01/04/2009
Marketing et schizophrénie
S'il est aujourd'hui une profession frappée de schizophrénie, c'est bien le marketing.
Comme tout Français moyen, le marketer s'étrangle le matin en écoutant les informations, quand les journalistes évoquent les bonus des patrons voyous ; puis s'indigne quand ils soulignent la chute du pouvoir d'achat des plus pauvres de leurs concitoyens ... et s'inquiète quand un livre récent narre le malaise grandissant des classes moyennes.
Au bureau, business as usual, le marketer cherche à tout prix à développer des produits à forte valeur ajoutée, s'appuyant sur le modèle des industries du luxe ; il multiplie les gadgets, les différenciations "marketing" ... c'est-à-dire ne reposant sur aucune réalité technique, aucune réelle innovation.
L'innovation, parlons-en, il n'a que ce mot à la bouche : innover, toujours innover, pour se distinguer des concurrents !
Après avoir rempli son dossier pour être élu "Produit de l'année" - ça lui coûte assez cher, d'autant que les catégories se multiplient plus vite que les pains en une autre époque -, il peaufine une opération de marketing direct sophistiquée : data miners et profilers ont bien fait leur job, on va inonder les boites mail !
Et zou, il est 19 heures, je saute dans ma voiture, direction la maison : home, sweet home.
France Info parle de la montée du chômage et laisse la parole à des Français qui disent se serrer de plus en plus la ceinture : finies les marques, on n'achète plus que des produits pas cher, ceux tout en bas des rayons ... de toutes façons, "c'est tout pareil".
En parlant de rayons, un petit détour par le supermarché voisin, quelques courses pour le repas du soir.
Tiens, c'est quoi ces nouveaux yaourts ? Et ces nouvelles éponges ? Mais qu'est-ce qu'ils vont pas inventer chez xxx et yyy ? Vraiment des produits ..., comment ils disent, les consommateurs ? Des produits marketing ! Et dire qu'il y en a qui achètent ça !
Après le repas, notre marketer se connectera encore sur sa boite mail personnelle pour pester contre tous ces maudits spams ... qui n'en sont pas vraiment, puisqu'il a coché la case "opt in" adéquate sans se douter de la montagne de messages à laquelle il s'exposait !
Tiens l'offre promotionnelle d'une compagnie aérienne dont il détient la carte de grand voyageur : "Feraient mieux de répondre à mes réclamations", peste-t-il avant d'aller se coucher ... oubliant même dans ses pires cauchemars tous les mails de fidélisation qu'il a expédié dans la journée.
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06/03/2009
Comportements compensatoires ... et les autres
Tout va bien ...
"Nous n'avons jamais vendu autant de Champagne à Noël", se félicitait récemment le directeur général de Monoprix (Challenges du 26 Février 2006).
En période de crise, se constatent de nombreux achats compensatoires : comme je vais avoir à me serrer la ceinture, si ce n'est pas déjà le cas, je me fais un petit plaisir.
Voire un plus gros plaisir, chacun selon ses moyens : il y avait beaucoup de monde sur les pistes de ski ces dernières semaines ... et la qualité de la neige n'explique pas tout.
Voire je renonce à changer de voiture cette année ... et j'en profite pour aller claquer quelques euros au restaurant avec des copains.
De tels phénomènes compensatoires sont bien connus des marketers qui les traquent, je dirais presque, avec délectation !
Et tout cela nous donne l'image d'une France qui avance cahin-caha, avec des hauts et des bas ... peut-être un peu plus de bas que de hauts, mais quand même !
Sauf que les moyennes n'ont jamais contribué à de bons résultats d'études : quand l'Insee me dit que le revenu moyen des Français s'élève à 10600 euros (en 2006), cela me cache que 10% d'entre eux gagnent moins de 7500 euros, soit 625 euros par mois : on ne sert pas la ceinture de la même manière ...
Résultat : à côté de ceux qui se consolent en consommant, encore et toujours, il y a la masse grandissante de ceux qui n'en ont plus les moyens.
Ceux qui tirent sur le crédit pour boucler les fins de mois.
Qui font partie des ces "6 millions de Français [qui] reconnaissent qu'ils peinent à rembourser leurs dettes", comme le soulignaient les organisateurs du récent colloque : Crédit, consommation, croissance et urgence sociale.
A trop regarder le bon côté des choses - le Champagne coule à flots - on risque d'en négliger, non pas le mauvais ... mais simplement la réalité !
17:49 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
04/03/2009
Une crise peut en cacher une autre ...
Tout le monde a les yeux tournés vers les bourses, qui dévissent, les banques, qui creusent les pertes, les états, qui cumulent les plans de relance ... tandis que les experts jouent à se faire peur, comme Klaus Schmidt-Hebbel, économiste en chef de l’OCDE, déclarant récemment à Libération : "Le pire des scénarios est en train de se matérialiser".
Et tout ça, quel effet cela va-t-il avoir sur le consommateur ?
Car finalement, jusqu'à ces derniers mois, la consommation se portait plutôt bien en France, avec des dépenses des ménages progressant bon an, mal an, d'environ 2,5% par an, en volume, de 2000 à 2007, selon l'Insee.
Les ménages semblaient même plutôt s'en sortir, avec une hausse moyenne des prix à la consommation entre 1,2% et 2,4%, excepté un pic à 3,6% à la mi 2008, mais sans lendemain, semble-t-il.
Les ménages ? Tous les ménages ? Certainement pas, et c'est là que le bâts blesse.
Les revenus déténus par les 10% de foyers les plus riches (en bon jargon statistique, l'Insee parle de "masse des niveaux de vie") sont passés de 22,6% à 24,5% de la totalité des revenus disponibles en France de 2002 à 2006, et la part des 3 déciles les plus pauvres, de 16,2% à 15,3%.
Ou pour lire les chiffres d'une autre manière, les revenus à disposition des 10% de foyers les plus riches représentaient 5,7 fois ceux des 10% les plus pauvres en 2002 ... et 6,8 en 2006.
Bref, les écarts se creusent, et très certainement, la consommation n'a-t-elle pas pareillement progressé pour tout le monde !
Pour les 20% de Français les plus pauvres (les deux premiers déciles de l'Insee), le poste "Logement, eau, électricité, et combustibles" représentait en 2001, 22,2% de leurs dépenses totale : en 2006, il grimpe à 24,8% ! Certainement pas parce ces derniers se sont plus confortablement installés : non, simplement les loyers ont flambé.
Dès lors, moins d'argent pour le poste "Produits alimentaires et boissons non alcoolisées", qui chute de 20,3% à 17,7% sur la même période : il faut bien rogner quelque part pour boucler les fins de mois.
Le poste "Transports", quant à lui, est passé de 11,7% à 11,1% : un bonne secousse là-dessus, et c'est l'automobile qui craque aujourd'hui !
Pourtant, les prix de l'alimentation sont certainement ceux qui ont le plus flambé ces dernières années, jusqu'à +6% en 2001 (passage à l'euro) et 2008. L'indice des prix des produits manufacturés tournent depuis plusieurs années autour de +2,4% par an, celui des services flirte avec le zéro.
Bref, avec des revenus en constante baisse, un bon quart de la population française doit aujourd'hui faire face à des hausse brutales de prix ... et procéder à des redoutables arbitrages budgétaires, arbitrages qui les conduisent à se restreindre même sur le nécessaire (l'alimentation).
Des Français qui ne peuvent plus se payer les marques haut de gamme, ni même le moyen de gamme ... bientôt même plus les marques distributeurs ou les marques premier prix : ces gens-là, comment les entreprises - et le marketing - vont-elles pouvoir en tenir compte ?
20:11 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
20/02/2009
La musique ... C.A.S.H.
Vous connaissez Kristin Hersh ?
Cette "chanteuse auteur compositeur américaine célèbre et prolifique qui exécute des concerts solo acoustiques" - dixit Wikipédia - s'est toujours située en marge des circuits "classiques" de production, créant notamment en 1996 avec son manager O'Connell le label ThrowingMusic, et proposant déjà un service de téléchargement par abonnement appelé Travaux en Cours.
Fin 2007, elle lance le projet C.A.S.H. pour Coalition of Artists and Stake Holders : l'idée est d'assurer aux artistes une sorte de garantie de ressources.
Concrètement, les amateurs souscrivent à un abonnement de soutien trimestriel de 30$, en échange de quoi, l'artiste s'engage à créer un nouveau titre par mois, disponible en téléchargement ; cela étant, rien ne vous empêche d'écouter gratuitement ces chansons sur son site, voire même de les télécherger : c'est un peu comme pour In Rainbows de Radiohead, chacun paie ce qu'il juge pertinent.
Ou de l'écouter sur Deezer : les jeunes de la Génération Y non seulement délaissnt la notion d'album pour privilégier l'écoute par titre ; mais ils abandonnent l'idée même de possession et se contente de l'écoute en stream.
Et dans la rue ? Deezer annonce la prochaine adaptation de son application aux smartphones BlackBerry : le flux plus que l'achat, même si on parle désormais d'abonnement mensuel, quel vilain mot !
Reste pour les irréductibles de la gratuité la possibilité de récupérer sur son PC les flux en provenance de Deezer ; certes, le site a levé quelques barrières (ainsi DownloadHelper, le petit module complémentaire de Firefox n'est plus opérant) mais pas très contraignantes cependant.
Sinon, dernières nouvelles sur le front de la musique en ligne, et plus particulièrement sur celui du "piratage" : alors que les parlementaires de la majorité palabrent toujours pour éradiquer cette "plaie" ("plaie" pour mes majors bien évidemment, pas pour les artistes), ils se voient accuser par le groupe américain MGMT d'avoir utilisé leur titre Kids sans autorisation, lors du Conseil National du 24 janvier.
Bouh ! Pris la main dans le sac comme un sale adolescent !
13:44 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
27/01/2009
Quel avenir pour le luxe ?
Suite de l'article paru le 20 janvier.
Fonder dessus une industrie du luxe, suppose avérés – et ce, en permanence – deux postulats :
- Une réserve suffisante de clients : tant que le luxe demeurait artisa-nal, pas de soucis ; mais industrie, et même celle du luxe, rime avec lignes de production.
- Que le moteur financier, lui, ne cale pas … qu’en d’autres termes, l’expérience unique et personnelle ne passe pas par d’autres vecteurs.
Le marketing adore le luxe … tous les marketers en rêvent : normal, luxe signifiant marges élevées ; je n’ai jamais rencontré d’étudiants proposant spontanément de traiter dans leurs exposés du marketing des produits low cost – voire plus prosaïquement de l’entrée de gamme !
Avec la crise économique, les consommateurs vont nécessairement revisiter leurs arbitrages financiers – et la consommation faiblit déjà. Le marché du luxe va certainement se tendre, redevenir un marché de niches.
Pas grave en soi … sauf que le marigot ne nourrira plus la même multitude de crocodiles affamés de marges élevées : le marché du luxe est celui de la facilité … intellectuelle en marketing ! Des générations qui ont appris à construire tous leurs plans à partir de la seule politique de prix !
Bien sûr, il y aura toujours des riches, il y aura toujours des oligarques russes et des princes saoudiens ! Bien sûr, il y aura toujours des privilégiés – des vrais, ceux à parachutes dorés – en France et ailleurs : en restera-t-il assez pour toutes les marques de luxe ?
Les historiques et les autres ?
Le second postulat apparaît encore plus fragile.
Les années 1970 à 2000 furent en France celles de la possession et du paraître, comme le soulignera Baudrillard : « On ne consomme jamais l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) – on manipule toujours les objets (au sens large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur ».*
D’où l’émergence d’une nouvelle forme de communication publicitaire "identitaire", détournant le message du produit vers son possesseur : sémiotiquement parlant, ce n’est plus l’objet qui se voit qualifier, mais son propriétaire.
Dans un tel contexte, la seule possession d’objets de luxe peut aisément s’assimiler à une expérience unique et personnelle : je m’épanouis en acquérant une montre Rolex, un sac à main Gucci, etc.
Aujourd’hui, une page sociétale se tourne, l’être l’emporte à nouveau sur l’avoir et le paraître : le Web 2.0 est passé par là.
Rédiger un papier sur mon blog constitue pour moi une expérience unique … impossible il y a dix ans ! Publier une vidéo sur un réseau social, pareil-lement, participer à un wiki, etc.
Bien sûr, tous les Français ne vont pas se muer en blogueurs, en acteurs du Web 2.0 : mais une page se tourne, et tous les Français ont réalisé que la seule possession d’objets ne constituait plus le luxe ultime … ou unique !
Une des avancées majeures du Web 2.0 n’est pas seulement d’avoir per-mis à des millions d’individus de par le monde d’accéder à un luxe qui leur était auparavant refusé : pouvoir s’exprimer – exprimer leurs passions – aux yeux de tous.
Non, elle est d’avoir apporté la preuve que l’on peut s’épanouir – et vivre des instants personnels inoubliables – autrement que par une dépense importante, exubérante. Que le "vrai luxe", finalement, se situe ailleurs. Le futur du "vrai luxe", je le vois comme la redécouverte des valeurs d’être et d’expression.
Celui de l’industrie du luxe, je le vois un peu moins bien.
* Jean Baudrillard : La société de consommation, Paris, Gallimard, 1979.
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