs qui achètent des écrans plats n’achètent simplement que… des téléviseurs moins encombrants, un point c’est tout : en quelques années, on est passé de la fascination absolue à un étrange malaise – pour sombrer aujourd’hui dans la plus grande banalité des usages.

A chaque fois, les futurologues se sont bien évidemment laissés piéger : l’imaginaire que nous révèlent toutes les études qualitatives prospectives – en groupes ou individuelles – ne reflètent en réalité que les attentes, espérances, angoisses et désillusions des interviewés face… à leur présent : en 1998, c’était l’euphorie de la Nouvelle économie, et en 2002, le stress d’une crise mondiale sans précédent. Autant d’affects qui suintaient sur le quotidien des Français, les rendant euphoriques avant de les déstabiliser. Et pourtant !

Et pourtant, le futur apparaissait si prévisible : les grandes innovations – la téléphonie mobile, Internet – étaient déjà connues, voire maîtrisées par bon nombre d’entre nous, et l’avenir s’inscrivait dans une simple logique d’évolution : de plus en plus de services sur nos terminaux portables, le commerce traditionnel basculant pour partie en ligne, et le bras de fer grandissant entre les majors de l’édition musicale et les enfants de Napster.

Mais les nouvelles technologies ne changeaient en rien les schémas ancestraux de l’Information et de la Communication en nos sociétés occidentales : le téléphone mobile, c’était le téléphone sans un fil à la patte, Internet, plus de connaissance et plus vite ; mais TF1.fr parlait comme TF1, et tous les sites médias comme tous les mass médias traditionnels : one to many !

Peut-être la plus grande révolution – et la plus grande surprise – vient-elle des… SMS, ces petits messages personnels, si pauvres, auxquels aucun marketer – et bien sûr aucun ingénieur – n’accorda alors la moindre attention, mais qui préfiguraient le développement d’une communication asynchrone : « Je dis à mon copain que je pense à lui, sans me condamner à passer dix minutes avec lui à parler de tout et n’importe quoi ». Non, pour les gens des télécoms, l’avenir s’inscrivait dans une profusion de messages et d’interactivité : c’était le Wap, dont le succès ne fut hélas pas au rendez-vous !

Mais le développement de l’asynchrone – de l’interactif pauvre – rompait – et rompt encore – toute une logique d’évolution : dès lors, le futur devient inenvisageable, du moins pour la quasi-totalité de la population – excepté peut-être une frange marginale d’experts…

L’asynchrone des SMS apporta les premiers signes d’une violente rupture qui s’amplifie de jour en jour et que Tim O’Reilly a baptisée Web 2.0 : fin des mass médias et passage du one to many au many to many ; horizontalité, et non plus verticalité de la communication ; et bien sûr participation du plus grand nombre et systématisation de l’asynchrone.

Et là, les usages vont beaucoup plus loin que les imaginaires.

Les imaginaires se construisent dans la durée : nous pénétrons dans le champ des inconscients collectifs, de la psychanalyse de Jung, dans l’élaboration d’archétypes. Les usages sont instantanés, instinctifs et volatiles ; et d’autant plus instantanés, instinctifs et volatiles que ce sont souvent les plus jeunes qui les initient.

D’où le succès, après les SMS, de plateformes de blogs comme celle de Skyrock et de sites communautaires comme MySpace, qui mettent à bas les fondements de l’économie traditionnelle… précipitant la chute de la presse quotidienne française, déstabilisant durablement les majors de l’industrie musicale.

Depuis des années, les citoyens ne croient plus à l’objectivité des médias nationaux – les plus critiques à cet égard étant les lecteurs de la presse nationale, les autres se contentant des journaux télévisés ; et voilà que les blogs leur apportent une information – et surtout un commentaire sur cette information – estimé plus honnête : à quoi bon continuer à s’abonner à Libération ou au Monde ?

Concernant la musique, le bras de fer entre les majors et les sites de P2P ne s’est pas résolu par la victoire d’une partie sur l’autre, mais par l’émergence d’un nouveau modèle où la promotion passe par la mise à disposition gratuite des nouveaux morceaux sur Internet, indépendamment de toute opération de marketing traditionnelle : et c’est ainsi que les Artic Monkeys ont fin 2005 inscrit leur premier single en tête des charts anglais – ce à quoi ni les Beatles,  ni les Stones n’étaient parvenus !

Qui aurait pu imaginer cela il y a encore un an ? Certainement pas les éditeurs, tout à leur lutte contre les pirates du Net ! En fait, personne.

Traditionnellement l’imaginaire des citoyens reflète au mieux leur présent – et certainement pas leur futur ; avec la montée en puissance de Web 2.0 et des pratiques qui y sont liées, la gageure prospective devient caricaturale. »

* Voir ma note du 03.03.2007.

 

02/04/2007

Minorités, innovations… et Poisson d’Avril

medium_poisson.jpgEt même un vieux Poisson d’Avril dont j’ai retrouvé la trace dans Libération ce matin : il date de 1998 et valut à Burger King des milliers de demandes pour le nouvel hamburger.*

A l’an prochain…

* Voir évidemment ma note du 1 Avril. 

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01/04/2007

Minorités et innovations

medium_Burger_King.jpgJe me suis assez souvent plaint de ces sociétés arrogantes qui soucient des petites infirmités de tout un chacun comme d’une guigne : ainsi ai-je longtemps pesté contre ces designers de sites Internet qui oublient qu’un Français sur 10 est daltonien.

C’est pourquoi je souhaite d’autant saluer ici l’initiative de la chaîne de restauration rapide Burger King, bien connue pour ses hamburgers Whopper, qui vient de lancer aux Etats Unis un Whopper pour gaucher, spécialement conçu pour les 32 millions d'Américains peu habiles de la main droite.

C’est suffisamment rare pour ne pas saluer une telle initiative.

 

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30/03/2007

Des nouvelles du bout du monde

medium_portedesindes.jpgDécalage horaire oblige, le dernier mail de François Bellanger est resté longtemps collé en haut de mon inbox : en fait, il est arrivé… 4 heures 30 avant son heure d’expédition !

François est parti l’été dernier avec sa petite famille faire le tour du monde ; retour prévu… cet été !

« Nous avons passé des moments merveilleux en Patagonie Chilienne et Argentine, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

« Actuellement je suis en Inde, pays passionnant sur le plan professionnel, mais je suis probablement trop stressé, trop speed, pour supporter le mode de vie ici.

« J'ai l'impression d'être dans un pays complètement schizophrène, qui se voit comme une grande puissance, et voit Mumbai dépasser Shanghai, qui se voit dépasser la Chine sur le plan économique et les Etats Unis sur le plan des nouvelles technos, racheter toutes les grandes industries européennes… mais qui en même temps est incapable de faire fonctionner ses villes, ses transports et surtout de tenter que le fossé entre les plus pauvres et les plus riches ne continue à s'agrandir.

« Fossé qui va devenir de plus en plus flagrant entre des riches qui partent s'installer dans des nouvelles villes privées périphérique grâce à leur voiture et des pauvres dans les coeur de villes délabrés ou dans les bidonvilles..

« Toutes ces nouvelles villes sont d'un mauvais goûts architecturale assez terrifiant – sauf si on aime le kitsch, mais c'est pas mon cas – et le reflet des nouvelles obsession de la nouvelle classe aisée/moyenne du pays. Obsession du "m'as tu vu", du besoin de se couper de la masse, de la sécurité Côté architecture, c'est le royaume des baies vitrées et du climatiseur.

« Les centres commerciaux ressemblent à des bazars néo-moderne des années 70. Mais c'est l'occasion de découvertes étonnantes ; comme de voir des gens ne sachant pas prendre l'escalator. Les vigiles (car ici – comme en Amérique latine – on aime beaucoup les vigiles) sont là pour aider.

« Les nouveaux quartiers comme Gurgoan à l'est de Delhi, c'est un peu le Las Vegas du pauvre, avec une succession d'enclaves privées : habitat, shopping mall, sièges sociaux de grosses boites occidentales… La différence, c'est qu'entre les immeubles, c'est gravats, bidonvilles et une absence totale de cohérence urbaine.

« La bonne nouvelle c'est qu'actuellement la bulle immobilière est en train de se dégonfler et qu'ils vont peut-être comprendre à qu'a confier l'urbanisme qu'au privé c'est pas comme cela qu'ils vont faire de la ville.

« Mais cette façon de faire et de voir la ville correspond aussi de façon plus profonde à la façon dont les indiens appréhendent la ville et ses espaces collectifs qui ne sont pas respectés, alors que les intérieurs sont très propre. Bon tout cela n'est récent, puisque Gandhi leur faisait déjà la morale sur le sujet.

« Côté transport, les trains roulent, mais faut voir dans quelles conditions.

« A Mumbai, les trains de banlieue prévus pour transporter 1700 personnes en transportent  4700 en moyenne. Cela donne 4000 mort par an. Les trains longues distances aux joies de la ségrégation (dans la même rame, cela d'un bon confort avec climatisation à la pire des bétaillère) ; s’ajoute l'incapacité de respecter les horaires : en gros, une heure de retard pour un trajet de deux heures de voyage.

« Cela m'a permis de faire 26 heures de train d'affilée entre Mumbaï et Mizore. C'est marrant, il y avait pas beaucoup d'Occidentaux dans le train.

« Côté automobile, c'est assez sauvage. En gros c'est klaxon et mépris pour tout ce qui est moins que moi. Il fait pas bon être piéton ou cycliste, mieux vaut être camionneur. J'ai du mal à réaliser ce que cela va donner dans quelques années…

« Bref dans ce contexte urbain et économique, j'ai un peu de mal à m'extasier sur les temples, les forteresses, les bazars ou sur "cette foule merveilleusement bigarrée et colorée de l'Inde chatoyante et éternelle".

« Il doit me manquer un logiciel pour apprécier tout cela. Mais ce logiciel me manquait déjà en Amérique centrale où je ne voyais que des bidonvilles et de la violence, là où tout le monde s'extasiait sur les plages ou la forêt vierge.

« Et que dire du Pérou et de la Bolivie où il faut vraiment être un touriste américain pour pleurer sur les Incas et ne pas voir la réalité sociale terrifiante d'aujourd'hui.

« J'ai aussi beaucoup de mal à m'extasier sur la révolution technologique de l'Inde et sur Bengalore, ses laboratoires de recherche et ses call centers. J'ai plus vu à Bengalore un vaste back office de l'Occident (grâce à des coûts salariaux dérisoires et à un code du travail archaïque) qu'un vrai laboratoire du futur.

« Sinon c'est assez amusant de voir les indiens avec leur mobile.

« En gros , c'est l'Italie il y a quinze ans. Je laisse sonner mon mobile longtemps, et fort de préférence, ensuite je regarde à gauche et à droite pour voir si tout le monde m'a vu, ensuite je dodeline de la tête (spécialité indienne et qui – dans ce cas – veut dire : "Vais je répondre ou non ?") et une fois ma décision prise, je crie "Allo", et je répète plusieurs fois car en général cela ne marche pas.

« La vraie révolution de Bengalore – coeur des nouvelles technologies indiennes – est que la ville s'est tellement développée qu'elle est aujourd'hui proche du collapse et que les entreprises la quitte pour aller dans d'autres villes plus vivables : Myzore, par exemple, n'est pas loin.

« Va se poser très rapidement la question du gap entre les visions et les prétentions technologiques et industrielles indiennes et la réalité urbaine et transport de ce pays. Là vont se poser des problèmes de gouvernance et de gestion urbains : car si les nouveaux imaginaires urbains sont ici directement issus de la réussite chinoise et ou du développement de Dubaï ou Barheïn, les structures politiques sont loin d'être au niveau.

« Bref je vais sortir de ce pays lessivé, mais heureux d'avoir vu tout cela et avec une moisson très riche de documents sur l'évolution urbaine, les transports et le rôle des nouvelles technos dans ce pays. »

Je suis loin de totalement partager la lecture de François de l’Inde et de l’Amérique du Sud – et je vous livrerai bientôt la mienne. Mais à l’heure où la mondialisation est de toutes les conversations mondaines, faite de préjugées et d’a priori, il me semblait bon de vous livrer quelques impressions « brutes »… si loin des images aseptisées des guides touristiques !

A bientôt François !

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26/03/2007

Chroniques chinoises II

medium_Chine.jpgA l’heure où la Chine fascine et inquiète, juste un livre et une coupure de presse.

Le livre, c’est celui de Philippe Cohen et Luc Richard : La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? La quatrième de couverture apparaît particulièrement éloquente :

La Chine est célébrée à la fois comme le tout prochain leader des nations, l'atelier du monde et son plus grand marché. A travers des reportages et des témoignages saisissants, les auteurs démontent l'imposture de cette nouvelle mythologie.

L'expansion chinoise détruit l'emploi dans le monde, mais aussi en Chine où le chômage touche des dizaines de millions de personnes. La compétitivité du pays repose sur la surexploitation de 200 millions de travailleurs migrants, les mingong, et sur l'absence de tout droit stable en matière de travail, mais aussi de commerce et d'environnement. Nous fermons nos usines au profit exclusif d'une caste de bureaucrates corrompus.

Ce libéral-communisme, maladie sénile ou stade suprême du capitalisme, s'accompagne ainsi d'une explosion des inégalités et de l'appauvrissement des campagnes encore habitées par deux Chinois sur trois. Il expose le pays et le monde à des catastrophes écologiques et sanitaires, surtout si les dirigeants occidentaux persistent à s'aplatir devant ce nouveau dragon.

Pour les auteurs, la Chine ne constituerait au sein de l’économie mondiale qu’une bulle spéculative de plus – remplaçant in extremis la bulle Internet qui a explosé un peur trop vite – et destinée également à exploser plus ou moins rapidement. Vraiment, un livre qui se dévore d’un trait !

L’article, intitulé : La super puce chinoise n'était qu'une supercherie, a été publié dans Libération, le 16 mai 2006 ; j’en extrais les paragraphes les plus significatifs :

Le 19 janvier, la presse officielle unanime présentait fièrement Chen Jin comme l'inventeur du premier microprocesseur électronique chinois, le Hisys-II, et affirmait que "2 millions d'unités venaient d'être commandées". Mais, ce week-end, l'université Jiaotong de la ville de Shanghai, dont dépend le chercheur, s'est résolue à avouer qu'il s'agissait d'une supercherie. La puce DSP (Digital Signal Processor, processeur de signal numérique), censée pouvoir effectuer près de 600 millions de calculs par seconde, est "moins performante que prévu" et, surtout, ne serait que la "copie" d'une "marque" non précisée, a annoncé la prestigieuse institution.

Selon un journal chinois, les microprocesseurs étaient en fait fabriqués par une ex-filiale de Motorola, et Chen Jin payait des travailleurs migrants pour qu'ils effacent la marque d'origine et ajoutent la sienne…

Le "faussaire", un diplômé d'une université américaine âgé de 35 ans, était jusque-là présenté comme une sorte d'inventeur précoce. Les subventions dont il bénéficiait étaient sans doute considérables. L'ancien président chinois Jiang Zemin, ancien élève de l'université Jiaotong, était connu pour ses largesses à l'égard de son ancienne école. Par ailleurs, le gouvernement chinois a fait de l'innovation technologique l'une de ses priorités pour le plan quinquennal en cours.

Deux documents éloquents qui se passent de commentaires… 

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