29/03/2006
L’image de marque au fond d’une assiette de soupe
L’image de marque existe, nous confirmaient récemment les spécialistes des sciences cognitives : elle facilite notre perception des produits qui s’offrent à nous. En favorise-t-elle pour autant l’achat ? Moins sûr !
Le contenu en était, à l’origine, extrêmement simple : elle se chargeait des caractéristiques factuelles et fonctionnelles des produits commercialisés – des berlines familiales et fiables ; une lessive efficace mais qui affadit les couleurs ; etc. De quoi éviter à la ménagère de se poser sans cesse les mêmes questions en faisant ses courses, la mémoire à long terme contribuant logiquement à la perception et l’identification des biens.
Un peu comme lorsque je reconnais un ami dans la rue, et sait qu’il va me tenir la jambe si ne l’évite pas parce qu’il est particulièrement bavard ! Ou qu’il peut se révéler de conseil avant d’acheter un lave-linge.
Au fil des ans marketers et publicitaires en ont profondément modifié, non la nature, mais le contenu, l’enrichissant de valeurs superfétatoires : cau-tion de qualité, initialement fondée sur l’analyse très fine des motivations et des freins, elle s’est peu à peu muée en en symbole d’appartenance, en véhicule identitaire : la liste serait longue, de la BMW des cadres dynamiques d’hier au sportswear Com8 des banlieues d’aujourd’hui !
Ce qui caractérisa même la société de consommation, à en écouter Baudrillard : « Les objets ne s'épuisent jamais dans ce à quoi ils servent, et c'est dans cet excès de présence qu'ils prennent leur signification de pres-tige, qu'ils "désignent" non plus le monde, mais l'être et le rang social de leur détenteur… »
Ce faisant, ils ont même cru modifier la nature même de l’image – la détourner de sa fonctionnalité initiale : aider à la perception ; et lui en substituer une nouvelle : favoriser, influencer l’achat. Car n’est-ce pas là ce qui sous-tend nombre de modèles de pré-testing publicitaire, où l’on évalue successivement les effets d’une annonce sur une image de marque – et notamment ses attributs subjectifs –, puis son pouvoir de persuasion… et les corrélations sous-jacentes.
Toutefois, si la BMW constitua une des incontournables règles d’appartenance à une élite sociale, le T shirt Com8 – la marque de Joey Starr – re-présente plus l’exception communautaire : les consommateurs rejettent de plus en plus la dictature des marques, comme en apportent la preuve le succès du livre de la journaliste canadienne Naomie Klein : No logo, ou les récents déboires de Nike par exemple*. Sans développer plus avant la question ici, force est de reconnaître que les valeurs identitaires déclenchent de moins en mois d’actes d’achat : il suffit de voir le succès des produits low costs ou des non marques pour s’en convaincre.
Dès lors, toutes les dimensions dont les publicitaires ont peu à peu chargé l’image de marque se révèleront bien inutiles : à quoi bon vanter le prestige lié à la possession d’un porte-plume laqué auprès de bobos qui considèrent que tous les stylos se valent bien !
Dès lors, les marques doivent à nouveau se battre sur leurs composantes fondamentales : fiabilité, fonctionnalité, ergonomie, gustativité ; d’aucuns comme Danone ont déjà bien entamé la réflexion en vendant de la santé et du bien-être, bien au-delà de la simple alimentation.
L’exercice présente quelques limites : la seule qualité ne justifie plus des marges aussi confortables à l’heure où bien des consommateurs estiment qu’il n’y a plus vraiment de mauvais produits et achètent en toute confiance des marques inconnues – d’où le recentrage de la bataille sur les prix !
Le champ compétitif s’en trouve soudain restreint : à quoi bon alors gas-piller son argent en publicité, simplement pour crier – comme tous ses concurrents – que l’on est le meilleur, quand les clients ne distinguent pas vraiment de différence ?
Heureusement les chercheurs de l’Université du Wisconsin** viennent ici au secours des publicitaires : ils proposé à des volontaires une boisson désagréable, en affirmant à une partie d’entre eux qu’il s’agissait d’une bonne soupe, et l’inverse aux autres. Résultat : les premiers l’ont jugée acceptable, les autres infecte !
Sans nous attarder sur les modifications de l’activité cérébrale engendrées par les avis préalablement exprimés – deux zones apparaissant plus parti-culièrement concernées, l’insula et l’opercule droit –, retenons simplement que les cogniticiens arrivent à détecter avec précision les fonctionnements sur le cerveau des mécanismes d’influence.
Et qu’une image riche déclenchera plus efficacement l’achat qu’une autre – sous réserve que le différentiel de prix demeure acceptable : les publici-taires ont encore de beaux jours devant eux – cependant un peu plus durs qu’auparavant !
*La firme américaine proposant de personnaliser ses chaussures d’un mot choisi par ses clients, un internaute, Jonah Peretti, souhaita inscrire sur les siennes le mot « sweatshop » pour « rappeler l’effort et le travail des enfants qui ont fabriqué mes chaussures ». Refus embarrassé de Nike qui découvre avec stupeur, mais trop tard, la publication de la demande, et surtout de ses réponses gênées, sur divers sites du Net.
**Résultats publiés sur : http://www.nature.com/neuro/index.html
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