07/06/2010
Et si l'on parlait un peu de Google
Je reçois souvent des questions d'étudiants en pleine rédaction de leurs mémoires universitaires, auxquelles j'essaie de répondre quand les délais ne sont pas trop "tendus".
Ainsi récemment, Meroia se demandait : Comment définir la relation que les internautes entretiennent avec Google ?
Tout dépend de quel internaute il s'agit.
Pour la plupart des internautes, leur relation à Google est basique : ils bénéficient un service puissant et gratuit. Un bref retour d'une décennie et souvenez vous - ou peut-être pas : il était difficile de séparer le bon grain de l'ivraie des résultats d'une recherche et la mode était aux agrégateurs capable de compiler les résultats des Yahoo et autres AltaVista ... pour essayer de ne pas rater la bonne information, quitte à se noyer un peu plus.
Puis Google est arrivé, salué par les revues scientifiques ... parce que s'appuyant sur le système référentiels des revues scientifiques : plus une source est citée, plus elle fait autorité ... et plus elle mérite la première place parmi les résultats d'un moteur de recherche.
Aujourd'hui, la quasi totalité des internautes utilise Google sans se soucier des biais ou des erreurs : si ce n'est pas dans Google, ça n'existe pas. Il y a presque une notion de service public - d'ailleurs, c'est gratuit, comme un service public !
Et tout naturellement, ils utilisent les autres services : GMail, les services de bureautique en ligne, Google Maps, etc. Et toujours sans trop se soucier des imperfections, pestant un peu quand un pays n'est pas bien couvert par Google Maps ... alors que bien souvent, les cartes de Bing sont de meilleure qualité : essayez en Corée, ou au Venezuela par exemple.
Pour les geeks, la relation est certainement très différente : Google devient tentaculaire et la relation apparaît ambivalente.
Google, c'est L'Hydre de Lerne, dont ils se méfient : l'informatique, puis Internet, ont engendré des monstres, nécessairement détestables parce que totalement hégémoniques : Microsoft hier, Google aujourd'hui, Facebook demain.
D'un autre côté, ils sur-utilisent les services Google, comme tous les internautes qui passent beaucoup de temps sur la toile : difficile d'y échapper.
Et puis, il y a les services où Google constitue l'alternative que l'on attend, comme en téléphonie avec Android, son système d'exploitation open source : car c'est ça aussi Google, à la fois redoutable et malgré tout ouvert.
Et maintenant que la capitalisation boursière de la marque à la pomme a dépassé celle de la firme de Redmond, Google constitue pour certains le moyen de résister à l'iPhone !
Et de poursuivre : Selon vous, quel est l’objectif de Google ?
L'objectif de Google est simple, comme Microsoft hier : dominer.
Domination qui passe par un quasi monopole sur les moteurs de recherche ... et surtout sur la publicité : Google y occupe une position ultra dominante, ne laissant que des bribes à ses compétiteurs.
D'où sa crainte de système fermés comme Facebook : car si Google domine le Web ouvert, il perd toute utilité - et donc ses revenus - dans un système dominé par un réseau social fermé ; car le nerf de la guerre, c'est là où est l'argent, et aujourd'hui, le modèle économique, c'est le modèle publicitaire.
D'où également ses accords récents avec Twitter : mieux vaut partager les revenus que de les voir s'évader complètement.
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01/04/2010
Musique et Marketing
Mes échanges par courriers électroniques avec des étudiants en cours de rédaction de mémoire de recherche me permettent souvent de préciser mes réflexions sur tel ou tel sujet, comme ici la musique et l'industrie musicale.
Pouvez vous nous indiquer et expliquer vos activités professionnels et extra professionnelles en rapport avec l’industrie de la musique ?
Mes activités professionnelles n'ont aujourd'hui plus aucun rapport avec l’industrie de la musique ; par le passé, j'ai beaucoup travaillé sur le concept du mp3, puisque Thomson, où j'occupais des responsabilités de Consumer Insight Manager, est à la base des algorithmes de compression et possède de nombreux brevets en la matière.
Par contre, je me suis toujours passionné pour la musique pop et rock, des Cream et King Crimson aux Arctic Monkeys et autres White Stripes : d'un point de vue sociologique, le marché de la musique constitue un extraordinaire sociétal, où s'affrontent des adolescents pour qui la musique est aussi essentielle que l'eau du robinet et quelques vieux barbons qui planquent leur fric en Suisse de peur de payer trop d'impôts, et des hommes d'affaires et des politiques qui ont un peu trop vite oublié que le musique se vit, afin de de se consommer en conserve : la scène avant les CD.
Quels sont les spécificités d’un produit culturel concernant sa commercialisation (si prend t-on de la même façon qu’avec un produit non culturel) ?
Un produit culturel n'existe qu'au travers de ceux qui le consomment : sans ados, pas d'Arctic Monkeys aujourd'hui, pas de Beatles hier - pour ceux qui ne me croient pas, je renvoie à Barthes. L'idée de commercialiser de la musique en boîte est récente dans l'histoire de la musique ; par ailleurs, les artistes, les vrais, ne créent pas pour l'argent - ce qui signifie pas qu'ils doivent vivre dans la misère, mais ce n'est pas le fric qui les anime. A partir de là, on revisitera le marché des produits culturels avec d'autres yeux, et on comprendra que les créateurs de Motown ou Atlantic, les labels mythiques, méritent un immense respect - miser sur un noir drogué comme Ray Charles, faut oser - et que les marketers d'Universal qui font la promotion de la musique comme celle des petits pois en méritent beaucoup moins - et Pascal Nègre, le champion de la répression anti piratage, pas du tout.
Peut-on considérer la musique comme un bien comme un autre ou du fait de son rôle culturel, la musique doit être traitée, diffuser de façon spécifique?
La musique est vivante, donc elle est spectacle, c'est le point de départ.
Aujourd'hui, jouer une musique de qualité est à la portée financière de n'importe qui, et même de l'enregistrer - bien sûr, d'un point de vue esthétique et / ou créatif, il en va autrement !
Moralité, le monde n'a jamais autant fourmillé d'artistes auteurs / compositeurs, la création ne s'est jamais aussi bien portée.
Bien sûr, cela ne nourrit pas tout son petit monde ... mais je connais bien des musiciens qui préfèrent jouer le soir, et vivre leur passion, sans en tirer grand profit : la passion prime le pognon, en quelque sorte.
Du coup, le business - par ce qu'il s'en fait toujours, ou qu'il y aura toujours des gens pour vouloir en faire -, s'est déplacé des producteurs aux tourneurs ... mais la mutation n'est pas achevée, et de toutes façons, la vraie vie musicale est ailleurs.
Pensez vous que les entreprises de l’industrie du la musique ont rattrapé leur retard concernant leur insertion dans les technologies du web2.0 ? Pourquoi ?
Non, et bonne nouvelle : elle ne le rattraperont jamais, pour le plus grand bien de la création musicale.
Pourquoi ?
Parce que l'on est passé d'un système vertical - où les majors pouvaient imposer leurs vues à coups de dollars - à un système horizontal - où les artistes peuvent exister sans cette contrainte financière : c'est un peu comme si vous demandez à un internaute qui discute sur un forum s'il de regrette pas le temps du courrier des lecteurs de la presse magazine ...
Qu’est ce qui a changé dans l’approche marketing de cette industrie depuis le Web 2.0 ? Le marketing peut-il sauver l’industrie musicale ?
Quelles sont les technique marketing les plus adapter à l’industrie musicales, de nos jours ?
Non, l'industrie musicale est morte, parce qu'elle a trop pratiqué de marketing, sans amour du produit. Du marketing, au mauvais sens du terme, puisqu'il s'agissait d'un marketing de façade, complètement tourné sur l'optimisation des bénéfices et sans intérêt pour le consommateur.
Sinon, les majors auraient compris que la musique ne s'achèterait bientôt plus mais s'écouterait en flux, plus en album mais en morceaux, et au lieu de se battre pour mettre des verrous partout, ils auraient cherché à développé des offres dignes d'intérêt pour les adolescents, notamment.
Il faut avoir du respect pour ses clients, c'est la base du marketing ... mais c'est une règle que l'on ne retrouve pas chez les majors.
Les véritables marketers de l'industrie musicale s'appelaient Berry Gordy, Ahmet Ertegün, Herb Abramson : on devrait plus les vénérer que Philip Kotler, la musique, ce n'est pas du détergent.
Quels sont les nouveaux processus de diffusion, distribution et de promotion de musique, utilisant les nouvelles technologies ?
Les nouveaux artistes les pratiquent tous les jours, il y les réseaux musicaux, on permet aux amateurs de gouter, et s'ils apprécient, ils consomment dans les concerts ; mais à partir de là, plus besoin de maison de disque ... d'où le passage de Madonna chez Live Nation.
il y a des tas de choses à inventer, un peu comme Malraux a inventé les Maisons des jeunes et de la culture, mais cela signifie être capable de faire une croix sur le passé ... et sur des monceaux de capitaux.
C'est pourquoi, ils devront laisser la place à de nouveaux venus, plus petits mais plus dynamiques, plus intuitifs aussi - plus à l'écoute des publics également : la base du marketing, en fait.
Avez vous déjà entendu parler des labels participatifs tels que MyMajorCompany ?
C'est un épiphénomène : c'est amusant, les internautes ont découvert un nouveau concept, ils ont joué avec, on a lancé Grégoire qui ne laissera certainement pas grand trace dans l'histoire de la musique - point barre.
Pourquoi ?
Parce que si MyMajorCompany remet en cause le mode capitalistique du point de vue de la constitution de ce capital, il ne remet pas en cause le système lui-même. La preuve : le premier artiste sorti est aussi mauvais que ceux issus de la Star Académie !
Il y a déjà un système nouveau qui fonctionne, à base de réseaux sociaux et de gratuité pour le découverte et la promotion, débouchant sur la musique vivante : c'est quand même le système qui s'impose de plus en plus, avec éventuellement relai sur un site dédié pour les artistes qui ont les moyens. Même MGMT vient de lancer son dernier en l'offrant gracieusement en écoute sur son site ... et franchement, MGMT, c'est autre chose que Grégoire, non ?
Comment envisagez vous l’avenir de l’industrie musical et du marketing au sein de cette industrie (scénarios d’évolution de la filière) ?
Impossible à imaginer, il sera ce qu'en feront les artistes et les amateurs, ados en tête. La seule prévision réaliste, c'est la fin, à plus ou moins long terme, des majors si elles ne se bougent pas très très vite.
Par contre, la musique n'a jamais été aussi vivante, et les ados de demain en prendront encore plein les oreilles.
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02/07/2009
Les métiers du marketing
Créé à l'initiative du Conseil régional d'Ile-de-France, en partenariat avec le Réseau régional des métiers, Les métiers.net est un site Internet de service public destiné aux 12/25 ans. Il facilite leurs choix d'orientation scolaire et professionnelle par une information sur les métiers et les formations en Ile-de-France.
Se penchant récemment sur les métiers du marketing, ses rédacteurs se sont naturellement tournés vers l'Adetem pour une meilleure connaissance su secteur et m'ont également demandé de répondre à quelques questions.
Les métiers : Quel est votre parcours ?
François Laurent : J'ai commencé comme planner stratégique en agence de publicité (Havas), puis directeur d'études qualitatives en agence médias (Publicis), avant de prendre en charge la direction du développement de Millward Brown (institut d'études de marché anglo-saxon). J'ai ensuite rejoint Thomson Multimédia en tant que consumer insight and prospective manager au niveau international. Passionné par la recherche appliquée, j'ai publié plusieurs ouvrages sur les médias, les études, le marketing, le marketing 2.0.Très impliqué dans la vie associative, je m'intéresse avant tout au consommateur et plaide pour un nouveau marketing plus en accord avec les évolutions sociétales.
Les métiers : Quelles sont les missions de l'ADETEM ?
François Laurent : Au cœur d'une activité marketing en perpétuel mouvement, l'ADETEM regroupe les annonceurs et les conseils en marketing. Pour coller aux évolutions rapides de la société, les marketers ont un besoin vital de se rencontrer, d'échanger sur les bonnes pratiques, d'élaborer de nouvelles solutions (changements organisationnels...).
Les réseaux d'échanges étant de plus en plus virtuels, nous avons, en dehors de nos clubs de travail, lancé une plateforme de blogs et des groupes sur Facebook. Nous collaborons activement à l'European marketing confederation (EMC) et nous organisons régulièrement des évènements de promotion du marketing.
Les métiers : Quelles sont les tendances actuelles du marketing ?
François Laurent : A la tête d'un excellent observatoire, je peux dégager 3 grandes tendances.
La 1re consiste à nier toute évolution sociétale et à continuer à s'appuyer sur les fondamentaux d'hier. Mais la crise actuelle nous force à nous libérer des carcans.
Une tendance opposée mise sur l'utilisation effrénée des nouvelles technologies (multiplication des bases de données, publicité sur Internet et sur mobiles ...).
Entre les 2, une majorité de marketers tente de développer de meilleures relations avec le consommateur qui n'est plus un simple"payeur" : marketing 2.0, marketing collaboratif, sites communautaires, etc.
Nous avons réalisé une étude sur la façon dont les Français utilisateurs du web, s'informent avant d'acheter un produit ou un service : après les proches et les amis, 3 sur 4 se fient aux comparateurs de prix et aux avis des autres consommateurs laissés sur la toile... ! De plus avec la constante montée en puissance d'Internet, on bascule d'une relation traditionnelle "one to many" à une communication "many to many" où les marques ne sont plus que des interlocuteurs parmi d'autres ... sans pouvoirs particuliers ou supérieurs.
Les métiers : Quels sont les besoins en professionnels?
François Laurent : Le problème actuel est celui des mono-compétences : en caricaturant on trouve aussi bien de très talentueux marketers ignorant tout des flux RSS que des virtuoses des CMS (content management system), des réseaux sociaux et du micro-blogging sans aucune culture psychosociale.
Or le marketing a besoin de professionnels vivant comme les consommateurs d'aujourd'hui, à savoir maîtrisant les nouvelles techniques et les nouvelles technologies, et disposant d'une culture générale élargie notamment en sciences humaines.
Les métiers : Comment voyez-vous l'avenir du marketing ?
François Laurent : Le marketing de demain devra tout abord intégrer la nouvelle dimension sociétale liée au web 2.0, c'est-à-dire un marketing horizontal, collaboratif, communautaire et social. Les entreprises ne seront plus des entités anonymes se cachant derrière les marques, mais des corps sociaux devant intégrer les notions d'éthique et de développement durable.
D'une notion abstraite d'image, on passera à celle plus concrète de réputation. La crise joue d'ailleurs un rôle de catalyseur : les consommateurs ne manqueront d'interroger les marques sur le comparatif produits 1ers prix et produits de qualité.
Et les marques qui auront profité de la crise pour trop licencier seront cataloguées peu éthiques et dénoncées sur la toile par les consommateurs ...
Les métiers : Avez-vous des conseils pour de futurs marketers ?
François Laurent : Tout va changer très vite et c'est en restant curieux et ouverts aux changements qu'ils réussiront. Les réseaux leur seront également indispensables. Cela ne signifie pas pour autant qu'il suffit seulement de surfer sur la toile, mais aussi de lire, de rencontrer des gens différents, etc.
Le marketing ne s'apprend plus seulement à l'école ou dans les livres, mais avant tout dans la discussion avec ses pairs.
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04/07/2008
Entretien avec Denis Failly - suite
Suite de mon entretien avec Denis Failly sur le thème du Marketing 2.0.
Denis Failly : Dans ce contexte 2.0 appelé à l'horizontalité, qui bouillonne de remise en cause, de détournement, de zapping, de désintermédiation et de déplacement des pouvoirs, les marques et leur approches des clients ont-elles encore une légitimité et pour quoi faire ?
François Laurent : Bien sûr que les marques ont une légitimité : celle de faire des bons produits. C'est-à-dire, revenir aux fondamentaux !
La marque, c'est avant tout le signe d'un bon produit : mais, dans les années 80, le système s'est perverti, elle est devenu un moyen de qualifier son acheteur, système fortement dénoncé par Baudrillard ... mais ô combien efficace, notamment vis à vis de la population chérie et montante des CSP Plus. Le système identitaire a vécu et les marques n'ont d'autre choix que de retrouver leurs racines ou de disparaitre.
Denis Failly : ADN de la marque, Neuro Marketing, Vision 360 degrés, Programmes de fidélisation, sont parmi d'autres des lithanies et réthoriques (des mémes ?), que l'on voit fleurir dans de nombreux écrits argumentaires, conférences... de prestataires marketing / communication. On peut se demander si ils ne sont -pas des caches misères rassurants face à un vide imaginatif, créatif et devant une réflexion ou des actions (recettes ?) qui s'abreuvent toujours aux mêmes écoles de pensées, aux mêmes sources, au même microcosme qui s'auto-contemple; De ce point de vue d'ailleurs le discours autour du Web2 ne risque t-il pas aussi de tomber dans ce même travers ?
François Laurent : ADN de la marque, Neuro Marketing, Vision 360 degrés ... les publicitaires font feu de tout bois, peut-être parce qu'ils sont encore plus mal à l'aise que les marketers !
Le Neuro Marketing, c'est juste un figure de rhétorique sans réel fondement, parce que les neurosciences se développent : on récupère et comme la confiture, on tartine. L'ADN de la marque, ça a un autre nom sur la toile : son identité ! Dire qu'une marque, comme n'importe quel autre émetteur de messages, dispose d'une identité, c'est banal.
Mais là encore, on puise dans la science et on tartine la rhétorique (voir ci-dessus). Le 360, c'est plus grave, parce qu'il y a un côté stupide à croire que l'on peut communiquer avec tous les outils à la fois, conjuguer verticalité et horizontalité. J'ai à ce sujet, une image que j'aime bien : les consommateurs qui discutent entre eux sur la toile, sont comme de gentilles grenouillent qui coassent entre elles ; communiquer verticalement, c'est comme jeter un pavé dans la mare ... et se demander pourquoi elles s'enfuient !
Denis Failly : La majorité des contenus qui alimentent la toile sont le fait de particuliers, qui par ailleurs sont potentiellement des prospects ou des clients pour les marques, hors on constate qu'un certain nombre de sites de grands annonceurs bien que riche de services, d'informations utiles, d'interfaces navigationnelles esthétiques et pratiques persitent à ne pas engager la relation, le dialogue véritable (commentaires, remontées, témoignage...) avec les internautes, comme si ils s'accomodaient du Web 2 dans des aspects purement technologiques (3D, Ajax, Flash...) en niant totalement le ressort et le besoin d'humanisation et de collaboration que révèle Web 2.
Comment expliques tu cet autisme et qu'elles seraient les contours d'un véritabe marketing collaboratif ?
François Laurent : Le Web 2.0, c'est tout sauf une affaire de technologie ! Les internautes n'ont pas toujours envie de venir sur les sites des marques quand ils peuvent discuter tranquillement entre eux ... d'où le développement de plateformes de blogs comme Blogsdevoyage (Expédia) ou Blogscheval (Haras Nationaux).
Plus récemment, des sociétés comme Cisco ont lancé des sites collaboratifs sur des thèmes volontairement éloignés de leur cœur de métier : ainsi sur Human Network de Cisco, tout citoyen peut proposer des réponses concrètes « aux défis de notre société : sur l’emploi, l’environnement, l’économie, l’éducation, la santé, la vie associative », etc. Il est toutefois trop tout pour en connaître les réelles retombées.
Denis Failly : Pourrais tu nous citer un exemple de marques, fabricants, sites...qui te semble préfigurer dans le bon sens la pratique d'un marketing intelligent et au fait des mutations en cours ?
François Laurent : L'Oréal constitue pour moi un bon exemple : celui des gens qui osent, sans peur de prendre des risques. L'exemple du Journal de ma peau est intéressant : ils lancent un faux blog pour faire la promotion de leur nouveau produit miracle : Peel Microabrasion.
Mais les consommatrices ne s’en laissent pas compter : les commentaires négatifs affluent. Comment réagir ? En reconnaissant humblement son erreur, et en jouant le jeu de l'honnêteté : ils modifient le blog, y accueillent de vrais consommatrices ... et c'est un succès.
Ils n'ont pas non plus hésité à utiliser des spots créés par des téléspectateurs sur Current TV aux USA, la chaine créée par Al Gore dont 1/3 des contenus sont confectionnés par les téléspectateurs : résultat une publicité de qualité, conforme à l'environnement de la chaine ... je me demande d'ailleurs pourquoi ils continuent à payer des sommes folles des agences de publicité qui ne font pas toujours mieux !
Denis Failly : Dans des contextes à densités technologiques et dématèrialisées croissantes, comment vois - tu évoluer à long terme le marketing, face notamment à la multitude des univers , des supports , des objets, des interfaces (virtuels / réels, homme-machine, ubiquité, pervasivité...) que l'on est susceptible de voir apparaître ?
François Laurent : Deux évolutions sont à prévoir : - celle des amoureux de technologie ... tous les publicitaires aimant la facilité : on va poursuivre les consommateurs jusqu'au plus profond de leur intimité en leur envoyant des messages sur leur mobile quand ils auront le malheur de passer devant une boutique ... et il y en a beaucoup en ville !
L'idée, c'est de vendre de plus en plus cher des prouesses technologiques à des annonceurs sans se soucier de ce que les consommateurs sont capables d'accepter. - celles des marketers à l'écoute des citoyens : plus discussion, plus de collaboration, plus d'éthique, moins de superflu, moins de gâchis, etc. Pour moi, un des plus beaux exemple de Marketing 2.0, ce sont les AMAP : il n'y a pas un gramme de technologie là-dedans.
Le marketing 2.0, c'est le marketing de la réconciliation entre les marques et les consommateurs : et dans ce domaine, il y a beaucoup à faire !
Denis Failly : Pour terminer, tu développes une charge assez virulente et d'ailleurs argumentée, vis à vis du Marketing, et je me demandais comment tes écrits, réflexions, que ce soit dans l'ouvrage dont nous parlons ou à travers ton blog (le titre « Marketing is dead » est clair) sont perçus par les grands annonceurs, disons traditionnels, qui sont membres de l'Adetem (Association Nationale du marketing) dont tu es Co-Président ?
François Laurent : Ma charge n'est pas une charge contre le marketing : on ne publie pas un livre comme celui-ci si on pense que le marketing ne sert à rien.
Ma charge est une charge contre le mauvais marketing, ce qui n'est pas la même chose et un plaidoyer pour un marketing qui arrête de prendre les consommateurs comme une suite de chiffres (dont ceux inscrits sur leur carte bancaire) : il faut retrouver l'esprit fondateur qui était beaucoup plus emprunt d'humanité.
Les marketers doivent réapprendre à respecter leurs clients ; la bonne nouvelle, c'est que cette prise de conscience me semble plutôt en bonne voie. La mauvaise, c'est que le chemin à parcourir est encore long. Heureusement, je suis optimiste, et j'ai la chance de pouvoir discuter avec des marketers qui œuvrent dans le bon sens.
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30/06/2008
Entretien avec Denis Failly
Long entretien avec Denis Failly sur le thème du Marketing 2.0, suite à la publication de mon livre.
Denis Failly : François, ton nouveau livre "Marketing 2.0, l'intelligence collaborative", est écrit par quelqu'un qui à mené une carrière d'hommes d'études, de marketing et de communication au sein des grands groupes dédiés à ces domaines, tu es donc un praticien et un témoin privilégié des évolutions.
Au fond si le marketing est en crise, qu'est ce qui a fondamentalement changé entre le marketing du 20ème siècle le marketing d'aujourd'hui et de demain à inventer ?
François Laurent : Les moyens dont disposent aujourd'hui les consommateurs face aux marques : le marketing doit aujourd'hui faire face à deux révolutions qui se sont succédées en quelques années.
Web 1.0 quand il y a 5 à 6 ans, les consommateurs ont découvert qu'Internet leur permettait d'accéder à des informations dont ils ne disposaient pas auparavant : les comparateurs de prix constituent une source majeur d'information, bien devant les sites des marques et la publicité, ce qui leur permet de dialoguer d'égal à égal avec les distributeurs lors d'un achat (parfois, ils en savent même plus que les vendeurs) Web 2.0 qui leur permet désormais de dialoguer entre eux, de donner en toute liberté leur avis sur les produits, de les critiquer le cas échéant : jamais la première thèse du Cluetrain Manifesto n'a autant été d'actualité : les marchés sont des conversations ... dont les marketers s'excluent trop souvent !
Denis Failly : Le Web 2, a généré de nouvelles trajectoires comportementales (auto-production, participation, collaboration, comparaison, critiques, e-opinions....) qui débordent le cadre du microcosme marketing et touchent par ondes successives, progressives voire insidieuses, l'ensemble de la société (thématique de la rupture, société de défiance, contestation des experts, des institutions, des dirigeants, révolution dans les sciences nano-bio-cogno...).
On ne peut s'empêcher de penser que les (re)-constructions qu'appellent ces observations sont aussi, et par extension, sociétales (développement, sens du capitalisme,..), philosophiques (éthique, identité...) voire anthropologiques et civilisationnelles (place et devenir de l'humain, rapport hommes machines/progrès ...), tu emploies d'ailleurs dans le livre le terme Civilisation 2.0 peut tu compléter ou nous préciser ta pensée ?
François Laurent : Le Web 2.0 a radicalement changé la relation aux marques et le pouvoir de ces dernières ... mais aussi aux élites, aux politiques ! Hier, on était dans une organisation verticale de la société - ou one to many - où le pouvoir d'émettre était détenu exclusivement par une minorité : marques, via les publicitaires et autres gens de marketing, dirigeants (entreprises, associations, etc.), politiques, etc.
Aujourd'hui, tout un chacun peut parler à tout un chacun, la société devient horizontale - on rentre dans le domaine du many to many - ce qui bouleverse tous les repères et surtout renverse la tendance hégémonique de la minorité aux pouvoirs (économique, politique, social). C'est en ce sens que la révolution Web 2.0 dépasse de loin le cadre étroit du seul marketing et que je parle de Civilisation 2.0.
Denis Failly : Le marketing devant se recentrer sur « l'humain derrière le client », après tout , le marketer de demain qui souhaite comprendre ces mutations n'est il pas destiné à sortir de son ignorance des avancées dans d'autres disciplines et devenir multiple , transversale (un peu sociologue, prospectiviste, au fait des avancées scientifiques...) ?
François Laurent - Le développement d'Internet et des outils high tech permet d'autres accès aux consommateurs : le dialogue peut s'effectuer autrement que dans une salle lors d'un focus groupe, il peut se créer lors d'un bulletin board créé pour la circonstance sur la toile ; cependant, on n'obtient pas les mêmes résultats, puisque la première approche privilégie l'accès à la mémoire sémantique, la seconde à l'épisodique, voire la procédurale. On peut également se contenter d'écouter ce que les consommateurs disent librement sur la toile : la blogosphère notamment constitue un champ d'investigation remarquable (voir le blog http://www.intelligencecollective.info/ qui publie de nombreuses études sur le sujet). Parallèlement, les sciences cognitives progressent fortement et l'offre en ce domaine est appelée à s'enrichir prochainement : bref, on assiste une passionnante multiplication des moyens d'accéder au consommateur.
Denis Failly : Lorsqu'on parle de marketing on est amené aussi à s'interroger sur les métiers d'études (marchés, clients, produits...) qui ont longtemps privilégié le quantitativisme à outrance (et je ne parle pas du datamining ou autre Crm analytique) au détriment du qualitatif et de la démarche "observatoire des usages" et non pas simple veille entre soi comme le font certains.
L'approche analytique des études consistait à disséquer le client en cibles et en segments en pensant connaître le tout par la partie et par la magie des chiffres. Toi qui connais bien le domaine des études, où en est -on aujourd'hui ?
François Laurent : Il y a la réalité ... et les bonnes pratiques à construire. La réalité, c'est hélas bien souvent une fuite en avant dans le quantitatif : les clients se muent en une suite de chiffres de plus en plus longue, et comme cela coûte très cher, on va les inonder de spams (pardons de mailings gentiment acceptés lors d'une inscription dans une base "opt in" on ne sait plus trop pour quoi) et les dégouter un peu plus du marketing ou du moins des marketers.
Alors qu'il est possible d'envisager un CRM 2.0 où l'on se glisse tranquillement dans les conversations des internautes ... qui acceptent très bien les marques dans la mesure où elles quittent leur position hégémonique pour dialoguer d'égal à égal. Je suis en train de construire plusieurs systèmes de ce type - en B2B et en B2C - et j'espère prochainement pouvoir publier quelques résultats sachant que les première retours sont plutôt encourageants.
Denis Failly : Dans l'ouvrage tu énonces que le marketing n'est pas ou plus l'affaire des professeurs mais des praticiens et ne peut-être codifié dans des pensum et autre bibles Marketing « tout en un » à jeter désormais aux orties.
Est ce à dire que le marketing n'est plus une question d'outils, de méthodes et recettes mais plus de démarches, états d'esprits, curiosité, intuition, bon sens et auto-construction (et non re-production) « chemin faisant » (anti-planificatrice donc) pour et par l'humain ?
François Laurent : Je pense que les pires ennemis du marketing sont ceux qui rédigent des ouvrages de marketing ... du moins, ceux qui codifient l'expérience passée en la gravant pour toujours dans le marbre. Le consommateur change extrêmement rapidement - ou du moins sa relation aux marques, aux distributeurs, etc. - parce que l'univers où il évolue subit des bouleversements d'envergure ; prétendre que tout part, par exemple, de motivations et de freins à une époque où les consommateurs sont submergés d'innovations inutiles et indigestes, c'est nier une évidence : ils n'attendent plus rien, ils gèrent le quotidien !
Et comme les innovations de rupture ne se gèrent pas ainsi, on passe à côté de la réalité.
Dans 20 ans, on découvrira enfin les bonnes recettes du marketing collaboratif ... quand il sera presque obsolète (je caricature à peine). Un bon ouvrage de marketing, c'est juste un ouvrage qui vous titille un peu les méninges, vous pousse à regarder le consommateur autrement ... que dans les livres !
à suivre ...
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