02/12/2006
Pretesting publicitaire : danger de la rationalisation !
Avant de l’analyser plus en détail, peut-être serait-il bon de rappeler quelques fondamentaux.
Nos perceptions se construisent dans notre mémoire de travail à partir d’éléments en provenance de nos organes sensoriels, via notre mémoire à court terme, que de notre mémoire à long terme.
Extrêmement volatile, notre mémoire à court terme ne peut retenir plus de 7 éléments simples : c’est pour cela que nous mémoriserons les numéros de téléphones comme des suites de 5 fois 2 chiffres et non de 10 chiffres.
Par ailleurs, les informations recueillies sont dénuées de sens : quand je croise dans la rue mon voisin, je ne le reconnais pas immédiatement – pas plus comme voisin que comme être humain : l’identifier comme individu nécessite déjà de multiples interventions de la mémoire à long terme, formes, couleurs, etc. n’étant pas stockées au même endroit.
Pour passer de l’individu au voisin, d’autres opérations sont nécessaires pour – en temps réel – identifier la personne, voire la nommer : et pas question de passer en revue toutes nos connaissances – trop long !
Dans notre quartier, pas de problème : mon voisin participe du même contexte ; par contre près de mon bureau, je risque de ne pas le reconnaître. Pourquoi ? Parce que les indices dont je dispose – je me trouve près de mon lieu de travail – me conduisent à rechercher quelqu’un ayant une quelconque raison de se trouver là.
Le problème de l’interprétation apparaît sur le principe assez proche de celui de la perception, la mémoire à long terme jouant un rôle fondamental. Pénétrons dans le cerveau de cette ménagère qui n’accorde qu’un œil distrait à la publicité qui passe sur le téléviseur du salon…
Un paysage désertique défile par la glace latérale, puis le pare brise d’une voiture : certainement une publicité automobile ; elle peut rater la fin – et la signature –, elle a compris.
Sur une musique de western, des voitures sans marques d’enfuient tandis que pénètre une 607 : 5 secondes de film, elle a compris.
Au volant de son auto, Lara Croft s’apprête à franchir un ravin sur un pont effondré : encore une publicité pour un jeu vidéo: 5 secondes de film, elle a compris.
La musique des Chemical Brothers, un avion au loin dans le ciel : 5 secondes de film, elle a compris – Air France.
En simplifiant fortement, notre cerveau fonctionne par indices, associations, activation de champs sémantiques et zones contextuelles. Toute annonce est bourrée d’indices – principe de redondance – qui vont activer diverses zones contextuelles : quelques plans automobiles mobilisent celle de la publicité automobile… et la quête de sens ne s’effectuera plus que dans ce domaine particulier.
La musique de western du spot pour la Peugeot 607 suggérera une forte tension, la supériorité du prédateur… Le sens se construit ensuite par associations, construisant des réseaux sémantiques, prioritairement au sein des contextes activés : bien sûr, rien n’est figé, et la présence de Lara Croft ne nous empêchera pas de passer du jeu vidéo à l’automobile – si toutefois nous avons persisté jusque-là.
Enfin, on accordera une attention toute particulière aux affects qui mobilisent très efficacement certains champs sémantiques – d’où l’apport fondamental de la musique dans toute communication publicitaire : la chanson des Chemical Brothers constitue bien plus qu’une simple signature pour Air France.
Dernière précision, la plus importante : si tous ces phénomènes sont inconscients. Mais attention : nous ne parlons pas ici d’un inconscient Freudien, verbalisable sous certaines conditions – mais bien d’un inconscient cognitif, totalement inaccessible !
Ne seront accessibles à nous que les résultats – certains résultats – de son travail : des préactivations sémantiques, des associations notamment – les premières nécessitant pour leur mise en évidence des appareillages extrêmement coûteux.
Inciter – quelle qu’en soit la manière – des consommateurs à reconstruire certains process, ne peut qu’aboutir à des contresens : d’une part, ils vont nécessairement réagir rationnellement, là où les affects et le non dicible dominent ; et en plus ils vont activement mobiliser leur mémoire centrale là où tout se passe en mémoire périphérique.
La mémoire centrale, c’est celle de la lecture, de la conversation courante – sauf si l’on ne prête pas vraiment attention à ce que l’on fait ; dans ce cas, notre mémoire périphérique prend le dessus : c’est le cancre qui rêvasse au lieu de suivre le cours, c’est le téléspectateur qui consulte le programme à l’heure où passe un écran publicitaire.
Mobiliser la mémoire centrale pour restituer des informations stockées de manière périphérique, m’évoque la vieille plaisanterie de l’ivrogne qui cherche ses clefs sous un lampadaire alors qu’il les a perdu ailleurs… simplement parce qu’il y a là de la lumière !
Ces fondamentaux rappelés, le double danger de rationalisation évoqué en début de cette note apparaît assez évident.
Le premier tient à la pratique courante qui consiste à soumettre d’amblée les consommateurs à un stimulus – concept, visuel, parfois finalisé – pour se lancer rapidement à la recherche du sens, d’éléments explicatifs et/ou perturbateurs, etc. ; bien souvent le projectif n’intervient qu’en fin de parcours…
Ce faisant, on mobilise artificiellement la mémoire à court terme – et donc les indices – et la mémoire centrale – en forçant l’attention… D’où de très flagrants risques de biais : notre mémoire de travail va approfondir avec un soin tout particulier des éléments qu’elle n’aurait que survolés, et les utiliser comme base à une reconstruction sur-rationalisée… là où, dans la vie courante, n’existent que de très lâches associations.
L’animateur détaille le spot Lara Croft : les participants prêtent une attention toute particulière à ses propos – la voiture franchit le pont effondré, passe devant des autostoppeurs, apparaît un écran Seat Alhambra, etc. : le seul contexte activable sera désormais celui de la communication automobile… ce qui déclenchera de tout autres associations sémantiques !
En situation de test, les spots Lara Croft et 607 participeront donc immédiatement du même contexte publicitaire : mais le soir, à 21 heures, dans le salon de monsieur Dupond ?
Quant aux spots 607 et Air France, ne serait-il pas plus pertinent, avant même de montrer quelque image, de faire écouter quelques notes de Il était une fois dans l’Ouest, ou des Chemical Brothers ?
Le second danger de rationalisation tient aux consommateurs : la télévision, les magazines ne constituent plus seulement des supports publicitaires ; ils les aident à décrypter le discours publicitaire.
De tels consommateurs, qui ont acquis des réflexes quasi professionnels, vont tout naturellement appliquer aux matériels soumis à leur attention les techniques de lecture que leur enseignent les médias : ils vont pénétrer avec une extrême rationalité dans les stimuli qui leurs sont présentés.
Dès lors imaginez le gap entre une analyse en laboratoire, ultra rationnelle et hyper active… et la réalité d’une attention flottante dominée par nos affects : peut-être serait-il temps de réinventer le pretesting publicitaire !
16:26 Publié dans Etudes Marketing | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
23/11/2006
Représentativité des études par Internet
Question récurrente ces derniers temps – certainement liée à la montée en puissance d’Internet sur le marché des études quantitatives : celle de la représentativité des terrains par Internet.
Mauvaise question, car elle présuppose dans l’esprit de ceux qui la posent l’existence de benchmarks – de terrains pleinement représentatifs ou réputés tels – auxquels se comparer. Et c’est bien là que le bât blesse.
Si la question était : la population des internautes est-elle représentative de la population française, la réponse serait simple : non !
Mais l’inquiétude qui perce ici est d’une tout autre nature : en utilisant Internet, mes résultats seront-ils tout aussi fiables qu’en face à face ou par téléphone ?
Je passerai ici sur les retraités, encore trop faiblement connectées – 21% de la population française, 5% des internautes – et sur certaines cibles rares qui nécessiteraient une analyse plus fine pour me limiter à la préoccupation la plus courante.
Je passerai également sur les biais liés une éventuelle corrélation entre accès à Internet et objet étudié : ainsi la possession et l’utilisation d’un baladeur mp3 n’est certainement pas la même selon que l’on peut aisément ou non télécharger de la musique en ligne.
Ceci bien précisé, je poserais avant tout la question de la fiabilité des terrains… en face à face ou par téléphone !
Selon une étude publiée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en 2005, 16% des Français n’utilisaient déjà plus que leur téléphone mobile et 9% avaient adopté les communications en VoIP.* Et la tendance au mono équipement mobile apparaît extrêmement forte : nous n’étions que 12% à nous passer de fixe en 2003.
La même étude précisait que 4% des personnes interrogées utilisaient la téléphonie uniquement via l’ordinateur à l’aide de logiciels spécifiques type Skype. 4%, ce n’est certes pas énorme, mais c’est encore une nouvelle source de distorsion à maîtriser.
Quant au face à face – qui régresse très fortement – il n’apparaît pas non plus exempt de critiques.
Dans la rue, les enquêteurs privilégient les artères passantes ; mais si de nombreux banlieusards transitent rue de Rivoli ou Gare Saint Lazare, plus nombreux encore sont ceux qui n’y mettent jamais les pieds. La vrai question n’est pas de savoir si les habitants de la petite couronne seront suffisamment représentés dans notre échantillon, mais plutôt si ceux qui ne se rendent presque jamais au centre de la capitale agissent ou pensent comme ceux qui y vont quotidiennement.
Seconde approche, à domicile : entre les digicodes de certains quartiers, et les cités où personne n’ose réellement pénétrer, il est clair de certaines zones – parfois très riches, d’autres extrêmement pauvres – ne sont jamais visitées. A la campagne, les frais kilométriques engendrés limitent pareillement bien des ardeurs.
Il n’est pas question pour moi de dénigrer un mode de recueil face à un autre – ou pire, de dénigrer tous les modes de recueil ! Je souhaitais simplement souligner que chaque mode de recueil présente des biais, et que ce n’est pas parce que certains sont anciens – banalisés – qu’il faut les négliger.
Inversement, Internet ne constitue certainement pas la panacée ; mais c’est désormais un outil parvenu à maturité, qu’il convient d’intégrer dans notre pratique courante avec le même discernement que les autres modes de recueil. Ni plus, ni moins.
L’autre question couramment posée est celle de la motivation des répondants : consommateurs ou chasseurs de primes ? Car contrairement au téléphone ou en face à face, les internautes sondés – notamment par access panels – reçoivent « un petit quelque chose » : argent ou miles, chèques cadeaux, participation à une tombola.
Pour moi, le vrai problème est plus celui du recrutement des interviewés que cette pratique de cadeaux… si elle demeure dans la limite du raisonnable, bien évidemment.
Car parfois je reçois des mails en provenance de l’autre bout du monde me proposant monts et merveilles dans un français très approximatif pour répondre à leurs enquêtes… et il ne s’agit pas de spams, car la signature est bien celle de société ayant pignon sur rue de l’autre côté de l’océan !
Pour revenir à question de la motivation des répondants à répondre, elle se pose quel que soit le mode de recueil également : qu’est-ce qui motive une ménagère pressée à accorder une demi heure de son temps à répondre aux questions d’un parfait inconnu ?
Il existe certainement de profondes différences entre répondants et non répondants absolus – ces individus qui refusent systématiquement de répondre à la moindre enquête ; le problème, c’est qu’on ne saura jamais rien de ces non répondants absolus… puisqu’on ne pourra jamais obtenir d’eux la moindre information.
Combien de gens accélère le pas dans la rue, avant même que les enquêteurs ne les abordent. Combien d’autres raccrochent dès que l’automate d’appel leur propose de répondre à une enquête : on considère qu’en moyenne 5 à 7 appels sont nécessaires pour un utile ! Mais ces 4 à 6 autres, quelles auraient été leurs réponses ?
Pour moi, la représentativité des terrains par Internet ne se pose pas… parce que ce n’est pas la bonne question. La vraie question est celle de la maîtrise des outils d’études par ceux qui les mettent en œuvre… et donc de leur parfaite connaissance et contrôle des multiples biais.
* Résultats sur : http://www.zdnet.fr
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12/09/2006
Japon et Lettres Persanes
Il suffit d’évoquer le Japon pour que surgisse l’image d’individus pressés arpentant les rues, le téléphone mobile vissé à l’oreille. Et c’est loin d’être faux…
Où les choses se compliquent, c’est quand on veut se faire une idée de ce qu’ils font avec : ils consultent leur compte en banque ? Ils envoient des mails à leur maîtresse – les hôtesses de bar occupent une grande place dans le cœur des Japonais ? Ils téléphonent… comme les Français ?
« Paradoxalement, les japonais utilisent très peu leur portable pour téléphoner, le coût des communications étant exorbitant ! De ce fait, les cabines téléphoniques fleurissent à tous les coins de rues, dans les galeries marchandes… voire même dans les forêts ! »
Ce n’est pas moi qui le dit – mais David ! David ? Freelance Photographer et Graphic Designer, arrivé au Japon il y a un peu plus d’un an : depuis juin 2005, il tient un blog* où il raconte sa vie au quotidien dans un monde inconnu et surprenant – en un mot, sa découverte du Japon.
Il n’est pas le seul. Tel autre s’intéresse plus à la branchitude japonaise : « La grande mode en ce moment au Japon, c'est les bars ou restaurants au design post-industriel. Alors soit on crée de toute pièce un lieu qui donne l'impression d'être une usine de l'ancien temps, ou alors on recycle de vrais ateliers ou entrepôts en lieu de culte de la branchouille ».
D’autres, moins doués pour l’art épistolaires, mitraillent : allez, en souvenir de la Coupe du Monde de Football une petite photo de Zizou en train de se faire une petite soupe…
Des blogs de Français vivant au Japon, j’en ai découvert une bonne cinquantaine en l’espace d’une soirée ; les anglophones flâneront aussi sur les blogs de citoyens anglais ou américains expatriés au Japon, les germanophones, etc.
Finalement ces blogs, c’est un peu la version moderne des Lettres Persanes ; sauf que là, pas d’effets littéraires : c’est la vie au quotidien, une culture exotique avec le regard d’une autre culture. Ou du matériel ethnographique brut – la découverte des différences !
Tous les champs de la vie sont concerné et l’on va rapidement de surprises en surprises : les lave-linge japonais ne chauffent pas et les lessives sont adaptées à l’eau froide ; dernier support publicitaire en vogue : les paquets de mouchoirs en papier que l’on distribue à tous les coins de rue ; et puis, ce petit conte de fées que je vous livre in extenso** :
« Il y a quelques jours, en emmenant ma fille à la crèche, j'ai rencontré la mère d'une de ses petites copines. Nous avons bavardé un peu et elle m'a dit que son mari travaillait pour http://okwave.jp/. J'ai regardé le site et l'ai trouvé intéressant. C'est un ensemble de forums où l'on peut poser des questions sur tout.
« Ce soir, un programme de télé était consacré au patron de cette société qui a vécu une histoire assez extraordinaire.
« Il était SDF. Un jour on lui propose un petit boulot : il s'agit d'élaborer un site internet. Malgré son ignorance totale des techniques de réalisation de pages web, il accepte ce travail. Il demande de l'aide sur des forums mais on lui répond assez ironiquement, voire méchamment, sans lui donner la moindre piste. C'est de là que l'idée lui vient de créer un forum où l'on répondrait à TOUTES les questions.
« Il se met donc à étudier par lui-même, réussit à créer des sites rencontrant un certain succès et, de fil en aiguille, monte une boîte qui fait un énorme chiffre d'affaires… »
Picorer de ci, de là, sur une cinquantaine de blogs, permet de se façonner une idée assez précise – et plutôt pertinente – d’un pays, d’une culture que l’on ne connaît pas. Cela ne suffit pas toujours – mais cela permet de dégrossir un sujet et d’éviter quelques grossiers contresens.
Quelques lectures plus « classiques » complèteront efficacement le tableau : Chronique d'une saison des pluies de Kafû Nagaï – une description du monde des geishas et des maisons de rendez-vous, au tout début du vingtième siècle – nous permettra de mieux toucher du doigt la société japonaise et son nomadisme ancestral.
Et par ailleurs, un livre extrêmement plaisant à lire.
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12/07/2006
La nécessaire révolution Copernicienne de l’innovation technologique
Quand les ingénieurs jettent leurs premières esquisses sur le papier, nul ne sait – et bien souvent eux encore moins que d’autres – quel accueil sera un jour réservé aux fruits de leurs réflexions. Car ce n’est que bien des années plus tard que le marketing pourra enfin sonder les consommateurs pour discerner à quelles attentes, besoins, motivations répondent les avancées technologiques ainsi élaborées – et positionner et packager un produit vendable.
Ce qui ne constitua jamais – du moins jusqu’à ces dernières années – un challenge bien redoutable : au début des Trente Glorieuses, les ménagères, qui manquaient de tout confort, se ruèrent sur les frigidaires, machines à laver et autres téléviseurs. A partir des années 70, la quête d’un certain statut social se substitua aux besoins primaires de la période précédente : les premiers ordinateurs portables, les premiers téléphones mobiles – l’antique Radiocom 2000 – permirent aux heureux cadres élus d’affirmer leur supériorité sur le vulgum pecus.
A la fin du siècle, avec l’arrivée d’Internet et la montée en puissance du numérique, l’innovation technologique réussit à se suffire à elle-même – à devenir auto motivante : le high tech fascinait, autorisait toutes les exagérations, les consommateurs contemplaient avec envie dans les magasins des téléviseurs plasmas qu’ils n’espéraient jamais pouvoir se payer, puis rentraient chez eux en appelant leurs amis sur leur nouveau mobile – « Tu ne sauras jamais d’où je t’appelle ! », juste pour le plaisir de téléphoner en marchant dans la rue.
C’était l’époque où les journaux regorgeaient d’articles plus futuristes les uns que les autres – jamais on n’aura tant parlé de ce fameux Screen Fridge d’Electrolux, réfrigérateur destiné à se connecter directement à Internet pour passer commande, la dernière canette de bière vide ! C’était aussi l’époque où les consommateurs invités lors de réunions de groupes pâmaient d’envie dès qu’on leur présentait le moindre concept innovant, le moindre design minimaliste. Après avoir longtemps acheté le high tech pour le confort qu’il leur apportait, puis pour le statut qu’il leur conférait, les Français en arrivaient désormais à acheter le high tech… pour le high tech lui-même !
Le problème aujourd’hui, c’est que les mêmes consommateurs, lors des mêmes réunions de groupes, évoquent Orwell dès qu’on leur montre deux écrans communicants, se lamentent sur la rapide obsolescence, l’immense complexité des produits récemment commercialisés, en un mot accumulent une impressionnante liste de griefs… qu’aucune motivation ne vient contrebalancer ! Un ressort s’est cassé : le high tech ne motive plus ; pire, il gêne, dérange, effraie même !
Parce qu’il n’a pas vraiment tenu ses promesses : au lieu de la simplicité et de la convivialité attendue, votre ordinateur vous annonce soudain froidement : « Windows a détecté une erreur dans <inconnu> : ce programme va maintenant s’arrêter ». Mais quelle erreur avez-vous donc bien pu commettre ?
Et surtout parce que les Français sont saturés : à peine les téléphones mobiles se généralisaient-ils que les opérateurs pressaient leurs abonnés de souscrire au WAP – qui allait leur permettre de consulter leur courrier électronique, accéder aux cours de la Bourse, etc. Et qu’ils se dépêchent avant que le même WAP ne soit tout à son tour dépassé par l’UMTS et ses débits phénoménaux ! La réaction ne fut cependant pas celle escomptée : attendons ! Pareil pour les ordinateurs, les graveurs de DVD, etc. : attendons ! Que les produits soient vraiment au point, que les prix baissent…
Comment, dans de telles conditions, lancer – avec succès – des produits et services high tech ?
La recherche technologique pourrait se comparer à un avion, un gros porteur en partance pour un périple de plusieurs années – avec suffisamment de carburant, mais sans idée précise de sa destination finale. Jusqu’à la récente explosion de la bulle technologique, tout se passait sans grand danger : l’équipage était toujours assuré de trouver un terrain suffisamment long et équipé pour se poser sans heurt.
Aujourd’hui, la situation s’est renversée : le high tech ne séduit plus – et tout semble indiquer qu’il s’agit là d’un changement irréversible. Impossible donc pour notre pilote de connaître par avance la qualité de la piste sur laquelle il va devoir se poser – ni même s’il y a la moindre piste à destination ! Tout le challenge du marketing sera alors de lui permettre d’atterrir sans trop de casse – de lui fournir un terrain suffisamment stable pour se poser.
La tâche première des études marketing n’est plus aujourd’hui de se lancer en quête des besoins et attentes des consommateurs – ils n’en ont plus vraiment, pas de flagrants –, ni de creuser leur imaginaire – où les innovations de rupture ne sauraient prendre place sans support concret. Mais au contraire d’appréhender ce à quoi ressemble le territoire au-dessus duquel notre gros porteur va se présenter. Longtemps nous avons œuvré en terrain connu : aujourd’hui, tout est sans cesse à redécouvrir. La matière première du marketing et des études de marché, ce sont les études sociétales et prospectives. A court, moyen et long terme.
A court terme, les études de tendances auprès et avec des trends setters, désormais classiques, nous renseignent sur les moindres soubresauts sociaux. D’une année sur l’autre, nous chercherons à discerner l’épiphénomène du structurel, à anticiper la sédimentation des valeurs – dans une vision à moyen terme.
A long terme, nous travaillerons avec des universitaires, des sociologues, pour donner plus de perspective à ce que nous entrevoyons ; toutes ces approches s’inscriront dans le cadre de vastes observatoires intégrant les moindres traces de mutations – ces comportements d’apparence marginaux, mais en réalité très significatifs : les signaux faibles.
A partir du moment où l’on a compris qu’il ne faut plus chercher à savoir ce que veut, ce qu’attend le consommateur, mais comment il vit, de manière dynamique – ce vers quoi il vit ; à partir de là, le process marketing devient plus aisé à mettre en œuvre : tout part des tendances sociétales – et tout doit y revenir. Mais c’est une sacrée révolution Copernicienne.
Tout part des tendances sociétales, auxquelles il nous faut systématiquement confronter les briques technologiques élaborées par les ingénieurs : comment réussir à les faire converger ? Comment enraciner, en des propositions concrètes, le fruit d’années de recherche ? Car avec un système de communication sans fil d’images vidéo, on peut imaginer des dizaines de scénarios : du lecteur DVD qu’il n’est plus nécessaire de glisser sous le téléviseur au réseau numérique domestique, fusionnant mondes audiovisuels et informatiques, en passant par le simple lien permettant de visionner dans son salon les photos de vacances stockées dans son bureau.
La question est simple : laquelle d’entre ces propositions aura le plus de chance de rencontrer des clients potentiels ? Ou plus précisément, quel usage pourra s’inscrire dans des comportements en gestation ? En aucun cas elle ne saurait être : quel produit révolutionnera le marché. Mais : quel produit sera utile aux consommateurs de demain ? Cette étape débouchera nécessairement sur la mise au point de maquettes fonctionnelles, certaines en apparence assez proche du produit final, d’autres moins – parfois une batterie d’ordinateurs astucieusement dissimulés sera même nécessaire pour entretenir l’illusion.
Ces maquettes seront ensuite présentées aux consommateurs et testées lors de Consumer Labs*. Il ne s’agit en aucun cas ici de faire appel à leur imaginaire : c’est l’observation qui prime ici. La manière dont des gens vont se saisir de nos propositions, se les accaparer, les inclure dans des scénarios qui seront les leurs – parfois si différents des nôtres.
Le plus souvent, leurs constructions ne différeront que marginalement des nôtres ; pour expliquer ces divergences, si minimes soient-elles, et surtout pour finaliser notre offre – pour le fine tuning – un dernier retour aux tendances sociétales sera nécessaire : tout part des tendances sociétales… et tout doit y revenir.
Un succès high tech, c’est un produit, un service qui épouse parfaitement une tendance porteuse. Ce qui ne fut certainement pas le cas du WAP, qui n’apportait que complexité à des Français déjà en pleine indigestion technologique. Ce fut celui des SMS, ces misérables petits messages textuels grâce auxquels les jeunes pouvaient communiquer spontanément, sans avoir besoin d’engager plus loin la conversation : « Je lui envoie un SMS juste pour lui dire que je pense à lui, mais je n’ai pas envie de lui parler. »
Mais cela, les gens des télécoms ne l’avaient pas marqueté.
*Groupes qualitatifs privilégiant l’usage et l’observation.
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19/06/2006
Sémioticiens, Cogniticiens, même combat !
Bon nombre d’ouvrages traitant de la communication publicitaire se référent au schéma de Shannon et Weaver, ce qui est une hérésie, les travaux de ces ingénieur et philosophe américains concernant essentiellement les transmissions… télégraphiques et téléphoniques !
Dans ces cas précis, le signal émis doit parvenir au niveau de la cible dans l'état le plus proche de ce qu'il était au niveau de la source : si vous lancez un SOS, mieux vaut pour vous que celui qui le capte le perçoive également comme un SOS.Le schéma précédent présuppose pour toute communication six éléments essentiels : l’émetteur qui encode son message avant de le diffuser sur un canal, ou média, à un récepteur, à charge pour ce dernier de le décoder ; reste le bruit, extérieur au processus, mais qui peut le perturber.
Manquait initialement la notion de retour – ou feed back – qui viendra ultérieurement compléter le modèle. Moyennant quoi il devenait aisé de l’utiliser pour la communication publicitaire, d’autant qu’ici les choix entre médias occupent une position capitale ; et si le consommateur ne saisit pas à la perfection le sens du message qui lui est destiné, c’est qu’il y a de la friture sur la ligne.
Seulement, c’est peut-être aller un peu vite en besogne que d’assimiler le cerveau humain à une puce ou à une membrane microphonique : que celle-ci vibrera toujours pareillement soumise à ces conditions physiques identiques, notre encéphalogramme, quant à lui, tirera des conclusions totalement différentes d’une même information selon l’heure, le contexte – et la personnalité de l’individu, bien évidemment.
En d’autres termes, rien ne garantit un décodage inversement identique à l’encodage. Pire : aucun ne saurait l’être. Ce que soulignent Dan Sperber et Deidre Wilson dans La pertinence : « D'Aristote aux sémioticiens modernes, toutes les théories de la communication ont été fondées sur un seul et même modèle, que nous appellerons le modèle du code. Selon ce modèle, communiquer, c'est coder et décoder des messages. Récemment, plusieurs philosophes, dont Paul Grice et David Lewis, ont proposé un modèle tout à fait différent, que nous appellerons le modèle inférentiel. Selon le modèle inférentiel, communiquer, c'est produire et interpréter des indices »*.
Modèle inférentiel qui, lui, s’applique parfaitement à la communication publicitaire : pour interpréter une annonce, le consommateur va tisser tout un ensemble de liens entre cette matière première vide de sens et les informations déjà classifiées dont il dispose par ailleurs.
Avec l’univers publicitaire qu’il connaît, et notamment le passé de la marque présentée : à qui sinon attribuer ces publicités que Nike ne signe que de son Woosh ? La publicité Ariel ci-contre tire une partie de son sens de l’historique publicitaire Kookai.
Par contre, de tels raccourcis freinent toute tentative de repositionnement puisque notre cerveau nourrira plus aisément son interprétation de ses pré requis que des informations nouvelles, qu’il négligera parce que réputées inutiles : à quoi bon aller chercher dans une annonce Ariel des matériaux que l’on possède déjà par ailleurs ? A moins que ne surgisse un élément perturbateur : comme le style totalement en rupture pour la marque de ce message à la Kookai destiné à forcer la lecture.
Avec le médium supportant le message : sans affirmer aussi catégoriquement que Marshall Mc Luhan : « Le message, c’est le médium »**, l’étude des Climats de lecture*** de la presse magazine a montré combien le contexte rédactionnel pouvait enrichir la perception des annonces qui y sont insérées, et en faciliter, ou en perturber, la lecture : un titre féminin élitiste magnifiera le parfum, un autre, plus populaire, le transformera en une banale eau de toilette.
Avec sa propre existence, son propre vécu, ce qui se révèle souvent moins maîtrisable : tant que message se situe sur le plan des archétypes sociaux et d’un imaginaire plus ou moins collectif, l’intellection en sera assez prévisible ; mais s’il s’en vient buter sur des expériences plus personnelles, il pourra se charger de connotations, parfois positives, plus souvent négatives, peu contrôlables.
Ainsi les divers messages de solidarité suscitent-ils un écho plus favorable auprès de ceux qui connaissent de telles situations dans leur entourage propre ; et plus couramment les femmes en attente d’un premier enfant se montrent plus attentives aux publicités pour les produits de puériculture.
Avec les éléments contextuels les plus variés : quand le Crédit Agricole utilise la chanson Imagine de John Lennon, ou Microsoft Start me up des Rolling Stones, ce sont les valeurs de rébellion de toute une génération, aujourd’hui bien encadrées pour ne pas dire embourgeoisées, qui resurgissent et s’en viennent enrichir un propos par trop commercial. La communication des parfums et autres produits de mode joue énormément sur les connexions hypertextuelles à la création artistique.
Le modèle inférentiel proposé par les sémioticiens recoupe étroitement les modes opératoires du cerveau humain mis en évidence par les sciences cognitives, en contredisant tous deux les modèles mécanistes comme celui de Shannon et Weaver. Nous avons déjà analysée, notamment dans L’image de marque au fond d’un verre de vin – note du 29.03.2006 –, comment fonctionne notre cerveau. Nos perceptions se construisent avant tout par un dialogue entre organes des sens et mémoire à long terme, dialogue orchestré par le lobe temporale et surtout l’hippocampe.
Surtout, elles doivent plus à notre mémoire à long terme qu’a nos sens : ceux-ci se contentent de lui fournir les indices permettant de retrouver les informations nécessaires et pertinentes dont nous disposons déjà par ailleurs. Les sciences cognitives non seulement confirment les approches sémiotiques précédentes, mais elles leur fournissent une topologie : le processus inférentiel se situe au niveau de l’hippocampe.
*Dan Sperber et Deidre Wilson, La pertinence
**Marshall Mc Luhan, Understanding Media.
***François Laurent, Valoriser votre communication.
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