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04/02/2009

Crise de la consommation ou pas de côté ?

Drapoport.jpgL'invitée du jour, c'est Danielle Rapoport, Directrice de DRC, études et conseil.

Assistons-nous en direct à la fin d’une mécanique de consommation telle que nous la connaissons depuis plus de quarante ans et à la radicalisation de nouveaux comportements ?

À écouter ce que les consommateurs eux-mêmes nous en disent, il semblerait que oui, et que ces changements ne relèvent pas d’une crise mais d’une logique, d’une évidence réactive au contexte économique et social actuel. Et plus profondément, d’une recherche de consonance entre ce qu’ils perçoivent de l’offre de produits notamment de la grande consommation, et de leurs propres comportements d’achat qu’ils jugent parfois sévèrement.

Gaspillage, conséquences délétères pour l’environnement, inégalités dans l’accès à la qualité, risques d’addiction par des offres trop tentatrices … autant de critiques qui révèlent aussi une déception sous jacente, celle de ne pas avoir reçu de « récompense » de la part des marques (au sens large du terme) face au poids de la « dépense » dans l’acte d’achat : argent, temps, difficulté de choisir qui demande un véritable travail de tri des informations nécessaires, peurs liées aux risques sanitaires, effets négatifs de l’absence de confiance …

Ces aspects délétères de la consommation montrent que celle-ci a perdu de son innocence et qu’il convient de jouer différemment le lien entre acteurs de l’offre et acteurs de la demande.

En quoi consisteraient ces nouveaux liens, ce nouveau regard sur des individus qui ont fait un « pas de côté » et proposent, par la tangente, de nouveaux modèles à leur échelle ?

Leur démarche en « crabe », parfois réactive et souvent créative, relève d’une mise à distance critique et d’une revendication d’être réellement reconnus comme acteurs piliers de la « croissance », par ceux-là même qui les désignent ainsi. Si les inégalités sont si grandes entre marges réalisées par les marques et leur accès difficile par un prix trop élevé, si elles prêtent si peu d’attention à leurs acheteurs, continuent leur course au profit dans un courtermisme, une myopie, une surdité, une absence de reconnaissance propres à décourager les plus fidèles, pourquoi continuer de les aimer et ne pas aller « voir ailleurs », se relier à des offres plus généreuses et qui fassent rêver, ou moins onéreuses et génératrices de pouvoir d’achat ?

Le « pas de côté » correspond à un déplacement de la norme consommatoire, qui jusqu’ici pouvait se résumer à une équation simpliste : provoquer le besoin (en principe limité) sur le mode d’une sollicitation du désir (par essence illimité) qui mène les personnes à devenir des « consommateurs », en réponse immédiate et émotionnelle à des stimuli, soumis à des pulsions irrépressibles, dans une omniprésence du présent.

Le « pas de côté » réhabilite l’idée que le consommateur est symptôme et partie prenante d’un contexte socioéconomique et qu’il cherche à le faire savoir par des comportements à sa mesure. Caisse de résonance et acteur à la fois, les solutions qu’il élabore sont éminemment pragmatiques : sauver ses sous, amenuiser son sentiment de perte – pouvoir d‘achat, travail, statut, désir - s’inscrire dans des valeurs qui privilégieraient « l’humain », le lien, la proximité, la participation, la contribution. Sur ce dernier point, Internet lui facilite la tâche, dans ce qu’il permet de communication horizontale (« C to C ») et de création de pôles de confiance.

Ce « pas de côté » est aussi la cristallisation d’attitudes que nous avions décelées au début des années 90, notamment en termes de perte de confiance vis-à-vis des institutions. L’angoisse de l’avenir et la focalisation excessive sur le présent ont été les conséquences négatives de l’incapacité des institutions et des marques à proposer autre chose que des stimuli au présent - innovations sans valeur ajoutée rendant l’offre plus confuse, les choix plus difficiles, le gaspillage et l’obsolescence plus répréhensibles.

Si certaines entreprises en ont tiré des leçons, mettant « le consommateur au cœur des préoccupations », d’autres se sont emparées de la formule sans en appliquer les conséquences. Le besoin de maîtrise pour compenser des achats plaisir marque une reconfiguration du désir en questionnant ses vrais besoins.

S’y ajoute une sensibilisation à l’idée de « limite », dans la dénonciation du « trop », d’une obésité de l’offre dans sa redondance absurde. La question de la limite est aujourd’hui renforcée par les grands enjeux environnementaux qui nous obligent à une conversion radicale des systèmes de production, de fabrication, de distribution et de consommation, où posséder, détruire, abuser des ressources, s’imposent comme des contre-valeurs et devront générer des contre-pratiques plus respectueuses … sous conditions de conviction à tous les niveaux, ce qui est loin d’être le cas !

Pour les individus, leur permettre des actes engageants renforçant leur sentiment d’utilité (les petits ruisseaux faisant les grandes rivières).

Pour les entreprises, associer le court terme au long terme du durable, et rendre leurs offres cohérentes, crédibles, accessibles et désirables.

Pour les médias, convertir leurs stigmatisations dramatisantes et culpabilisantes en informations utiles.

Pour les publicitaires, cesser de s’abreuver au « filon vert » sous perte de lasser leurs publics et de décrédibiliser les marques qu’ils veulent défendre.

Les consommateurs ont montré depuis près de 20 ans leur obstination à réclamer leur dû tout en exprimant, pour certains la nécessité de leurs devoirs, à condition d’inscrire ceux-ci dans une vraie réciprocité. Cette « co-reconnaissance » - lien positif et synergique entre l’entreprise et les consommateurs - viendrait réparer un sentiment d’impuissance plutôt partagé chez les consommateurs – mais aussi les salariés.

Ce sentiment est, du point de vue psychologique, ce qu’il y a de pire.

Pire que la dissonance, quand les acheteurs naviguent entre « low cost » et attrait pour une fabrication locale plus chère. Pire que la frustration, dont on peut se convaincre qu’elle est choisie via des arbitrages « astucieux » et « intelligents », l’envie de faire du vide et adopter des comportements plus justes pour soi-même. Pire que l’absence de confiance qui a donné lieu à la construction compensatoire de nouveaux liens et lieux de proximité et des choix de confiance par la preuve. Pire que le sentiment de « perte », qui peut se retourner en gain matériel et psychologique, comme le sentiment de compassion, quand la visibilité de la très grande pauvreté relativise la sienne propre. Si les consommateurs choisissent d’acheter moins pour s’offrir du « mieux » et donner au superflu des vertus de sens - ce qui est perceptible dans la baisse constatée en volume des achats en hypermarchés quand la valeur ajoutée n’y est pas perceptible – le rétablissement de la confiance suffira-t-elle à renverser la tendance ?

S’il ne faut pas compter encore sur une « consommation citoyenne » - acheter plus cher pour sauver des emplois par exemple - il faudra des marques, des entreprises qui fassent lien, et aident les individus à trouver dans leurs offres et services un « collectif de confiance ». Elles récupèreront de ce fait le statut de « puissances bienveillantes » qui leur fait tant défaut aujourd’hui : produire du futur et redonner de l’espérance à l’ensemble du système.

Chronique également publiée dans Les échos.

02/02/2009

Quand musique et politique mènent la danse

Olivier.jpg

L'invité du jour, c'est Olivier Covo, directeur associé et fondateur de Brandy Sound.

En ce début d’année d’investiture de l’espoir aux Etats-Unis, il est intéressant de noter à quel point la musique est un catalyseur émotionnel lorsqu’il faut parler au cœur des gens. Dans ce processus démocratique, information, communication et propagande font beau jeu dans le rationnel (et l’irrationnel) d’une campagne.

Petite analyse comparée de deux de nos leaders maximo, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.

Quand la petite musique parle au cœur de nos ouailles, il est plus aisé de faire passer des messages ou des réformes plus dures parce que la musique qui est un cri qui vient de l’intérieur adoucit résolument les mœurs.

Dans le grand jeu du marketing politique, on notera que le marketing dit sensoriel a pris une part importante pour mieux toucher le consommateur, plutôt le citoyen, pour mieux consommer les produits (les promesses) qu’on lui sert.

La musique est l’un des éléments de support à l’entertainment proposé par nos showmen politiques. Que ce soit par l’utilisation de la musique en soutien à un discours pour densifier la charge émotionnelle et passer un message aussi dur qu’il soit, ou en s’associant à des Artistes de renom ; les hommes politiques savent bien exploiter les ficelles du marketing musical.

En France, la marque Sarkozy s’associe pour le meilleur et pour le pire à une Artiste – technique dite (même si ce n’était pas obligatoirement calculé) dans le jargon professionnel de « l’endorsement » - on s’associe à une caution artistique à forte image et notoriété pour en profiter soi-même.

On peut ne pas adhérer aux idées portées par Nicolas Sarkozy et dans le même temps adorer l’artiste Carla Bruni – Comme le dit Jean-Luc Mélenchon, Président du Parti de Gauche. Lorsque Johnny Hallyday apporte sa caution à Optic 2000, la marque profite du capital de sympathie et de séduction de la personnalité Hallyday pour sublimer Optic 2000. Même combat pour Monsieur Sarkozy qui ainsi s’associe à toute la sympathique petite musique de « quelqu’un m’a dit… ».

Plus tactique au moment du coup de chaud des banlieues, Doc Gyneco a pris l’habit de l’endorsement pour rendre l’image de notre président plus jeune, plus populaire et plus proche des jeunes. Il s’y est brûlé les ailes car le « mariage » entre la marque et l’artiste n’était guère cohérent. C’est un peu ce qui se passe par exemple entre une Olivia Ruiz et Coca Cola, personne n’y croit vraiment.

Nicolas Sarkozy n’a d’ailleurs jamais eu la sympathie de l’univers du Rap et du Slam qui reste contestataire au système qu’il représente. On peut dire en conclusion que notre président, qui a résolument le sens du rythme politique a trouvé une couleur musicale plus soft qui lui confère une profondeur propice à mieux éclairer sa posture d’homme d’état.

Alors que Monsieur Sarkozy cherche à s’associer à des Artistes, Les Artistes s’associent à Obama et chantent ses louanges. Comme le dit très justement Barack Obama, « Motown* a fait de moi l’homme que je suis ». Yes, we can !

C’est bien sûr la posture du nouveau président qui symbolise un changement énorme mais aussi la nature du discours qui est dit et raconté avec un rythme et une musicalité qu’envieraient beaucoup de stars de la Pop, du R&B, du Rap et de la Soul. Signe que diversité raciale et réussite pouvaient aussi exister pour cette communauté dans le contexte historique des Etats-Unis d’Amérique.

Cet homme a non seulement le sens du rythme, mais il sort de sa bouche une petite musique où il ne manque que les instruments pour soutenir et densifier émotionnellement le discours. Les musiciens, ainsi que les communautés Afro ou Latino … ne s’y sont pas trompées et ont, par le vecteur de différents artistes donnés de la voix à Obama, si j’ose dire. Montre-moi ta musique, je te dirai qui tu es.

Mais aussi pour l’évocation, cela rappelle le temps des conteurs qui louangeaient les bienfaits de leurs héros en musique pour transmettre la bonne parole.

En termes techniques, nous sommes là dans le registre de la synchro musicale à l’image. Un clip, une star, une musique et une belle histoire pour soulever la liesse et réveiller l’humanité qui est en chacun de nous. Pour citer le plus connus et pour ceux qui ne l’ont pas vu, je conseille très fortement ce clip fait par des artistes américains qui reprennent les phrases de Barack Obama et les chantent en cœur.

Une vraie leçon de bonheur, d’ailleurs récompensée d’un Emmy Award. Obama apparaît de temps en temps en « split image » où on le voit dire son texte à côté de l’un des chanteurs - ce qui renforce encore la charge émotionnelle. C’est une vraie leçon de marketing politique.

Ce qui prime n’est pas autant ce qu’il dit que la façon dont il le dit. Standing ovation assurée … Ce clip a d’ailleurs fait le tour du monde en bien moins de 80 jours.

Alors, qui de nos deux leaders maximo maîtrise le mieux la petite musique politique ? Les techniques sont différentes et vieilles comme le monde mais on a affaire assurément à deux communicants d’envergure.

Tous deux ont bien compris que c’est le chant des sirènes qui nous touche à l’âme. Si la musique sert à transporter les mythes, et si en politique les mythes ne font pas toujours de bonnes réalités, il ne faudrait pas, un peu comme dans un bateau ivre, avoir à se boucher les oreilles.

Pour ne pas succomber à ces voix irrésistibles qui connaissent la musique, mais ne nous la font pas toujours partager !

* Motown, c’est le label soul qui a révélé les plus grands chanteurs afro-américains – Stevie Wonder, Marvin Gaye, Diana Ross ou en encore Michael Jackson.

28/01/2009

Yours Truly Angry Mob

KAISER.jpgDébut Juillet 2007, mon copain Jérôme Martin me faisait découvrir grâce le dernier opus d'un groupe méconnu et répondant au doux nom Kaiser Chiefs : Yours Truly Angry Mob !

Alors que le dernier semestre ne s'est pas révélé des plus créatifs : les papies et les mamies s'essoufflent - poussif album de reprises de Marianne Faithfull et encore plus poussive, et pleine de prétention, production de Paul McCartney sous le pseudo de The Fireman - et les juniors peinent à passer à l'étape suivante - Coldplay sombre dans la facilité, et l'on attend avec impatience le nouveau Franz Ferdinand !

Heureusement, ACDC fait encore preuve de vigueur ... et I'm From Barcelona a enchanté le Bataclan fin Octobre dernier, terminant même son concert pas un magnifique bœuf dans la rue ...

Tout cela pour dire qu'un cette période de crise plutôt chagrine - quand vos interlocuteurs vous tendent la main avec l'air de vous présenter leurs condoléances, ou vous confient, l'air entendu : "Moi, ça va, mais c'est exceptionnel, les autres ..."

Donc tout cela pour dire que le concert de ce soir de Kaiser Chiefs à l'Olympia, j'en vais bien besoin, et qu'il m'a filé une pêche d'enfer.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore ces nouveaux dieux (enfin empereurs) de la britpop, originaires de Leeds, un petit détour par et surtout s'impose !

Ou écoutez là, c'est encore plus simple ...

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27/01/2009

Quel avenir pour le luxe ?

avenir luxe.jpgSuite de l'article paru le 20 janvier.

Fonder dessus une industrie du luxe, suppose avérés – et ce, en permanence – deux postulats :

  • Une réserve suffisante de clients : tant que le luxe demeurait artisa-nal, pas de soucis ; mais industrie, et même celle du luxe, rime avec lignes de production.
  • Que le moteur financier, lui, ne cale pas … qu’en d’autres termes, l’expérience unique et personnelle ne passe pas par d’autres vecteurs.

Le marketing adore le luxe … tous les marketers en rêvent : normal, luxe signifiant marges élevées ; je n’ai jamais rencontré d’étudiants proposant spontanément de traiter dans leurs exposés du marketing des produits low cost – voire plus prosaïquement de l’entrée de gamme !

Avec la crise économique, les consommateurs vont nécessairement revisiter leurs arbitrages financiers – et la consommation faiblit déjà. Le marché du luxe va certainement se tendre, redevenir un marché de niches.

Pas grave en soi … sauf que le marigot ne nourrira plus la même multitude de crocodiles affamés de marges élevées : le marché du luxe est celui de la facilité … intellectuelle en marketing ! Des générations qui ont appris à construire tous leurs plans à partir de la seule politique de prix !

Bien sûr, il y aura toujours des riches, il y aura toujours des oligarques russes et des princes saoudiens ! Bien sûr, il y aura toujours des privilégiés – des vrais, ceux à parachutes dorés – en France et ailleurs : en restera-t-il assez pour toutes les marques de luxe ?

Les historiques et les autres ?

Le second postulat apparaît encore plus fragile.

Les années 1970 à 2000 furent en France celles de la possession et du paraître, comme le soulignera Baudrillard : « On ne consomme jamais l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) – on manipule toujours les objets (au sens large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur ».*

D’où l’émergence d’une nouvelle forme de communication publicitaire "identitaire", détournant le message du produit vers son possesseur : sémiotiquement parlant, ce n’est plus l’objet qui se voit qualifier, mais son propriétaire.

Dans un tel contexte, la seule possession d’objets de luxe peut aisément s’assimiler à une expérience unique et personnelle : je m’épanouis en acquérant une montre Rolex, un sac à main Gucci, etc.

Aujourd’hui, une page sociétale se tourne, l’être l’emporte à nouveau sur l’avoir et le paraître : le Web 2.0 est passé par là.

Rédiger un papier sur mon blog constitue pour moi une expérience unique … impossible il y a dix ans ! Publier une vidéo sur un réseau social, pareil-lement, participer à un wiki, etc.

Bien sûr, tous les Français ne vont pas se muer en blogueurs, en acteurs du Web 2.0 : mais une page se tourne, et tous les Français ont réalisé que la seule possession d’objets ne constituait plus le luxe ultime … ou unique !

Une des avancées majeures du Web 2.0 n’est pas seulement d’avoir per-mis à des millions d’individus de par le monde d’accéder à un luxe qui leur était auparavant refusé : pouvoir s’exprimer – exprimer leurs passions – aux yeux de tous.

Non, elle est d’avoir apporté la preuve que l’on peut s’épanouir – et vivre des instants personnels inoubliables – autrement que par une dépense importante, exubérante. Que le "vrai luxe", finalement, se situe ailleurs. Le futur du "vrai luxe", je le vois comme la redécouverte des valeurs d’être et d’expression.

Celui de l’industrie du luxe, je le vois un peu moins bien.

* Jean Baudrillard : La société de consommation, Paris, Gallimard, 1979.

07:03 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | Pin it!

26/01/2009

La presse a-t-elle un avenir ?

alondres.jpgMes copains de Courts circuits ont démarré une vaste réflexion sur la presse et son avenir – c’est dans l’air du temps – et s’interrogent notamment sur "les nouveaux enjeux de la libre circulation de l'information portée par les NTIC".

S’interrogent … et m’interrogent sur l’opportunité "d’humaniser l'émetteur pour recréer les conditions d'un dialogue".

Point de départ de la réflexion : la toile bruisse aujourd’hui d’innombrables discussions – consommateurs, experts de tous crins, politiques, etc. et bien sûr, informateurs des plus divers.

Informateurs des plus divers, c’est-à-dire des gens comme vous et moi qui diffusent des informations nouvelles – "la vidéo que j’ai prise dans la rue au moment où …" ; "la photo de …" ; etc. – ou simplement les commentent ; mais aussi tout une flopée de journalistes méconnus qui trouvent là une certaine revanche à l’adversité ; et puis, de "vrais journalistes".

"Vrais journalistes" ne signifiant pas grand chose, sinon la possession d’une carte de presse.

Il y a ceux qui, censurés par leur titre ou autocensurés, ont développés leur blog pour échapper à cet interdit – je pense aux reporters américains en Irak.

Il y tous ceux qui collaborent à des titres prestigieux – Libération, Le Monde, Le Figaro – et qui souhaitent prolonger leurs articles d’une note plus personnelle.

Il y a la nouvelle génération, née avec le Web 2.0, les rédacteurs de Rue89, le Post, Bakchich, etc.

Bref, tout cela fait du monde, beaucoup de monde, surtout si l’on rajoute les Wikio, Agoravox et autres Betapolitique. Vraiment beaucoup de monde.

Des tas de gens qui s’expriment en leur nom … comme tous les blogueurs du monde entier !

Faut-il lire dans cette gigantesque conversation, l’avenir du Web ? Certainement … jusqu’à ce que de nouveau progrès technologiques viennent l’enrichir … sans toutefois le remettre en cause.

Faut-il lire dans cette gigantesque conversation, l’avenir de la presse ? Certainement … un raccourci un peu rapide … et un contresens évident !

L’avenir du Web

En termes d’information, le Web 2.0 marque le passage d’une société verticale à une société horizontale.

Une société verticale, c’est une société où, si tous accèdent à l’information, seule une minorité possède le pouvoir de la diffuser – bref une oligarchie.

… et bien évidemment, une société horizontale, c’est une société où tout un chacun peut émettre des messages, techniquement recevables par tous.

Le "techniquement" n’est pas sans importance : dans un pays où entre 3 et 4 millions d’individus tiennent leur blog – sans parler des adolescents –, il devient de plus en plus difficile – et illusoire – d’espérer se faire entendre de tous.

Dans le champ du marketing et de la consommation sont apparus des facilitateurs : des espaces où je peux m’exprimer sur un produit avec une certaine garantie d’être entendu de ceux à qui je souhaite m’adresser. Ainsi, si je ne suis pas totalement satisfait de mon dernier caméscope numérique, je peux laisser un avis sur Amazon, et je suis sûr de toucher de futurs acheteurs … ou plutôt potentiels acheteurs, car je compte bien les détourner de leur choix.

Quoi qu’il en soit, le Web 2.0 redonne non pas "le" mais "du" pouvoir, aux consommateurs dans ce derniers cas, et aux citoyens en général … et je doute que ces derniers soient prêts à le lâcher !

Petite remarque : le business model d’Amazon n’est certainement pas de faciliter les conversations des consommateurs, ni de produire des avis, objectifs ou subjectifs, sur les produits et services qu’il vend : amazon.fr n’est pas un site consumériste.

Les fonctions de la presse

En termes d’information, il convient de distinguer la production de l’analyse et du commentaire :

- Rachida Dati doit prochainement quitter le gouvernement est un fait avéré : tel jour, à telle heure, un journaliste, puis un autre, ont porté l’information à la connaissance du plus grand nombre.

- Rachida Dati devenait de plus en plus gênante pour le locataire de l’Elysée, il lui fallait trouver une solution "politiquement acceptable" pour s’en débarrasser : le fait est connu depuis un certain temps, les analystes expliquent.

- Sarkozy est vraiment … (je vous laisse choisir le qualitatif qui vous convient le mieux) d’agir ainsi avec celle qui l’a toujours soutenu : on passe de l’analyse à l’opinion, au commentaire subjectif.

Il est clair que le commentaire ne relève pas – exclusivement – du journalisme ; mis à part la presse militante, le commentaire tient plus du café du commerce, de l’opinion courante et/ou partisane … bref, entre totalement dans le champ du Web 2.0.

L’analyse est du ressort des éditorialistes – ceux qui donnent sens aux faits bruts ; de tels billets sont nécessairement signés par de prestigieuses personnalités conférant leur autorité au titre qui les emploie. Bien sûr de telles signatures existent indépendamment des organes de presse – de plus en plus grâce au Web 2.0 ; mais existeraient-elles sans eux, qui les financent ?

La production relève des seuls journalistes.

Attention, produire de l’information, ce n’est pas seulement se contenter de relayer des communiqués : c’est avant tout, diffuser un matériau fiable – c’est-à-dire constaté de visu ou suffisamment recoupé.

C’est même la base du métier de journaliste … et la fonction primaire de la presse.

L’avenir de la presse

Produire de l’information, fonction primaire de la presse, certes, mais de plus en plus souvent mal vécue par … les journalistes : c’est l’analyse qui confère promotion et prestige, pas la quête des faits bruts.

Albert Londres ne fait plus rêver …

Dès lors, l’investissement – intellectuel, financier, etc. – s’effectue dans l’analyse : les éditorialistes pèsent de plus en plus, s’autorisent même au commentaire personnel – comme tous consommateurs du café du commerce.

Et rentrent en compétition avec Monsieur Toutlemonde, le blogueur du coin de la rue, vous et moi.

Et la presse devient une véritable cacophonie.

Deux pistes sont actuellement explorées, l’une pour en sortir, l’autre pour l’organiser :

- En sortir, en privilégiant les sites valorisant l’analyse – on offre aux signatures les plus prestigieuses des espaces réservés : c’est le modèle du site américain Slate dont Jean-Marie Colombani s'apprête à lancer une version française ;

- L’organiser, en favorisant le dialogue, entre la rédaction et ses lecteurs, mais aussi – surtout – entre ses lecteurs entre eux : c’est le modèle initié par Rue89, où les fils de discussions se révèlent tout aussi instructifs que les papiers qui les initient (comme sur certains blogs, d’ailleurs).

Ce faisant, la presse se coupe de plus en plus de son métier originel – produire de l’information.

En se désinvestissant de cette fonction primordiale, elle laisse la place à des non spécialistes – avec toutes les dérives potentielles : diffusion de fausses informations, rumeurs, etc.

En se désinvestissant de cette fonction primordiale surtout, elle devient également productrice de … fausses informations : c’est Europe 1 qui annonce la mort de Pascal Sevran ; c’est l’AFP qui annonce l’explosion en vol avec dix satellites d’une fusée indienne ; etc.

La dette et le don

Tout produit, tout service, y compris la presse, apporte un bénéfice à ses consommateurs – bénéfice lui permettant de se distinguer de ses concurrents : c’est son offre, ce que Georges Péninou qualifiait de "don".

Mais ce "don" ne vient qu’en complément des fonctions de base du produit : Georges Péninou parlait ici de "dette". Trivialement, on n’imagine pas une voiture plus spacieuse ou plus sûre … mais sans roues !

On n’imagine pas un dentifrice qui laisse l’haleine plus fraîche … mais ne lave pas les dents !

Par contre, tous les hommes de presse s’inquiètent de ce qu’ils pourraient offrir de plus aux internautes – plus d’analyse, plus de dialogue : plus de "don" – sans trop se soucier si la "dette" qu’ils ont contractée à l’égard de leurs lecteurs – simplement en publiant un journal –, elle, ils la remboursent.

En d’autres termes, oui, progressez, messieurs les journalistes, vers plus de dialogue, de conversation, etc.

Mais avant tout, faites votre métier de journaliste : investiguez !

Car votre "métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie", comme le disait si bien Albert Londres.

Arrêtez de vous faire plaisir … et mettez-vous au travail !