24/03/2009
Les emplois de Fabrice Lacombe
Fabrice Lacombe vient de publier avec Lucie Robequain : Les emplois de demain, au Cherche Midi, une "prospective du marché de l'emploi et des métiers de recrutement à l'horizon 2015", comme le précise la sous-titre.
Rencontre avec le président pour la France du cabinet de conseil en recrutement Michael Page International et de l’entreprise de travail temporaire Page Personnel.
MarketingIsDead : L'art de de la prévision est difficile : tu évoques dans la première partie du livre l'attrait qu'exerce Londres sur les jeunes diplômés. Sauf ces dernières semaines, la City et la livre ont plongé : plus du tout aussi attractif l'expatriation anglaise ! Ne s'achemine-t-on pas vers d'autres flux migratoires ? Car "si vous avez encore une livre sterling en poche, vendez-là : c'est fini", déclarait récemment Jim Rogers, l'ancien associé de George Soros.
Fabrice Lacombe : La City demeure une place de référence mais, effectivement, la crise financière à inversé le marché de l'emploi qui n'est plus en faveur des candidats et, même si l'immobilier y est devenu plus accessible, une rémunération en livres présente moins d'avantages. Gardons tout de même en tête que le marché de l'emploi anglais a été certes très réactif à la baisse mais a aussi une capacité de rebond rapide très forte.
MarketingIsDead : Le portage salarial attire de plus en plus de fortes personnalités qui ont choisi la voie de l'autonomie et de l'indépendance ; des professionnels souvent de haut niveau qui ne comptent sur personne pour leur trouver des clients. Le portage, c'est, philosophiquement parlant, l'antithèse de l'intérim où le travailleur est totalement dépendant de l'entreprise qui le place : n'est-ce pas étrange de vouloir confier à l'intérim la mission d'encadrer le portage salarial. Surtout sans consulter les salariés portés qui sont plutôt hostiles à l'intérim.
Fabrice Lacombe : C'est un vaste et complexe sujet qu'il me semble dommage d'aborder de façon aussi polémique, le Portage est une nouvelle forme de travail en pleine expansion et répond à un vrai besoin, l'Interim a été sollicité pour apporter son expérience de la relation tripartite (expérience qu'aucune autre branche ne possède) afin de définir le cadre du portage (attention à ne pas mal interpréter le verbe encadrer), les portés n'ont donc pas vocation à devenir intérimaires, à suivre sur les mois qui viennent afin de voir commence avancent les choses.
MarketingIsDead : La sortie des seniors du marché du travail n'est pas gérée : les garder plus longtemps n'est pas la solution - même si je trouve scandaleux la politique d'une grande majorité d'entreprise de se débarrasser de ses quinquagénaires ! Le véritable question est celle de la transmission d'un savoir, d'une génération à l'autre, que nul ne songe à organiser.
Fabrice Lacombe : Oui. La question des séniors progresse mais pas assez vite, nous venons de publier au sein de l'association de cabinets de recrutement que nous avons co-fondée ("à compétence égale") un guide sur le sujet afin de continuer à faire avancer les choses, il y a la transmission du savoir mais aussi la contribution permamente des séniors au sein des entreprises qu'il faut revaloriser, un des axes est la mise en exergue de leur expérience, de leurs compétences.
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18/03/2009
Des études au Couché de Soleil
Couché de Soleil se disant Al-Maghrib en arabe, vous aurez évidemment compris que je voulais parler ici du ... Maghreb!
Et plus particulièrement de Marques et consommateurs, petit groupe récemment fondé par Latifa Alami et Dominique Esmieu, qui réalise des études pour des annonceurs locaux et internationaux en Algérie, au Maroc et en Tunisie.
C'est à l'invitation de Dominique que j'ai pu réaliser un petit voyage d'études en Algérie en Juillet dernier, et constater le dynamisme des professionnels locaux, souvent très jeunes et passionnés.
MarketingIsDead : Après des années et des années confortablement passées chez de grands annonceurs internationaux comme Colgate, pourquoi se lancer dans une telle aventure ?
Mon envie de bouger, voyager et travailler avec d'autres nationalités remonte à quelque temps déjà - en 1995 - quand j'ai commencé à voyager en Europe de l'Ouest étant nommé Consumer insight dans un Groupe d'Innovation Européen de Colgate.
En 1998, j'ai découvert l'Afrique / Moyen Orient en abordant le Liban et l'Arabie Saoudite. Puis le virus a pris et j'ai voulu continuer en volant de mes propres ailes et monter ma propre société...
MarketingIsDead : Ça ressemble à quoi, le marketing et les études, dans ces 3 pays ?
Bien sûr, le marketing reste le marketing. Néanmoins, les outils à la disposition des marketeurs sont un peu moins sophistiqués qu'en Europe Occidentale.
Par exemple, les panels de part de marché relèvent de la génération avant le scanning avec beaucoup d'imprécisions ; les données medias sont en train de changer avec l'introduction assez récente au Maroc de Médiamétrie ...
Les études sont aussi nécessairement plus « simples ». Cela ne veut pas dire que le travail est moins intéressant. Au contraire, il y a plus de possibilités d'action dans une société locale avec des marges de manœuvre réelles mais il faut bien connaître le contexte et surtout son mode d'emploi (bureaucratie, réalité sur le terrain).
Les équipes marketing sont en général très motivées et donc d'excellents interlocuteurs à aider et former à l'utilisation des études. Je dirais qu'on sent moins à leur contact la pesanteur des grosses structures verrouillées que l'on rencontre en Europe, surtout en termes de pouvoir de décision.
MarketingIsDead : De plus en plus de sociétés françaises y établissent des joint-ventures ou y créent des filiales, tant parce que les prix y sont plus que compétitifs que parce qu'on y trouve du personnel de plus en plus efficace ; mais en terme de consommation, y a-t-il un réel intérêt pour un industriel français de s'y lancer dans l'aventure ?
Les consommateurs de ces pays, les jeunes qui y sont très nombreux, ont les yeux rivés sur la France, l'Europe et bien sûr aussi les Etats-Unis. Ces pays sont de vrais référents.
Il y a un réel potentiel de développement en Afrique du Nord. Le Maghreb - en particulier l'Algérie - constitue un réservoir de croissance incontestable pour des industriels français mais le chemin est parsemé d'obstacles à franchir.
Il faut du temps pour réussir dans ces pays.
Il faut le bon partenaire, la bonne structure et très bien connaître le contexte légal ; les ministères gardent souvent un pouvoir bloquant (arbitraire ?) dans pas mal de cas.
Il y a des structures comme la Mission Economique, Ubifrance et la Chambre Française de Commerce et d'Industrie ainsi que beaucoup d'associations qui aident dans ce développement.
Le Maroc se distingue à cet égard des deux autres pays car il est un exemple d'intégration beaucoup plus avancée et ancienne - 10 ou 15 ans d'avance sur ses voisins.
En Algérie, la politique d'ouverture s'est renforcée depuis quelques temps après les années 'noires'du terrorisme mais la place prise surtout par la Chine est énorme dans les produits manufacturés, et les dégâts produits sur l'industrie locale importants. Par ailleurs, la politique économique algérienne est très conditionnée par le cours du baril de pétrole : si le pétrole baisse, les ressources principales baissent et le protectionnisme est à nouveau de mise.
Ce qui intéresse le plus les industriels maghrébins est un partenariat avec transfert de technologie. Ils sont assez réticents vis-à-vis des étrangers qui s'installent pour faire des affaires et rapatrier les dividendes sans impliquer l'industrie locale.
MarketingIsDead : C'est quoi, les conneries à ne pas y faire ?
Arriver en roulant des mécaniques en terrain conquis, en prétendant leur enseigner l'histoire de 'nos ancêtres les Gaulois'. Ils sont loin d'être stupides.
Ne pas dire je sais - mais écouter. Les choses fonctionnent très souvent de manière proche mais différente de ce qu'un Européen fait. Il faut observer, questionner et comprendre. Le Maghreb, c'est déjà l'Orient. En Orient, il faut savoir attendre. Ne pas être pressé mais établir des contacts - c'est essentiel.
Tout le business se fait par relation.
MarketingIsDead : Et la meilleure façon d'y réussir une étude de marché ?
Garder en têtes les principes de base des études et les utiliser en s'adaptant aux conditions locales. Bien connaître le terrain en s'appuyant sur les locaux et en les questionnant.
Bien expliquer ses exigences au niveau du terrain - enquêteurs, recruteurs, responsables terrain etc. Souvent, on entend dire « je sais, j'ai compris ». Surtout ne pas prendre ça pour argent comptant.
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16/02/2009
Les Valeurs de Thierry Wellhoff
Alors que l'on ne parle plus que d'édition numérique, les livres version Gütemberg s'empilent sur ma table de travail comme jamais : alors que le Web 2.0 offre de nouveaux espaces d'expression, souples et efficaces, les professionnels du marketing et de la communication semblent se hâter de laisser une dernière trace sur papier !
Dernier ouvrage reçu, celui de Thierry Wellhoff, qui "explore le sujet des valeurs d’entreprise", d'où le titre.
Les publicitaires ne sont pas avares de mots et expressions qui sonnent bien : ADN, 360 degrés, et ici valeurs d'entreprises ; je suis toujours méfiant, surtout aujourd'hui que les consommateurs mènent de plus en plus la danse : eux ne parlent pas de valeurs, plutôt d'entreprises qu'ils aiment bien, plus ou moins respectables, honnêtes.
D'où quelques questions à l'auteur un peu provocatrices ... auxquelles Thierry a immédiatement répondu, sans détour.
MarketingIsDead : La première valeur des entreprises en France, c'est l'innovation ; les valeurs des citoyens sont autres. Par ailleurs, 90 à 95% des innovations aboutissent à un échec : les entreprises semblent bien peu à l'écoute de leurs clients ! La première valeur d'une entreprise ne serait-elle pas d'écouter les clients plutôt que d'imposer son propre système de valeurs.
Thierry Wellhoff : Le fait d’avoir comme valeur l’innovation n’implique pas nécessairement que celles-ci réussissent. Écouter les clients n’est pas en soi une valeur mais plutôt un principe d’action qui pourrait (devrait ?) s’appliquer à toutes les entreprises et en particulier celles qui choisiraient de prioriser l’écoute parmi leurs valeurs pilotes.
MarketingIsDead : Quand on écoute les entreprises parler de leurs valeurs, on en a l'impression qu'elles ont le droit d'en décider unilatéralement, tout comme de leur image. Concernant leur image, certaines ont appris, parfois dans la douleur, qu'elles n'en étaient plus totalement maîtres, voire même propriétaire. N'en va-t-il pas de même des valeurs : quoi que disent Nike ou Adidas, ces sociétés ne seront jamais crédibles en terme d'éthique (Nike) ou d'humanité (Adidas) ?
Thierry Wellhoff : Plus que de question de droit c’est une question de management. Qu’elles aient été formalisées (je préfère ce terme « à définies ») ou non, les valeurs existent dans toute organisation. Le rôle du management est d’identifier à la fois ces valeurs existantes et celles qui seront le plus à même d’emmener l’entreprise vers son avenir. Elles n’en sont ni maître ni esclave mais plutôt « gestionnaire » et j’ajouterai volontiers « en bon père de famille ». Pour compléter et faire court : il s’agit de ne plus opposer le marketing et la morale (le bien et le mal) mais plutôt de concilier l’identité et l’éthique (le bon et le mauvais).
MarketingIsDead : Dialogue et échange sont des valeurs montante, notamment au sein de la communauté Internet et plus particulièrement Web 2.0 : les entreprises ne devraient-elles pas les prendre mieux en compte et non seulement les intégrer mais également les vivre au quotidien ?
Thierry Wellhoff : Cela rejoint l’écoute qui, bien sûr, est une qualité tout autant qu’une valeur éligible. Je ne peux être que d’accord pour dire que la communication ne peut être à sens unique !
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11/02/2009
Pour prolonger la Journée des Etudes #2
Pour prolonger les débats d'une Journée des Etudes (coorganisée par Adetem et Uda) extrêmement riche, j'ai posé quelques questions complémentaires à plusieurs intervenants.
Second à répondre présent, Franck Saunier, Fondateur de Saunier Conseil.
MarketingIsDead : Dans ta présentation, tu soulignes que 80% de la communication est non verbale, alors que les études se nourrissent essentiellement de communication verbale : cela veut dire que tout ce qui est majoritairement fait aujourd'hui est "faux" ou "inapproprié" ?
Non, cela signifie simplement que les techniques d’étude évoluent et peuvent s’enrichir d’une démarche de type Vidéoétude. Il convient de ne pas mettre dos-à-dos le verbal et le non-verbal. Ces deux registres sont indissociables et c’est ce qu’il nous appartient d’éclairer.
Si l’image animée est en soit un mode d’écriture et de transmission plus sensible pour rendre l’émotion transmissible et intelligible, pour autant elle n’échappe pas à ce qui fait structure : le langage.
La Vidéoétude est à la condition du langage. Il nous faut admettre que ces 80% de non verbal sont à la condition des 20% qui les organise et les structure soit le langage. Paradoxalement ce que nous appelons le non verbal voit son accessibilité subordonnée au verbe, à l’énoncé qui en fera sa promotion.
C’est tout le charme de l’exercice, accéder à une signification nouvelle, induite par ce grand vecteur émotionnel qu’est l’image.
MarketingIsDead : Quand une consommatrice repousse en faisant une horrible grimace un pot de yaourt, tout en déclarant vouloir l'acheter, est-ce de sa part un mensonge conscient ou inconscient ? Et quelles conclusions en tirer ?
Il ne s’agit nullement d’une intention de mentir ou de dissimuler, bien au contraire, il s’agit d’une envie de tout dire … En commençant par le plus important. Pour cette femme ce n’est pas le produit le plus important, c’est la relation !
Je m’explique. Sur le plan organoleptique, son corps manifeste un refus catégorique motivé par des sensations gustatives proche de l’écoeurement.
En revanche, le fait d’être interviewé, de plus par une sympathique chargée d’étude, sensible à ses dires, à l’écoute, tout cela lui procure beaucoup de plaisir …
Face à cette situation duelle, cette femme va privilégier ce qui, à cet instant, est essentiel c’est-à-dire la relation. Elle nous répondra donc qu’elle a adoré non pas le produit mais la relation. Elle s’est donc juste trompée de sujet …Pour nous faire plaisir !
Invitée dans un second temps à visionner le film (ethnographie réflexive) notre participante avouera ne pas avoir aimé le produit, mais avoir eu envie de nous faire plaisir « vous vous êtes donné tant de mal… ».
Ainsi la Vidéoétude permet d’accéder à un savoir inconscient, à des motivations intimes, et plus encore de se constituer comme un support symbolique invitant les participants à une lecture résolument nouvelle des événements observés.
« Je parle avec mon corps, et ceci sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je n'en sais » (Jacques Lacan - Séminaire XX Encore, page 108).
MarketingIsDead : Les extraits vidéos que tu as présenté sont impressionnants : mais pour capter un tout petit peu de matériel exploitable, ne faut-il pas enregistrer et visionner des heures de vidéo ... d'où un travail de Titan ... ou il y a des astuces ?
Bien plus que des astuces, la vidéoétude procède de techniques. Technique de capture des images, technique d’analyse, mais aussi technique de montage.
En ce qui concerne la technique d’analyse, nous dirons pour faire court qu’elle est fondée sur la reconnaissance de l’engagement émotionnel des individus filmés. Plusieurs indicateurs sont accessibles dans l’image. Intonations, mouvements, mimiques, signes émotionnels, l’ensemble de ces grands vecteurs permettra d’isoler des séquences et de faire naître une réalité étude nouvelle. La signification à la lumière de l’engagement émotionnel.
Jusque-là, sur le plan du temps passé, rien ne diffère de l’analyse de contenu traditionnel. Nous avons simplement troqué le stylo et l’emploi de la lettre, contre des ciseaux et le montage des images.
Aussi, le temps additionnel en Vidéoétude est la résultante de la richesse des éléments d’analyse qu’elle révèle, mais pas celui de la technique d’analyse ou de montage des images.
Il appartient donc au commanditaire de déterminer, par avance, le niveau d’analyse auquel il souhaite accéder pour déterminer le temps imparti à l’étude.
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09/02/2009
Pour prolonger la Journée des Etudes
Pour prolonger les débats d'une Journée des Etudes (coorganisée par Adetem et Uda) extrêmement riche, j'ai posé quelques questions complémentaires à plusieurs intervenants.
Premier à répondre présent, Daniel Bô, Président de Qualiquanti, dont je vous recommande également le blog : Marketing études.
MarketingIsDead : Tu me disais avant ton intervention qu’un questionnaire doit être une "expérience culturelle enrichissante". N’est-ce pas exagéré ?
Daniel Bô : Je ne dis pas que c’est toujours possible, mais ça doit être un objectif.
Lorsqu’on regarde le paysage des questionnaires proposés sur Internet, je constate qu’ils sont de plus en plus soignés sur le plan du design, mais souvent fastidieux et décevants.
Les questionnaires online sont imprégnés d’une culture rationnelle, informatique et technique et s’inspirent beaucoup du CATI. Le début du questionnaire à base de filtres jette une partie des interviewés inadéquats comme des malpropres. Le titre de l’enquête est rarement attirant et l’entrée en matière est mécanique. Même des questionnaires signés par des marques et adressés à des clients instrumentalisent les répondants.
La bonne volonté des répondants est maltraitée et ce n’est pas avec des incentives symboliques qu’on peut rattraper cette tendance à la démotivation. Pour le secteur des études, la bonne volonté des interviewés est une matière première quasi gratuite, il faut la préserver.
L’individu prend le contrôle, et le sait : on le voit dans tous les domaines du marché. Il n’y a pas de raison que les études échappent à cette tendance. Imagine que demain on arrête quelqu’un dans la rue pour une enquête et qu’il réponde "C’est 100 euros ou rien" (c’est déjà le cas pour certaines études B2B) ou que la jeunesse considère les enquêtes comme inutiles, inintéressantes et se détournent systématiquement.
Les conditions de possibilité de l’enquête seront très sérieusement compromises. Le développement durable des études passe donc par la stimulation et l’entretien de cette motivation.
MarketingIsDead : Comment s’exprime cette démotivation des interviewés ?
Daniel Bô : La démotivation affecte surtout les modes de recueils quantitatifs.
Elle concerne aussi bien le online que le téléphone ou le face à face. On peut citer quelques procédés qui altèrent la relation, démotivent les interviewés en favorisant des réponses bâclées :
- Taylorisation et anonymisation de l’enquête (pas de vrai échange, mais simple recueil où l’on pompe l’interviewé),
- Sélection massive d’individus «piochés» (pas considérés comme des personnes mais comme des échantillons),
- Questions ennuyeuses et répétitives « à la chaîne », batterie d’items multiples très éloignés d’une conversation, non naturelle, sans émotion,
- Filtres qui créent une relation asymétrique et non réciproque avec les interviewés.
Beaucoup de sociologues (les bourdieusiens, mais pas seulement) dénoncent depuis des décennies le manque d’égard vis-à-vis des interviewés considérés comme des cobayes disponibles.
Dans L’ivresse des sondages, Alain Garrigou pointe notamment" et "la coopération nonchalante" voire le refus de répondre des interviewés, dans un contexte de prolifération et de banalisation des sondages. Il met en garde vis-à-vis de la "mise en chiffres" de la "fantomatique opinion publique".
Les psychologues cognitivistes ajoutent la nécessité pour les enquêtes de capter les réactions émotionnelles des consommateurs. Les questionnaires quantitatifs standardisés font la part belle au rationnel au détriment de l'émotionnel. Ils mettent surtout l'interviewé dans une posture peu favorable à l'émotion.
Les études quantitatives font appel essentiellement au rationnel et oublient que nos capacités rationnelles s’ancrent d’abord sur nos émotions. L’émotion stimule l’activité cérébrale, et permet des réponses plus justes, plus investies, plus prédictives. Les questionnaires ennuyeux ou répétitifs, où l’on doit simplement cocher quelques cases suscitent peu d'émotion.
MarketingIsDead : En quoi les questions ouvertes constituent-elles une solution au problème de démotivation ?
Daniel Bô : C’est une partie de la solution. Les interviewés, plus particulièrement les latins, refusent d’être enfermés dans des questionnaires dans lesquels ils se sentent mal pris en compte et qui nient leurs spécificités.
La culture de l’enquête par questionnaire fermé convient mieux à la culture anglo-saxonne. Aux USA, les écoliers et étudiants sont évalués via des QCM alors qu’en France on est plus dans la culture de la copie, de la rédaction à la dissertation.
Les formats de questionnaires fermés standardisés empêchent l’expression de l’individualité et renvoient sans cesse le fait que l’individu s’inscrit dans une masse. L’américain l’accepte plus facilement car il valorise le fait d’appartenir à une communauté. Les questionnaires semi-ouverts permettent à chacun, s’il le souhaite, d’exprimer sa touche personnelle (qu’il est obligé de refreiner dans les enquêtes fermées).
Lorsqu’un interviewé répond à un questionnaire online fermé, il a l’impression de s’adresser à un ordinateur. Il n’aura pas de scrupule à jouer avec la machine. S’il y a des questions ouvertes, il aura le sentiment de s’adresser à quelqu’un qui va le lire et cela change totalement la posture.
L'approche semi-ouverte a le mérite de favoriser l'état émotionnel par les questions ouvertes qui permettent aux individus de s'associer à leur expérience et leur ressenti. Il faut s’efforcer de rendre les questionnaires stimulants et vivants par tous les moyens (sujet intéressant, ergonomie impliquante, plaisir esthétique, support à la réflexion et prise de conscience d’un sujet, intégration de stimuli, etc.).
Ce n’est pas un hasard si les modes de recueil qualitatifs (entretiens, groupes, quali online, etc.) ne sont pas touchés par ce problème.
MarketingIsDead : Comment peut-on concrètement construire ces expériences enrichissantes ?
Les instituts d’études doivent passer d’études mécaniques à des études émotionnelles. Ils doivent chercher à susciter l’enthousiasme des interviewés. La première chose est de se mettre à la place de l’interviewé et de trouver des manières de stimuler l’activité cérébrale.
Il faut cesser les conceptions formalistes et les techniques, plus scientistes que scientifiques, qui manquent presque toujours l’essentiel, en se fixant sur les signes extérieurs de la rigueur.
Voici quelques règles de base pour construire un questionnaire motivant débouchant sur une expérience impliquante :
- Le sujet doit être intéressant et s’il ne l’est pas a priori, il faut le rendre intéressant.
- Se sentir guidé dans le déroulement de l’enquête
- Des questions précises et immédiatement compréhensibles
- Le sentiment de pouvoir s’exprimer et d’être utile
- Une enquête qui fait le tour du sujet
- Une enquête ludique et animée
- Une durée d’interrogation en adéquation avec le niveau d’implication
- Un format de questionnaire qui favorise une réponse réfléchie : voir à ce sujet nos réflexions sur le questionnaire panoramique vs séquentiel.
Chaque enquête doit être l’occasion pour l’interviewé d’apprendre sur soi et sur le monde. Le questionnaire doit donner des infos, susciter des réactions, mobiliser les émotions, les souvenirs, le ressenti, l’imagination. Les interviewés doivent recevoir dans la mesure du possible des feedbacks en cours ou en fin de questionnaire.
MarketingIsDead : Des exemples de questionnaires "stimulants" ?
Daniel Bô : En éditorialisant certains questionnaires, on peut doubler le taux de retour alors qu’au final les mêmes questions auront été posées.
Le configurateur proposé par Harris Interactive où l’interviewé construit son offre idéale à l’aide d’un logiciel montre qu’une interrogation peut se faire sous forme de jeu.
Le phénomène du Tryvertising illustre une voie possible puisque dans le Sample Lab à Tokyo des interviewés paient pour accéder en avant-première à des nouveaux produits et pour donner leur avis. Dans ce cas, on joue sur la curiosité des consommateurs vis-à-vis de la nouveauté.
Une dotation originale ou l’envoi d’un produit à essayer à domicile sont des moyens simples de mobiliser l’intérêt.
La contextualisation des questionnaires est un puissant levier car on constate que les interviewés sont très motivés pour s‘exprimer lorsqu’on les interroge juste après un achat ou une expérience.
Le développement de formats d’interrogation sous forme de forums-questionnaires où les répondants peuvent échanger entre eux constitue un remède à l’isolement de l’interviewé, seul dans son couloir.
Un moyen à la portée de tous pour dynamiser un questionnaire consiste simplement à mettre des supports tout au long du parcours (images, vidéos, liens vers un site web, etc). Cela permet à la fois d’introduire des stimuli émotionnels et de gratifier l’interviewé en lui apportant de l’information ou du plaisir.
Dans un questionnaire pour le magazine Elle, nous avions demandé à des femmes de "décrire un souvenir de corps d’homme qui vous a particulièrement ému", puis nous les avions fait réagir à quelques visuels d’hommes dénudés.
La satisfaction des interviewées en fin de questionnaire était manifeste. Tous les sujets ne sont pas aussi stimulants, mais il y a des potentialités qui ne demandent qu’à être exploitées.
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