31/03/2006
Le futur se conjugue au présent
Pourquoi dites-vous que « nous traversons aujourd’hui un vaste no man’s land sociologique, sans repères concrets, avec pour seule certitude que les recettes d’hier sont définitivement obsolètes » ?
François Laurent : Simplement parce que nous changeons actuellement de société, voire de civilisation. Née au début du 20e siècle, la société de consommation a connu des dysfonctionnements dans les années 70, parce que son éthique ne correspondait plus aux attentes des citoyens, et plus particulièrement des plus jeunes d'entre eux. Elle a ensuite survécu tant bien que mal durant un quart de siècle, parce qu'en crise économique, on a moins envie de tout jeter et de faire la révolution. Et puis, la « nouvelle économie » est apparue prétendant lancer une nouvelle société, au sens le plus large du terme. Les Bill Gates, Steve Job (fondateurs respectifs de Microsoft et d'Apple) et autres patrons d'entreprises des nouvelles technologies (multinationales et start-up) ont tout bouleversé et fait table rase des anciennes valeurs. Le problème est que leur système, bâti trop vite et sur rien de vraiment concret, s'est rapidement effondré, laissant un vide sociétal encore non comblé. Les codes du passé ont été abolis, sans que pour autant le futur n'ait été inventé.
Comment expliquez-vous cet effondrement et surtout la rapide brutalité avec laquelle il s'est produit ?
L'erreur des promoteurs de la « nouvelle économie » a été de croire qu'avec leurs superbes produits et services high tech, ils allaient bouleverser les habitudes des gens. Mais ce sont les citoyens qui font les sociétés, ce ne sont pas les chefs d'entreprise : sous prétexte de vouloir remplacer l'ancienne économie, ils n'ont pas imaginé autre chose que gagner encore plus d'argent sur le dos des consommateurs. Des consommateurs qui, certes, voulaient bien renoncer aux valeurs du passé, d'autant qu'elles ne les satisfaisaient plus guère, mais pour les remplacer par celles qui leur seraient propres et qu'ils définiraient eux-mêmes.
Vous précisez que « la fête est finie et que ce qui hier faisait encore rêver nous fascine beaucoup moins ». Ce constat n’est-il pas pessimiste, quels sont ses causes et tous les domaines d’activité sont-ils concernés ?
II faut entendre le terme de fête telle que la rêvaient les chantres de la « nouvelle économie », à savoir l'ambition de vendre de la technologie à tous les coins de rue et de transférer le Japon à Paris. Si les consommateurs se sont d'abord laissés éblouir par les toute dernières innovations, l'illusion n'a pas duré longtemps. Avoir un téléphone portable, c'est bien. Le renouveler dans l'année qui suit, sous prétexte qu'il y a de nouvelles fonctions, cela séduit un peu moins. Et en changer tous les ans, les citoyens le refusent catégoriquement. Pour être heureux, les gens n'ont pas besoin de faire la fête tous les jours : ils ont juste envie de vivre mieux et autrement. De même, ils rejettent de plus en plus toute idée de fête, si cela revient à polluer leur environnement et dégrader la planète. Ils veulent aussi vivre plus sainement. Cela concerne les hautes technologies mais aussi les nombreux domaines où le gigantisme semblait devenu la règle: ils veulent revenir vers des choses plus humaines. Nous avons besoin d'humanité aujourd'hui.
Le serpent de l'innovation se mord-il la queue ? Trop d’innovation tue-t-il l’innovation ?
Les consommateurs ne souhaitent surtout plus des innovations qui bouleversent leur vie. En fait, ce sont deux logiques inversent qui divergent de plus en plus : d'un côté, des industriels qui doivent sans cesse innover pour ne pas se laisser dépasser par leurs concurrents et séduire les distributeurs, de l'autre, des consommateurs qui veulent prendre le temps de digérer les innovations qui arrivent sur le marché les unes après les autres. Je ne pense donc pas que trop d'innovation tue l'innovation, c'est la fausse innovation qui tue l'innovation. C'est ce qui se passe aujourd'hui pour la téléphonie mobile qui était au départ une vraie innovation, tout comme Internet. Mais beaucoup trop d'acteurs du marché ont oublié que les gens veulent simplement avoir un appareil et un réseau fiable pour téléphoner et envoyer des SMS. Point. A force de multiplier les fonctionnalités inutiles à leurs yeux, ils ont rendu les consommateurs suspicieux vis-à-vis de l'innovation. De fait, nous sommes passés d'un phénomène de high tech à un phénomène, non de low tech, mais de slow tech, les gens prenant un temps d'observation avant d'accepter et a fortiori d'acheter les nouveautés.
Comment alors étonner les consommateurs ?
Le consommateur a-t-il vraiment besoin d'être sans cesse étonné ? Je ne le pense pas. Il a surtout besoin de produits et services qui lui servent et qui le rassurent. Car trop souvent les produits censés le surprendre agréablement ne fonctionnent en réalité pas toujours très bien, ou se révèlent compliqués à installer ou à utiliser. Brancher un nouvel appareil sous son téléviseur nécessite divers câbles et prises différentes, non nécessairement compatibles. Là se situent les vraies problématiques auxquelles le client souhaite trouver une réponse.
La société de consommation est morte selon vous en raison de deux phénomènes frappant les produits : leur caractère superfétatoire et leur obsolescence rapide. Mais n’est-ce pas la rançon – prévisible – de la gloire du progrès, en raison de l’accélération qui le sous-tend et de la démocratisation des biens de consommation qui le justifie ?
L'obsolescence n'est pas nécessairement la rançon du progrès. Prenons l'exemple de l'informatique : l'obsolescence y apparaît certes la conséquence d'innovations technologiques avançant toujours plus vite, selon la fameuse loi de Moore, du nom du fondateur d'Intel, qui prédit que le puissance des microprocesseurs double tous les 18 mois ; mais également le fait de développeurs toujours plus – et bien souvent inutilement – gourmands en mémoire : résultat aujourd'hui, il nous faut un ordinateur de 128 mégaoctets de mémoire vive pour se servir de logiciels basiques, quand 512 kilooctets suffisaient il y a 5 ans. Des logiciels offrant certes dans leur nouvelle version, plus d'esthétique, parfois un peu plus ergonomie, et une multitude de fonctions supplémentaires que personne n'utilisera ! Mais a-t-on vraiment besoin d'ordinateurs 400 ou 500 fois plus puissants – ce qui suppose d'en changer régulièrement – pour rédiger des textes ? Cet exemple montre que les innovations ne sont pas toujours au service des consommateurs. Il est vrai qu'il y a une fuite en avant du progrès et que les ingénieurs se laissent facilement bluffer par leur propre technicité.
Les industriels des produits high tech sont-ils prisonniers de leurs dogmes, leur interdisant « de lancer des produits low cost pour répondre à une évolution consumériste saturée de high tech sans distinction, ni sens réel » ?Il y a certes une logique des marchés, que nous avons déjà évoquée, conduisant les industriels à sans cesse innover pour tenter de surprendre non seulement les consommateurs, mais aussi les distributeurs afin qu'ils continuent de référencer les marques et produits. Mais il ne suffit pas d'innover pour innover, il faut également savoir s'interroger sur la pertinence réelle des innovations proposées, innovations qui doivent avant tout se traduire au quotidien par une plus grande facilité d'usage. Récemment, nous avons mené une enquête au foyer de particuliers afin de connaître au quotidien leur usage de biens d'équipement technologique. Une jeune femme, née avec le high tech et l'informatique domestique, ne savait même pas qu'elle pouvait directement brancher son appareil photo numérique sur son téléviseur. Il y a une énorme carence d'information et d'aide au consommateur, alors que ces nouveaux produits high tech sont supposés améliorer et faciliter la vie ! Le problème est que tant que les choses ne sont pas intuitives, soit on ne les fait pas, soit on essaie de lire les brochures et autres notices d'utilisation et cela tourne alors au cauchemar. Concernant la validité de lancer des produits de différentes hauteurs de gamme, je pense que les tous les segments et divers types de marques ont une place légitime.
Vous notez que plus un produit est impliquant et plus élevé est le niveau de tension chez le consommateur entre freins et motivations dans son acte d'achat. Or, la cuisine équipée, très implicante, continue de séduire et ses ventes de progresser. Est-ce justement parce qu'elle reste simple (sans haute technologie anxiogène), chargée de sens (choix de vie, convivialité) et qu'elle garde sa part de rêve ?
Le niveau de tension est élevé dans l'achat de cuisine équipée, simplement en raison de son prix important, de l'ordre de plusieurs milliers d'euros, même pour les marques d'entrée de gamme. De plus, de tels ensembles participent directement à l'environnement quotidien et intime des gens. S'inscrivant dans la durée, leur acquisition est donc naturellement implicante. Cela dit, le choix des modèles n'est pas compliqué : on les voit dans les catalogues et dans les magasins où on peut les toucher, les manipuler. La prise de risque n'est pas gigantesque. De fait, le meilleur moyen de faire baisser le niveau de tension est de modifier son principal facteur anxiogène, à savoir le prix. Force est de constater que c'est une pratique généralisée dans la distribution de cuisine. Tous les consommateurs qui ont acheté un ensemble intégré se félicitent d'avoir su bénéficier de remises ou d'opérations promotionnelles spéciales, soldes, etc. Le même phénomène joue pour l'automobile. Quant à la part de rêve généré par la cuisine équipée, cela me laisse dubitatif, partant du principe que, démocratisée, la cuisine est un bien accessible. Et ce qui fait le plus rêver, c'est justement ce qui ne l'est pas. Et c'est en cela que le high tech a perdu sa part de rêve. Pour la cuisine, il vaut mieux parler d'un rêve réaliste... La différence en faveur du main tien d'une part de rêve tient dans le fait que la concurrence y est nettement moins forte que dans le domaine des biens d'équipements high tech et informatique. Il n'y a pas vraiment d'importateurs chinois ou coréens qui inondent le marché français de cuisines transportées par bateau…
Vous annoncez la mort de la société de consommation et avec elle le marketing classique. Quelles sont les causes du décès et en particulier, pouvez-vous expliquer cette séduisante formule : « L’erreur des futurologues (ingénieurs, journalistes et autres stratèges), est d’avoir rêvé la société du futur comme simple futur de la société de consommation, de la seule société qu’ils connaissaient » ?
Le marketing a été créé par les lessiviers dans les années 30, à la naissance de la société de consommation où l'offre était supérieure à la demande. Pour distinguer les produits, il fallait créer autour une image de marque et un imaginaire avantageux, ce qui était la vocation du marketing. Et les gens acceptaient de payer 30 % plus cher pour en bénéficier. Aujourd'hui, l'image de marque et le statutaire, sans encore devenir marginaux, perdent de leur importance dans les choix des consommateurs. Et à partir du moment où ces derniers en reviennent à des référents plus basiques, le marketing « classique » n'a plus de raison d'être : en fait, le marketing est aujourd'hui un métier à totalement réinventer. Tous les secteurs d'activité sont concernés. Pour changer de domaine, prenons le cas des transports pour répondre plus précisément à votre question. J'assistais récemment à un colloque sur les déplacements dans la cité de demain, où étaient présents des responsables des transports tant collectifs qu'individuels. La discussion portait notamment sur le développement du « car sharing » ou co-voiturage. Tous parlaient d'une époque future où ils seraient déjà tous… à la retraite. Mais ils ne se posaient pas la question de définir comment les jeunes âgés de 15 ou 20 ans – c'est-à-dire ceux qui seront directement concernés par ces évolutions - se déplacent aujourd'hui. Force est de constater qu'ils n'étaient pas capables d'imaginer le futur autrement que comme une extrapolation du présent, ou plutôt de leur présent. Or, le futur n'est pas un simple développement de notre quotidien, il se crée sur des bases qui n'existent pas encore. De fait, ceux qui font le futur sont les adolescents de 15 ans. Contrairement à ce que laisse croire le débat moralo-économique soulevé par leurs aînés, ils ne se posent pas la question de savoir si c'est bien ou mal de télécharger de la musique. Ils vont dans les boutiques asiatiques du 12ème arrondissement de Paris pour acheter des baladeurs mp3, ou pour acheter leur matériel informatique avec des composants choisis à la carte pour répondre exactement à leurs besoins. Ce faisant, ils n'accordent pas d'importance aux marques, qu'il s'agisse d'informatique ou d'autre chose. Ce phénomène n'existait pas il y a 5 ans seulement.
Vous soulignez que « les produits nouveaux n’existent que dès qu’ils échappent à leurs géniteurs, quand les consommateurs leur donnent une raison d’exister ». On peut y voir une similitude avec les œuvres artistiques. Plus prosaïquement, ceci valide-t-il la stratégie péremptoire du marketing reposant sur des certitudes dogmatiques (nul ne pouvant être sûr de la réussite commerciale d’un produit avant sa rencontre avec le public) et aboutissant in fine sur une vacuité des discours ?
Je crois que toute chose échappe à son créateur, à l'instar effectivement des œuvres d'art. Globalement, les plus grandes innovations de ces dernières années illustrent clairement cela. Le SMS est ainsi un exemple probant. Ce sont les ados qui ont fait le succès immense du SMS, alors que les fabricants de téléphones portables, les opérateurs et les gens du marketing n'y croyaient pas. De même, le phénomène des blogs (petits sites conçus par les internautes amateurs) a pris une dimension extraordinaire et personne n'y comprend rien. Ce sont les consommateurs qui en font l'usage qui décident ou non de leur raison d'être ou pas, donc de leur succès commercial. Et c'est pourquoi il y a des produits qui, malgré toutes les campagnes marketing, échouent radicalement, comme cela s'est passé pour le WAP
C'est donc l'usage réel des produits et services par les consommateurs qui constitue leur pertinence, et non la pertinence déclarée par les fabricants ou distributeurs qui garantit leur usage répandu, comme le pense encore le marketing.
En effet. Il le pense encore parce que pendant des années, ce théorème fonctionnait dans le high tech. Les gens achetaient ce que le marketing déclarait être le plus branché ou le plus performant. Mais dans la mesure où il y a aujourd'hui trop de nouveaux produits qui sortent à un rythme trop rapide, les consommateurs pratique le droit d'inventaire pour choisir ce qui les intéresse et leur sert vraiment. Cela ne signifie pas que les industriels doivent arrêter d'innover, mais qu'ils doivent essayer de comprendre comment les consommateurs évoluent et comment ce qu'il y a en gestation dans les bureaux de R&D peut être pertinent pour bien s'inscrire dans cette évolution.
Sommes-nous vraiment arrivés à une rupture profonde dans notre Histoire ?
Je le pense. Depuis un millénaire environ, nous nous dirigions vers une société globalisée et centralisée, où le « big is beautiful » primait. Or, aujourd'hui, les individus ont la possibilité par divers vecteurs, grâce notamment à Internet, de faire entendre leur voix, de développer des alternatives aux options proposées ou imposées par le système, de redevenir des citoyens actifs, voire de lutter contre les puissants, quitte à les faire disparaître. Je pense ainsi qu'il y aura des faillites dans l'industrie musicale, si celle-ci ne se réforme pas en profondeur, majors au premier chef. Plus généralement, l'institution était jusqu'à récemment plus puissante que les individus ; aujourd'hui, c'est l'inverse. Et cela, c'est une rupture radicale dans notre histoire.
Le meilleur chapitre de votre excellent ouvrage est sans doute celui consacré à la « veille sociologique », parce qu'il pose une vraie et profonde analyse sur la situation de notre société actuelle, ses cause et ses conséquences sur l’économie et ses modes de consommation. Tout est lié en tout dans ce monde unique :aux expressions plurielles. Le marketing et les développeurs d’innovations ont-il tendance à l’oublier ?
Non, ou en tout cas moins qu'auparavant. Les industriels se parlent entre eux et échangent leur perception du consommateur, afin que chacun puisse profiter de la vision et de l'expérience des autres. Cela ne se produisait pas il y a quelques années. Le constat d'échec du marketing traditionnel est réel et fondé, mais il est aussi vrai que de nouvelles méthodes se mettent en place, avec des résultats.
Devenus plus solidaires grâce aux NTIC et en réaction face aux majors uniformisantes de l'économie, les jeunes consommateurs d'aujourd’hui bâtissent « une société qui n'est déjà plus la nôtre ». parce que répondant a une éthique et des codes en rupture réels à ceux en vigueur depuis 50 ans. Comment des lors les décisionnaires actuels peuvent-ils s'y adapter sans tomber dans le jeunisme ou la démagogie à coup de récupération trop vite dénoncée ?
Le jeunisme serait de vouloir copier les jeunes sans les comprendre, c'est-à-dire sans se dire que le futur qu'ils sont en train de bâtir n'est pas forcément à l'image que ce nous avons vécu et de ce que nous connaissons. Il ne s'agit pas d'adopter leurs codes vestimentaires et leurs modes de vie en général, mais d'analyser les raisons qui les conduisent à vivre comme cela. Cela suppose aussi de donner aux jeunes des outils et vecteurs pour s'exprimer et faire entendre leurs besoins et leurs visions des choses. Cela nécessite une réforme des esprits pour ceux qui sont actuellement aux commandes de la société socioéconomique. Toutefois, la volonté de récupération est un réflexe normal, parce que cela apparaît – à tort – comme la solution la plus facile parce que la plus rapide.
Les early adopters ne constituent plus la population a suivre et sont remplacés par des trends setters Quelles réalités recouvrent ces termes ? Et cela signifie-t-il que le critère le plus valide de succès commercial futur d'une nouveauté n'est plus censitaire (par CSP notamment, mais sociodémographique (pyramide des âges réels ou subjectifs) ?
Les early adopters sont ceux qui achètent n'importe quel produit pourvu qu'il soit nouveau et qui n'hésitent pas à y consacrer un budget élevé. Jusqu'à ces dernières années, les autres parties de la population suivaient, les premiers à le faire étant les immédiate followers. On s'aperçoit aujourd'hui qu'il y a un fossé entre les deux. Aussi de nombreux produits choisis par les early adopters ne trouveront pas de population relais et resteront invendus. On ne peut donc plus se fonder sur le fait que 200 ou 300 000 personnes ont acheté un produit en Europe pour tabler sur son large succès commercial populaire. Une méthode plus fiable consiste à observer les gens qui ouvrent de nouvelles voies de consommation, afin de leur proposer des produits qui s'y inscrivent. Cela a été le cas des jeunes qui ont acheté les premiers baladeurs mp3 il y a quelques années et qui les utilisaient différemment de leur usage de base. Les petites tendances sont comme des ruisseaux ; elles sont nombreuses, mais en les suivant, on arrive toujours aux rivières puis aux fleuves qui alimentent la société de demain. Appliqué à l'univers de la cuisine, les early adopters sont ceux qui ont acheté les premiers réfrigérateurs avec écran LCD pour naviguer sur Internet. Globalement, ces équipements relèvent davantage du gadget. D'ailleurs, le reste de la population n'a pas suivi et on peut douter de leur succès commercial dans les prochaines années. A contrario, certaines enseignes comme Résonances ont développé avec succès une offre correspondant au retour vers de l'authentique, désir émis par les citoyens eux-mêmes et non par des bureaux d'étude.
Quel avenir pour le high tech selon vous ?
Le high tech a encore un bel avenir devant lui, simplement parce qu'il y aura toujours des produits de technologie avancée ou illustrant la course ininterrompue du progrès. Par contre, je pense que, de plus en plus, le consommateur exprimera son pouvoir de décision, et fera son choix sans se presser en privilégiant des produits répondant bien à ses besoins. Cela signifie que les fabricants réfléchissent davantage en fonction des modes de vie réels et non supposés des gens, de l'usage qu'ils font des objets de leur quotidien, et non pas de ce que font ou prévoient les ingénieurs. De cela va émerger une dichotomie dans la structure concurrentielle du marché. Celui sera occupé d'une part par les acteurs de mass market, proposant des produits corrects mais d'entrée de gamme ; et d'autre part, par des fabricants qui auront pris des longueurs d'avance en inventant de nouvelles solutions à valeur ajoutée, pas forcément technologique, mais en terme d'usage pratique. La prime ne sera pas donnée au gigantisme monolithique industriel. Je crois au contraire que l'avenir sera profitable aux petites structures plus souples, réactives, inventives et intégrées dans des réseaux commerciaux d'entreprises. La faculté de bien ouvrir l'esprit et les yeux pour regarder autour de soi, pour observer le contexte autour de son activité, est la clé du succès de demain.
Univers Cuisine N°14 – Octobre 2005
22:12 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
30/03/2006
De Fédor Dostoïevski à Albert Jacquard
Deux extraits d'auteurs très différents à méditer pour les fanatiques des études quantitatives et des tests statistiques.
Je remarquerai à propos que ces gens [les bagnards] n’étaient pas, de fait, des ignorants, et même pas au sens figuré, au sens propre. Sans doute plus de la moitié d’entre eux savait lire et écrire. En quelque autre endroit où le peuple russe se trouve assemblé en masse pourriez-vous trouver un groupe de deux cent cinquante personnes sont la moitié sache lire? J’ai entendu dire que quelqu’un, de données semblables, avait tiré la conclusion que l’instruction était un fléau pour le peuple.
Fédor Dostoïevski
Les carnets de la maison morte
Le recours au concept de corrélation et au paramètre qui lui est associé, le coefficient de corrélation est à l'origine de multiples erreurs d'interprétation. La plus fréquente est celle que nous venons de constater à propos de l'intensité de la liaison mesurée. Plus grave est l'erreur logique inférant d'une corrélation constatée à l'existence d'une causalité.
Certes, lorsque existe un rapport de causalité entre les caractéristiques X et Y (par exemple entre le revenu d'un individu et le montant de ses impôts), les deux séries de mesures sont corrélées ; mais la réciproque n'a aucune raison d'être vraie. Ainsi, la corrélation est nettement positive entre le loyer payé par les familles et la longueur de leurs vacances d'hiver ; mais cette corrélation ne signifie pas qu'une augmentation des loyers entraînerait un allongement du temps consacré aux sports d'hiver. En fait, la corrélation est le signe de l'influence d'une cause commune aux deux phénomènes étudiés (ici cette cause commune est évidemment le niveau des ressources).
Albert Jacquard
La science à l'usage des non-scientifiques
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29/03/2006
L’image de marque au fond d’une assiette de soupe
L’image de marque existe, nous confirmaient récemment les spécialistes des sciences cognitives : elle facilite notre perception des produits qui s’offrent à nous. En favorise-t-elle pour autant l’achat ? Moins sûr !
Le contenu en était, à l’origine, extrêmement simple : elle se chargeait des caractéristiques factuelles et fonctionnelles des produits commercialisés – des berlines familiales et fiables ; une lessive efficace mais qui affadit les couleurs ; etc. De quoi éviter à la ménagère de se poser sans cesse les mêmes questions en faisant ses courses, la mémoire à long terme contribuant logiquement à la perception et l’identification des biens.
Un peu comme lorsque je reconnais un ami dans la rue, et sait qu’il va me tenir la jambe si ne l’évite pas parce qu’il est particulièrement bavard ! Ou qu’il peut se révéler de conseil avant d’acheter un lave-linge.
Au fil des ans marketers et publicitaires en ont profondément modifié, non la nature, mais le contenu, l’enrichissant de valeurs superfétatoires : cau-tion de qualité, initialement fondée sur l’analyse très fine des motivations et des freins, elle s’est peu à peu muée en en symbole d’appartenance, en véhicule identitaire : la liste serait longue, de la BMW des cadres dynamiques d’hier au sportswear Com8 des banlieues d’aujourd’hui !
Ce qui caractérisa même la société de consommation, à en écouter Baudrillard : « Les objets ne s'épuisent jamais dans ce à quoi ils servent, et c'est dans cet excès de présence qu'ils prennent leur signification de pres-tige, qu'ils "désignent" non plus le monde, mais l'être et le rang social de leur détenteur… »
Ce faisant, ils ont même cru modifier la nature même de l’image – la détourner de sa fonctionnalité initiale : aider à la perception ; et lui en substituer une nouvelle : favoriser, influencer l’achat. Car n’est-ce pas là ce qui sous-tend nombre de modèles de pré-testing publicitaire, où l’on évalue successivement les effets d’une annonce sur une image de marque – et notamment ses attributs subjectifs –, puis son pouvoir de persuasion… et les corrélations sous-jacentes.
Toutefois, si la BMW constitua une des incontournables règles d’appartenance à une élite sociale, le T shirt Com8 – la marque de Joey Starr – re-présente plus l’exception communautaire : les consommateurs rejettent de plus en plus la dictature des marques, comme en apportent la preuve le succès du livre de la journaliste canadienne Naomie Klein : No logo, ou les récents déboires de Nike par exemple*. Sans développer plus avant la question ici, force est de reconnaître que les valeurs identitaires déclenchent de moins en mois d’actes d’achat : il suffit de voir le succès des produits low costs ou des non marques pour s’en convaincre.
Dès lors, toutes les dimensions dont les publicitaires ont peu à peu chargé l’image de marque se révèleront bien inutiles : à quoi bon vanter le prestige lié à la possession d’un porte-plume laqué auprès de bobos qui considèrent que tous les stylos se valent bien !
Dès lors, les marques doivent à nouveau se battre sur leurs composantes fondamentales : fiabilité, fonctionnalité, ergonomie, gustativité ; d’aucuns comme Danone ont déjà bien entamé la réflexion en vendant de la santé et du bien-être, bien au-delà de la simple alimentation.
L’exercice présente quelques limites : la seule qualité ne justifie plus des marges aussi confortables à l’heure où bien des consommateurs estiment qu’il n’y a plus vraiment de mauvais produits et achètent en toute confiance des marques inconnues – d’où le recentrage de la bataille sur les prix !
Le champ compétitif s’en trouve soudain restreint : à quoi bon alors gas-piller son argent en publicité, simplement pour crier – comme tous ses concurrents – que l’on est le meilleur, quand les clients ne distinguent pas vraiment de différence ?
Heureusement les chercheurs de l’Université du Wisconsin** viennent ici au secours des publicitaires : ils proposé à des volontaires une boisson désagréable, en affirmant à une partie d’entre eux qu’il s’agissait d’une bonne soupe, et l’inverse aux autres. Résultat : les premiers l’ont jugée acceptable, les autres infecte !
Sans nous attarder sur les modifications de l’activité cérébrale engendrées par les avis préalablement exprimés – deux zones apparaissant plus parti-culièrement concernées, l’insula et l’opercule droit –, retenons simplement que les cogniticiens arrivent à détecter avec précision les fonctionnements sur le cerveau des mécanismes d’influence.
Et qu’une image riche déclenchera plus efficacement l’achat qu’une autre – sous réserve que le différentiel de prix demeure acceptable : les publici-taires ont encore de beaux jours devant eux – cependant un peu plus durs qu’auparavant !
*La firme américaine proposant de personnaliser ses chaussures d’un mot choisi par ses clients, un internaute, Jonah Peretti, souhaita inscrire sur les siennes le mot « sweatshop » pour « rappeler l’effort et le travail des enfants qui ont fabriqué mes chaussures ». Refus embarrassé de Nike qui découvre avec stupeur, mais trop tard, la publication de la demande, et surtout de ses réponses gênées, sur divers sites du Net.
**Résultats publiés sur : http://www.nature.com/neuro/index.html
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Le marketing doit apporter de l'humanité
Propos recueillis par François Rouffiac
Les marques technologiques de demain ne seront plus celles d'aujourd'hui. Un des messages que François Laurent fait passer dans son dernier livre consacré à leur mutation. Le tout sur fond de changement de civilisation.
POURQUOI AVOIR ÉCRIT CE LIVRE QUI MILITE EN FAVEUR D'UNE “NOUVELLE POSTURE MARKETING” ?
François Laurent : Lorsque je suis entré dans le groupe Thomson, j'ai découvert le monde du high tech, en pleine bulle technologique. Personne ne se posait trop de questions. Tout fonctionnait bien. On pensait qu'il fallait mettre un peu de marketing dedans, mais, globalement, c'était l'Eldorado. Tout naturellement, après mon livre sur les études de marché, j'ai eu envie d'écrire sur ce secteur. Mais, au fur et à mesure de son avancement, j'ai constaté un décalage de plus en plus frappant entre ce qui avait été vécu avant et l'évolution en cours. Je me suis aperçu que tous les outils, tout ce que l'on pensait du consommateur... s'effondrait. J'ai vu aussi comment les jeunes évoluaient avec la technologie, comment ils réagissaient par rapport aux marques. Petit à petit, ils construisent une société qu'à l'évidence on ne comprend pas. Parce que l'on ne sait pas les observer.
SELON VOUS, LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES N'ENGENDRENT PLUS AUJOURD'HUI QUE DES FREINS. POURQUOI NE SAVENT-ELLES PLUS SÉDUIRE ?
Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il n'y a que très peu de réelles innovations de rupture. Ces dernières années, hormis la téléphonie mobile, Internet et, dans la foulée, la compression numérique, on n'a pas vu grand-chose. En revanche, on essaie de vendre au consommateur des tas d'améliorations comme s'il s'agissait d'évolutions fabuleuses. Mais le consommateur est réellement gavé. Il a une indigestion, une overdose. Prenons le cas de la téléphonie mobile, qui ne date pas d'hier, mais des années 80, avec le Radiocom 2000. Il y a trois-quatre ans, la France s'est équipée ; tout le monde était content. Les gens s'appelaient, les jeunes envoyaient des SMS. A peine cette situation installée, on leur a proposé une autre superbe application, le Wap, et il fallait l'acheter tout de suite parce que, demain, allait arriver l'UMTS ! Tout le monde y croyait, même au plus haut niveau de l'Etat. Mais le consommateur s'est dit “Un téléphone, très bien. Mais ai-je vraiment besoin de plus ?” Donc : “Stop, j'arrête et après je verrai”. Si l'on n'avait pas annoncé sans arrêt que ce qui existait allait être dépassé, peut être que les gens n'auraient pas été effrayés. Quel est l'intérêt pour le consommateur d'acheter un produit dont on annonce déjà l'obsolescence ? C'est pareil pour les ordinateurs, pour les appareils photo numériques, où l'on a vu la course aux pixels. Il arrive un moment où les gens ne savent plus, où ils ne suivent plus et donc attendent.
QUELLES SONT LES AUTRES RAISONS ?
Nous sommes sur des marchés où il faut toujours aller plus vite, toujours être le premier à lancer un produit. Ce qui amène à des produits pas totalement au point ou de plus en plus compliqués, que les gens ne savent plus utiliser. Ils sont perdus, ils ont besoin de respirer, de se calmer. Dernière chose : si le consommateur n'achète pas maintenant, il ne va pas en souffrir. Il dispose de plus d'appareils qui lui facilitent la vie qu'ils n'en a jamais eus. Mais, pour les entreprises, un marché qui se rétrécit un peu, c'est un catastrophe. Deux mois de décalage peuvent faire passer un marché dans le rouge. Et, s'il passe dans le rouge, les entreprises vont baisser les prix, pour vendre. En fait, on est passé de l'Eldorado à un désastre.
POURQUOI RENDEZ-VOUS RESPONSABLES DE CETTE SITUATION AUSSI BIEN LES FABRICANTS QUE LES MÉDIAS ?
Les fabricants n'ont pas le choix. Ils n'en ont pas d'autre que celui de la fuite en avant. La recherche avance et il n'ont pas le droit d'être dépassés. S'ils vont moins vite, leurs concurrents font tout de suite me too. Quant aux médias, ils aiment bien mettre en avant des choses qui attirent le consommateur. C'est amusant de voir, comme dans Minority Report, un magasin vous accueillir par “Bonjour Monsieur X”. Et vous dire “Aujourdhui, les cravates rouges que vous aimez sont en promotion.” Cela fait rêver, mais a-t-on vraiment envie de vivre cela au quotidien ? Pour nous faire rêver, les médias nous emmènent dans un au-delà extraordinaire. Ils jouent leur rôle. Mais, lorsque cela se retrouve dans le présent, il y a un clash. Ce qui est excitant dans le futur n'apporte que des tracasseries dans le présent.
POUR QUELLES RAISONS ESTIMEZ-VOUS QUE LE MARKETING EST EN CRISE ?
On se trouve face à un marché d'offre. Sur lequel, entre les premières recherches et la mise en marché, il s'écoule un temps très long. Près de quinze ans, par exemple, pour le baladeur mp3. Et le consommateur aujourd'hui est satisfait de ce qu'il a. Il n'a pas de besoins criants. A partir de là, on ne peut pas appliquer des concepts marketing à la Procter ou à la Gillette, même si on peut se poser la question de savoir si une troisième, ou une quatrième lame, est vraiment utile... Pendant des années, on a lancé de nouveaux produits technologiques et, grosso modo, cela fonctionnait. Il pouvait y avoir des erreurs stratégiques, du type créer son propre standard de magnétoscope, mais on ne voyait pas de morts gigantesques. Aujourd'hui, il y a des morts : le téléphone satellitaire Iridium, le magnétoscope à bande numérique, lancé après le DVD... On ne peut plus se contenter d'avoir une technologie, de la packager et de la vendre. Il faut réinventer des outils marketing pour essayer de comprendre comment le consommateur va acheter des produits technologiques. La première choses à faire, et c'est là qu'il faut une autre posture, c'est de se dire qu'il ne faut pas espérer avoir une “Killing Application”, qui va tuer les concurrents. Les consommateurs n'attendent pas cela. Il faut être humble et essayer de voir comment packager une technologie qui avance, pour la rendre acceptable et ne pas “planter” quinze ans de recherche en six mois. Pour les produits technologiques, le problème du marketing aujourd'hui, c'est d'essayer de voir comment placer un produit corectement, au bon moment, au bon endroit et à un prix acceptable. La différence de succès entre l'i-mode japonais et le Wap européen, pourtant plus élaboré, s'explique par le fait que les hommes japonais ont une vie nomade et que l'i-mode apportait des possibilités complémentaires au mobile à des gens ne rentrant pas chez eux le soir. Je ne pense pas qu'ils l'attendaient mais cela a amélioré leur vie. En Europe, cela n'a pas fonctionné, parce que les gens avaient déjà du mal avec leur GSM. En même temps que le Wap, est arrivé le SMS qui, lui, n'a pas été marketé à ce moment là. Il a rencontré du succès auprès des jeunes qui avaient envie de communiquer entre eux de manière non rigide, de développer une communication “phatique”, d'avoir des relations informelles. Aujourd'hui, le SMS est marketé, mais il l'a été avec retard et, parce que, à la base, personne n'y croyait.
COMMENT ALORS MIEUX APPRÉHENDER LE CONSOMMATEUR ?
Lorsque l'on veut travailler sur l'innovation, lancer un nouveau produit technologique, il ne s'agit pas d'aller voir quelles sont les attentes du consommateur. Il n'en a pas et, même s'il en avait, on ne peut y répondre rapidement. Il faut donc sentir les évolutions, les tendances de la société, à court, moyen et long termes, trois niveaux complémentaires et différents. Le plus facile, c'est le court terme. L'offre études existe. Elle permet de bien naviguer à court terme, est utile pour la communication, pour faire du tuning de produits... Sur le plus long terme, il y a un problème. Nous sommes dans une société en complet changement. Ce n'est pas comme lors des chocs pétroliers, où, avant et après, c'était à peu près la même chose. Comme nous n'avons jamais connu autre chose que la société de consommation, on ne peut pas imaginer un autre possible. On ne comprend pas ce qui se passe. Mais, qui construit cette nouvelle société de demain? Ceux qui arrivent, qui n'ont pas les mêmes a priori que nous par rapport à la société de consommation. Ce sont les jeunes de 15-25 ans, qui savent utiliser la technologie. Il faut les regarder, aller chercher partout les petites traces qui préfigurent des mouvements d'ensemble, être à l'écoute de tous les côtés, aller discuter avec eux, aller dans les chat rooms... Réaliser de la veille sociétale pour voir ce qui émerge en termes de vécu.
ET POUR LE MOYEN TERME ?
La question est : entre le court et le long terme, comment voir les nouvelles valeurs qui émergent, comme l'éthique ? Comment appréhender la façon dont elles se sédimentent. Là, il faut des études de tendances à moyen terme. Et, à ma connaissance, il n'en existe pas. Le marché a besoin d'une étude originale, qui associe du quantitatif léger et beaucoup de qualitatif, sur le plan mondial. Ayant identifié ce besoin, j'ai convaincu deux instituts - un quali, Sorgem, et un quanti on line, Panel On the Web -, de collaborer pour mettre au point, ensemble, une étude qui sera vendue en souscription. Pour ce projet, qui verra le jour en 2005, nous avons aussi besoin de créer un club de quelques annonceurs, pour confronter les expériences.
POURQUOI PENSEZ-VOUS QUE LES ÉTUDES QUANTITATIVES SONT CELLES QUI PERDENT LE PLUS RAPIDEMENT LEUR PERTINENCE ?
Les consommateurs ne sont pas capables de comprendre les concepts nouveaux, qu'ils ont du mal à imaginer. Pour qu'ils en comprennent l'intérêt, il faudrait leur donner des prototypes. Mais on ne peut pas équiper deux mille personnes. Et l'on ne peut pas multiplier les données pour prendre des décisions qui seront toujours fausses parce que recueillies sur des gens non équipés. Il vaut mieux s'appuyer sur peu d'expériences, mais en profondeur. Et, une fois que l'on sait où l'on va, avoir des démarches quali pour vérifier que les présupposés vont fonctionner.
CONSIDÉREZ-VOUS QUE LES MARQUES TECHNOLOGIQUES SONT CONDAMNÉES ?
Quand les marques se sont lancées, elles signaient un produit, un bon produit. A un moment, les produits sont devenus des signes ostentatoires. Les marques ont changé, se sont chargées de valeurs qui n'étaient plus liées au produit. Aujourd'hui, on change de civilisation. On n'est plus dans une civilisation de statut social, mais dans une civilisation différente. Si l'on continue de vendre les marques de la même façon, on va avoir des soucis parce que, aujourd'hui, les gens retournent aux fondamentaux, au produit. Ce qui est important, c'est que le marketing comprenne que ce sont plus les mêmes marques qu'avant. Et cela se complique parce que la marque doit, non seulement être synonyme de qualité, mais en plus doit répondre aux valeurs de la nouvelle société qui arrive. C'est d'ailleurs ce que demandent les jeunes : que la marque retrouve ses fondamentaux. Etre un bon spécialiste - et si les jeunes ne voient pas quelque chose de différent, ils vont vers le moins cher - et, en plus, être quelqu'un de bien. Pour vous, quel doit être désormais le rôle du marketing ? FL : Faire son métier et le faire correctement. Faire de bons produits et le dire, le démontrer. C'en est fini de faire du marketing sur de mauvais produits et d'attendre de voir s'ils se vendent ou non... Aujourd'hui, une nouvelle civilisation est créée par les jeunes qui y mettent de la simplicité, des valeurs plus réelles... pour qu'elle soit bien meilleure que la fin de celle que l'on vit. Il y a beaucoup d'espoir. Et de l'espoir aussi pour le marketing. Mais il faut le penser à l'aune de cette civilisation qui se crée et non plus appliquer les mêmes recettes qu'hier. Aujourd'hui, le plus grand danger, ce sont les écoles de marketing, qui enseignent des recettes alors que l'on doit d'abord comprendre une société qui change. Il faut des gens pour écrire le marketing du début de cette nouvelle société. Même s'il a été galvaudé, je crois que le terme “marque citoyenne” s'applique réellement aujourd'hui. Nous vivons dans un monde de plus en plus technologique, qui a tendance a se déshumaniser de plus en plus. Ce que doit apporter le marketing à ce monde, ce n'est pas de l'image de marque, mais essentiellement de l'humanité.
Marketing Magazine N°93 - 01/03/2005
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Consumer Insight versus Consumer Insight
Aujourd’hui tous les marketers ne jurent plus que par le Consumer Insight – ils sont si nombreux à en revendiquer la paternité, tellement que parfois on pourrait se demander tous parlent du même concept ! La réponse est évidemment non et l’explication en est aisée.
L’insight consommateur, à en relire quelques traités anciens, s’apparentait initialement à une sorte de vision forte faite de motivations et/ou de manques, destinée à justifier un bénéfice consommateur – et qui se plaçait généralement en tête de toute copy stratégie et de tout positionnement produit.
Dès lors, quoi de plus normal que de traquer ces insights, inépuisable source d’inspiration d’une activité marketing bien structurée. Le seul problème, c’est qu’aujourd’hui, de telles approches ne marchent plus vraiment, pour au moins deux raisons essentielles : d’une part aujourd’hui les consommateurs, gavés d’innovations plus formidables les unes que les autres – et bien souvent tout aussi décevantes – aspirent à souffler.
Et par ailleurs, nous ne vivons pas une époque troublée, comme put l’être le début des années 90, après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein et le retour de la crise économique ; non, nous nous situons à l’aube d’une autre civilisation, comme j’ai pu le souligner dans un récent ouvrage , et les citoyens réagissent parfois – de plus en plus souvent – de manière désordonnée, pour ne pas dire désespérée, et totalement incohérente.
D’où le développement de phénomènes tels que le Slow Tech – la recherche systématique de technologies déjà installées, voire légèrement dépassées, – le Low Cost – recherche tout aussi systématique des prix les plus bas. Avec pour conséquence la remise en cause d’une des valeurs les plus fondamentales du marketing : la marque !
Les plus virulents dans ce combat – et les plus experts à aller dénicher le « bon produit » parmi les no names – ce sont les jeunes : les lycéens, les étudiants, les jeunes couples. Pour des raisons idéologiques : cf. le livre de Noami Klein ; des raisons pragmatiques : ils deviennent aussi experts que nos chefs de produits – et nettement plus que les vendeurs dans bien des magasins, grâce à Internet, notamment.
Lycéens, étudiants, jeunes couples sans enfants : autant d’étapes de vie décisives, sur lesquelles doit se porter toute notre attention si l’on veut comprendre vers quoi se dirige notre société – de moins en moins notre société de consommation – et qui seront nos clients. Qui sont-ils même déjà, dans bien des cas.
Comprendre comment ils forgent de nouveaux modes de vie – et de consommation. Et cela, impossible de l’appréhender par le petit bout de la lorgnette : il convient de saisir comment ces nouveaux citoyens s’organisent, dans la globalité de leur quotidien. Prenez un étudiant : son nomadisme va influer tant sur ses modes vestimentaires – décontraction – ou alimentaires – fast food – que musicaux – baladeurs mp3, etc.
Cette manière d’appréhender les individus dans la globalité de leur vie de citoyens et de consommateurs, c’est ainsi que nous définirons aujourd’hui le Consumer Insight… si loin du Consumer Insight d’hier.
Ce qui change, c’est la fin des certitudes et la prédominance du qualitatif : en des périodes aussi troublées, inutile d’espérer se fonder sur des motivations sûres et quantifiables – juste des pistes, des tendances, que nous dévoilent la riche palette des approches qualitatives, traditionnelles – ou moins : ethnologie, éthologie, etc. Et là porte ouverte à l’imagination, tant sur le plan de la recherche que de la création de produits et services.
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