Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/06/2008

Entretien avec Denis Failly

0ebc9d01bce8085a2926e2ae334607b6.jpgLong entretien avec Denis Failly sur le thème du Marketing 2.0, suite à la publication de mon livre.

Denis Failly : François, ton nouveau livre "Marketing 2.0, l'intelligence collaborative", est écrit par quelqu'un qui à mené une carrière d'hommes d'études, de marketing et de communication au sein des grands groupes dédiés à ces domaines, tu es donc un praticien et un témoin privilégié des évolutions.

Au fond si le marketing est en crise, qu'est ce qui a fondamentalement changé entre le marketing du 20ème siècle le marketing d'aujourd'hui et de demain à inventer ?

François Laurent : Les moyens dont disposent aujourd'hui les consommateurs face aux marques : le marketing doit aujourd'hui faire face à deux révolutions qui se sont succédées en quelques années.

Web 1.0 quand il y a 5 à 6 ans, les consommateurs ont découvert qu'Internet leur permettait d'accéder à des informations dont ils ne disposaient pas auparavant : les comparateurs de prix constituent une source majeur d'information, bien devant les sites des marques et la publicité, ce qui leur permet de dialoguer d'égal à égal avec les distributeurs lors d'un achat (parfois, ils en savent même plus que les vendeurs) Web 2.0 qui leur permet désormais de dialoguer entre eux, de donner en toute liberté leur avis sur les produits, de les critiquer le cas échéant : jamais la première thèse du Cluetrain Manifesto n'a autant été d'actualité : les marchés sont des conversations ... dont les marketers s'excluent trop souvent !

Denis Failly : Le Web 2, a généré de nouvelles trajectoires comportementales (auto-production, participation, collaboration, comparaison, critiques, e-opinions....) qui débordent le cadre du microcosme marketing et touchent par ondes successives, progressives voire insidieuses, l'ensemble de la société (thématique de la rupture, société de défiance, contestation des experts, des institutions, des dirigeants, révolution dans les sciences nano-bio-cogno...).

On ne peut s'empêcher de penser que les (re)-constructions qu'appellent ces observations sont aussi, et par extension, sociétales (développement, sens du capitalisme,..), philosophiques (éthique, identité...) voire anthropologiques et civilisationnelles (place et devenir de l'humain, rapport hommes machines/progrès ...), tu emploies d'ailleurs dans le livre le terme Civilisation 2.0 peut tu compléter ou nous préciser ta pensée ?

François Laurent : Le Web 2.0 a radicalement changé la relation aux marques et le pouvoir de ces dernières ... mais aussi aux élites, aux politiques ! Hier, on était dans une organisation verticale de la société - ou one to many - où le pouvoir d'émettre était détenu exclusivement par une minorité : marques, via les publicitaires et autres gens de marketing, dirigeants (entreprises, associations, etc.), politiques, etc.

Aujourd'hui, tout un chacun peut parler à tout un chacun, la société devient horizontale - on rentre dans le domaine du many to many - ce qui bouleverse tous les repères et surtout renverse la tendance hégémonique de la minorité aux pouvoirs (économique, politique, social). C'est en ce sens que la révolution Web 2.0 dépasse de loin le cadre étroit du seul marketing et que je parle de Civilisation 2.0.

Denis Failly : Le marketing devant se recentrer sur « l'humain derrière le client », après tout , le marketer de demain qui souhaite comprendre ces mutations n'est il pas destiné à sortir de son ignorance des avancées dans d'autres disciplines et devenir multiple , transversale (un peu sociologue, prospectiviste, au fait des avancées scientifiques...) ?

François Laurent - Le développement d'Internet et des outils high tech permet d'autres accès aux consommateurs : le dialogue peut s'effectuer autrement que dans une salle lors d'un focus groupe, il peut se créer lors d'un bulletin board créé pour la circonstance sur la toile ; cependant, on n'obtient pas les mêmes résultats, puisque la première approche privilégie l'accès à la mémoire sémantique, la seconde à l'épisodique, voire la procédurale. On peut également se contenter d'écouter ce que les consommateurs disent librement sur la toile : la blogosphère notamment constitue un champ d'investigation remarquable (voir le blog http://www.intelligencecollective.info/ qui publie de nombreuses études sur le sujet). Parallèlement, les sciences cognitives progressent fortement et l'offre en ce domaine est appelée à s'enrichir prochainement : bref, on assiste une passionnante multiplication des moyens d'accéder au consommateur.

Denis Failly : Lorsqu'on parle de marketing on est amené aussi à s'interroger sur les métiers d'études (marchés, clients, produits...) qui ont longtemps privilégié le quantitativisme à outrance (et je ne parle pas du datamining ou autre Crm analytique) au détriment du qualitatif et de la démarche "observatoire des usages" et non pas simple veille entre soi comme le font certains.

L'approche analytique des études consistait à disséquer le client en cibles et en segments en pensant connaître le tout par la partie et par la magie des chiffres. Toi qui connais bien le domaine des études, où en est -on aujourd'hui ?

François Laurent : Il y a la réalité ... et les bonnes pratiques à construire. La réalité, c'est hélas bien souvent une fuite en avant dans le quantitatif : les clients se muent en une suite de chiffres de plus en plus longue, et comme cela coûte très cher, on va les inonder de spams (pardons de mailings gentiment acceptés lors d'une inscription dans une base "opt in" on ne sait plus trop pour quoi) et les dégouter un peu plus du marketing ou du moins des marketers.

Alors qu'il est possible d'envisager un CRM 2.0 où l'on se glisse tranquillement dans les conversations des internautes ... qui acceptent très bien les marques dans la mesure où elles quittent leur position hégémonique pour dialoguer d'égal à égal. Je suis en train de construire plusieurs systèmes de ce type - en B2B et en B2C - et j'espère prochainement pouvoir publier quelques résultats sachant que les première retours sont plutôt encourageants.

Denis Failly : Dans l'ouvrage tu énonces que le marketing n'est pas ou plus l'affaire des professeurs mais des praticiens et ne peut-être codifié dans des pensum et autre bibles Marketing « tout en un » à jeter désormais aux orties.

Est ce à dire que le marketing n'est plus une question d'outils, de méthodes et recettes mais plus de démarches, états d'esprits, curiosité, intuition, bon sens et auto-construction (et non re-production) « chemin faisant » (anti-planificatrice donc) pour et par l'humain ?

François Laurent : Je pense que les pires ennemis du marketing sont ceux qui rédigent des ouvrages de marketing ... du moins, ceux qui codifient l'expérience passée en la gravant pour toujours dans le marbre. Le consommateur change extrêmement rapidement - ou du moins sa relation aux marques, aux distributeurs, etc. - parce que l'univers où il évolue subit des bouleversements d'envergure ; prétendre que tout part, par exemple, de motivations et de freins à une époque où les consommateurs sont submergés d'innovations inutiles et indigestes, c'est nier une évidence : ils n'attendent plus rien, ils gèrent le quotidien !

Et comme les innovations de rupture ne se gèrent pas ainsi, on passe à côté de la réalité.

Dans 20 ans, on découvrira enfin les bonnes recettes du marketing collaboratif ... quand il sera presque obsolète (je caricature à peine). Un bon ouvrage de marketing, c'est juste un ouvrage qui vous titille un peu les méninges, vous pousse à regarder le consommateur autrement ... que dans les livres !

à suivre ...

08:20 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | | Pin it!

Commentaires

Je fais référence à votre dernier paragraphe dans lequel vous prétendez que le marketing est mort parce qu'il n'a pas de capacité à embrasser toute la complexité et la rapidité d'évolution du comportement et des souhaits du client.

Selon vous également le client n'attendrait plus rien et vivrait au quotidien... le client serait-il devenu punk ?
Différents éléments me semblent contredire cette thèse et assoir plutôt la thèse de client encore plus impliqués : avis sur des produits, conseils d'utilisation et résolution de problèmes auto-produits, attachement aux marques au point de s'inscrire à des blogs de marque, comportement ubiquitaire (achats aux enchères sur le net, en boutique physique / en ligne, ventes privées...), et enfin il consacre du temps à trouver le même produit moins cher, le bon plan, le produit niche...

Concernant le premier point : les marketers seraient-ils désarçonnés au point de ne pas voir dans les ressorts du Web 2.0 des sources de motivation qui ne pourraient pas être canalisées en vue d'alimenter leurs marques ou leurs motivations clients ?

Au-delà de ce commentaire très rationnel, j'aime assez l'idée selon laquelle le "marketing is dead"... elle a un goût de révolution dans le marketing, qui semble trouver sa source au-delà du marketing. Je n'ai pour ma part aucun doute dans la capacité du marketing à venir à bout de cette révolution... notamment en la conceptualisant et en la marketant (comme vous avez peut-être commencé à le faire en lançant le concept "marketing is dead" :-))

Écrit par : arnaud | 03/07/2008

Quand je dis : "ils n'attendent plus rien, ils gèrent le quotidien", cela signifie qu'ils n'expriment plus aucune réelle attente lorsqu'on les interroge - en groupes ou en entretiens individuels. Il sont amplement satisfait avec ce qu'ils ont - contrairement à il y a 50 ans, où existaient encore de "vraies" attentes en la matière. Bref, ils n'attendent plus rien des entreprises et des marketers.
Ce qui ne veut pas dire qu'ils n'ont pas leur avis : c'est même la mise en commun de ces avis qui constitue "l'intelligence" collective.
Et oui, bien des marketers ont du mal à l'appréhender ... alors qu'une voie royale s'ouvre pour un marketing collaboratif !
Alors qu'il est clair que s'ils restent les deux pieds dans le même sabot, ils mourront avec leur marketing d'hier, faute de savoir inventer celui de demain.

Écrit par : François Laurent | 03/07/2008

Les commentaires sont fermés.