12/10/2006
Du Consommacteur à l’Empowered Consumer
Le terme est né de l’alter consommation et du commerce éthique, avant d’être détourné par le marketing qui se l’est indûment approprié… en le dévoyant fortement.
Le consommacteur originel présente un côté militant pouvant déboucher sur des actions énergiques, comme le boycott de marques non citoyennes : « Vous verrez […] que les grandes marques (plus chères) que vous connaissez appartiennent toutes à des groupes mondiaux, possédés par des actionnaires de tous pays, et produisant dans des pays à bas coût. A éviter donc », lit-on sur un tract : Devenez un Consommacteur !(1)
L’idée est que si une mondialisation effrénée ruine notre planète – et notre humanité –, les citoyens peuvent se mobiliser et réagir : qu’ils reprennent leur destin en main et que consommateurs passifs, et se muent en acteurs de leur consommation. Nike détruit des emplois en Europe en exploitant des enfants en Chine ? Refusons son impérialisme économique.
Inversement, le commerce équitable garantit une existence décente à des paysans défavorisés ? Soutenons les projets responsables et achetons le café labellisé Max Havelaar.
Le marketing ne participe évidemment pas d’un mouvement alternatif qui en dénonce les dérives les plus flagrantes, comme dans le livre de Naomi Klein : No logo, explicitement sous titré : La tyrannie des marques !(2) ; un mouvement pouvant déboucher sur l’activisme radicale des « casseurs de pub ».
Vu sous cet angle, consommacteurs et marketers ne sauraient faire bon ménage… même si certains s’interrogent : « No Logo est un livre qui m'a marqué ; je travaille en marketing et en design graphique, et je ne cesse de me demander si nous pouvons vivre de ce genre de métier sans avoir du sang sur les mains », peut-on lire sur le site de Radio Canada(3).
Tout au plus, le marketing y aura-t-il discerné une tendance sociétale plus profonde : la résurgence des valeurs de l’être versus le paraître, liée à un besoin croissant d’expression de soi. La mondialisation galopante conduisant à une nécessaire uniformisation – une lobotomisation – culturelle, les gens ressentent un impérieux besoin d’affirmer leur personnalité, marquer leur identité.
En mal de différenciation, les marques vont surfer sur la vague, les nouvelles technologies leur fournissent un support inespéré. Nike s’engouffre ainsi rapidement dans la brèche, en lançant son site Nikeid(4) : il est vrai que le leader américain a eu à subir les foudres des consommacteurs de la première génération, Michael Moore en tête qui débarque un jour dans le bureau Phil Knight, caméra sur l’épaule, et lui demande tout de go s’il sait que des enfants de moins 14 ans fabriquent les chaussures dans son usine en Indonésie.
Les nouveaux consommacteurs pourront, quant à eux, customiser les leurs sur Internet en choisissant la couleur, en précisant le nom qu’ils souhaitent y voir inscrit, etc.
A un consommacteur militant et solidaire, les marques opposent donc un nouveau consommacteur nettement individualiste, et à la créativité fortement bridée – elle ne s’exprime que dans un cadre très étroit et nécessairement préformaté. Le néo-consommacteur apparaît donc bien comme un pur produit marketing – un pseudo acteur !
Un nouveau consommacteur qui s’en va hanter les colloques et la presse professionnelle : « Libres variations sur des thèmes, les motifs contemporains sont porteurs du dynamisme d'un "consommacteur" qui attend des designers une nouvelle créativité, rien que pour lui », découvre-t-on dans Stratégies(5). Et la profession d’expliquer à la profession comment créer des produits qui laisseront croire à leurs clients qu’ils en sont les créateurs !
Evidemment, un tel discours ne séduit que ceux qui y croient… mais pas vraiment les consommacteurs supposés ! Ainsi le webmaster de Nike de recevoir la demande d’un internaute américain d’inscrire sur ses chaussures le mot « sweatshop » pour « rappeler l’effort et le travail des enfants qui ont fabriqué mes chaussures »(6). Refus embarrassé du fabricant qui découvrira avec stupeur la publication de ses réponses gênées sur divers sites et forums !
L’erreur du marketing aura été de croire que l’on pouvait traiter les consommacteurs comme de simples consommateurs, une cible émergente – des consommateurs as usual, avec de nouvelles motivations : auto expression, communication asynchrone, etc. Un peu comme les Activistes(6) d’hier privilégiaient hier leur élitisme au travers de marques identitaires : suffit alors de segmenter et adapter son offre.
Sauf que les nouveaux consommacteurs ne respectent pas les lois fondamentales du marketing, à savoir choisir au sein de propositions de plus en plus variées, celle qui leur convient le mieux. Ils ne comptent plus sur les marques pour leur permettre d’agir : ils agissent, point barre !
Ils ne se contentent plus d’illusions – d’une vie par procuration au travers des marques : ils reprennent leur destinée en mai, non pas parce qu’ils en ont soudain envie… mais simplement parce qu’ils disposent enfin des moyens pour !
Et là encore, les annonceurs l’ont appris à leurs dépends. Free, par exemple : début septembre 2005, Stéphane lance Freepouille, un blog pour raconter au quotidien ses déboires avec son fournisseur d’accès Internet ; un mois après, son audience explose – plus de 1500 visites hebdomadaires – et cela dure jusqu’à ce qu’enfin, fin novembre, une solution soit apportée à son problème.
Un an plus tard, son blog ne contient plus qu’une unique page de conseil : « J'avais écrit ce blog pour faire pression sur Free et d'une certaine façon, cela a porté ses fruits […] Mais plutôt que d'effacer complètement ce blog, je préfère ne laisser en ligne que cette note, dans laquelle je vais essayer de faire partager ma - petite – expérience… ». Ce qui ne l’empêche pas de totaliser aujourd’hui plus de 50 000 visites !
Le cas d’école reste celui des antivols Kryptonite : le 14 septembre 2004, le blog Engadget, un des plus populaires aux Etats-Unis, publie la note suivante : « Much to our surprise, we were able to hack our Kryptonite Evolution 2000 U-Lock with a ballpoint pen. This $50 lock is supposed to be one of the best for "toughest bicycle security in moderate to high crime areas" — unless the thief happens to have a Bic pen » ; une édifiante vidéo accompagne la note.(9)
L’histoire fait rapidement le tour des blogs et des médias et, après un pesant silence de quelques jours, la société incriminée suspend la production du cadenas défaillant, puis en offre le remplacement… une affaire qui lui coûtera la bagatelle de plusieurs 10 millions de dollars de pertes.
Résumons : le consommacteur #1 apparaît comme un militant du développement durable de la première heure ; le consommacteur #2, comme un vulgaire ersatz, un pur ectoplasme marketing.
Et le consommacteur #3, comme un citoyen lambda – ou presque – qui utilise au mieux les nouveaux outils technologiques dont il dispose : Stéphane n’embrasse d’autres causes que la sienne et ne se bat que jusqu’au jour où il obtient réparation ; par contre, les dégâts collatéraux apparaissent bien souvent irréversibles.
C’est pourquoi je ne parlerai plus de consommacteur le concernant, mais d’Empowered Consumer : un consommateur rendu plus puissant par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ; et qui sait user de son nouveau pouvoir, les fameuses NTIC dont se gargarisaient les spécialistes de la Nouvelle Economie au plus fort de la Bulle Internet.
Bien sûr, dans la vie quotidienne, tout cela se traduit par des pratiques bien plus banales, mais irréversibles. Ainsi tous les ans depuis mon arrivée dans le groupe Thomson, j’étudie l’évolution des comportements d’achat des acheteurs de produits d’électronique grand public. Les premières années, la démarche apparaissait intangible : quelques visites en magasin, les tests de la FNAC, les éventuels conseils d’amis… avant l’ultime rendez-vous au cours duquel un vendeur adroit savait toujours guider leur choix dans le sens de ses propres intérêts.
Il y a deux à trois, tout a basculé : première étape, une recherche plus ou moins précise sur Internet pour découvrir… les prix les plus bas, puisque les comparateurs de prix apparaissent toujours en tête des sites référencés par Google. Seconde étape, on affine : tel téléviseur dispose de deux prises HDMI : c’est quoi, ça sert à quoi ? Et on repart sur Google, puis de forum en chat, on se fait une petite idée.
Dès lors, la visite en magasin change du tout : notre client exige les prix les plus bas, et le vendeur a beau argumenter – non seulement, il y a 4 prises USB, mais aussi une prise Firewire –, ce dernier n’en a cure. Pire, il saura lui démontrer que, franchement, la prise Firewire, elle ne lui servira pas à grand-chose : non, ce qu’il veut, c’est cet ordinateur-là, à ce prix-là. Point barre !
D’autant qu’il sait parfaitement que le vendeur est intéressé aux résultats, que son bonus dépend uniquement de certains produits, ceux à fortes marges, pour le distributeur s’entend ; de même qu’il décode parfaitement les campagnes publicitaires, sait discerner les gadgets marketing des réelles avancées techniques, etc. Il regarde la télévision : Culture Pub, Capital et autres émissions économiques.
Mieux informé, mieux outillé, l’Empowered Consumer s’est emparé du pouvoir : il n’est pas près de le lâcher !
Evidemment le marketing actuel est caduc : marketing is dead !
Cela ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras : cela signifie que plus rien ne sera comme avant. Et surtout que les entreprises qui tenteront de s’adresser à cet Empowered Consumer en croyant pouvoir lui parler le langage factice du consommateur #2 se préparent des lendemains difficiles.
L’Empowered Consumer n’est pas un nouveau subterfuge marketing : c’est une réalité forte, une équation nouvelle dont il faudra savoir tenir compte.
(1)www.familoo.com/familoo/RepFiles/3896536872/DevenezunCons...
(2)Naomi Klein : No logo.
(4)http://nikeid.nike.com/nikeid/
(5)http://www.strategies.fr/archives/1335_2/1335_203801/doss...
(6)François Laurent : La Grande Mutation des Marques High Tech.
(7)Bernard Cathelat : Les styles de Vie des Français.
08:08 Publié dans Consumer Insight | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
06/10/2006
World of Warcraft
La guerre est un métier et un monde à part entière : par curiosité, tapez World of Warcraft sur Google et vous serez impressionnés par la liste des sites communautaires dédié à ce MMORPG – Massive Multiplayer Online Role Playing Game : un jeu en ligne qui réunit sept millions de joueurs de par le monde, et dont les racines – Orcs & Humans – remontent à la préhistoire du Net : 1994 !
Sept millions d’abonnés actifs : pour en savoir plus sur les arcanes du jeu, consultez l’excellent article que lui consacre Wikipedia* ; et pour mieux comprendre ce qui pousse jeunes et parfois moins jeunes à se scotcher durant des heures devant l’écran de leur ordinateur, rencontre avec Arnaud, 16 ans, accro – léger : quelques heures hebdomadaires.
Un peu le soir, quand j’ai fini mon travail, mais plusieurs heures le week-end, on joue en groupe, chacun sur son ordinateur. Mais il y a des gens qui ne font plus que ça, j’ai un copain qui a passé un jour et demi sans arrêter !
Impressionnant ; mais pourquoi plongent-ils si facilement dans l’univers de World of Warcraft ?
Les jeux sur console avaient une fin ; là, il y a toujours de nouveaux équipements…
En cela, les MMORPG se rapprochent de la vraie vie : on ne tourne pas si aisément la page. Et comme dans la vraie vie, on peut faire des affaires :
J’ai créé un personnage qui était bien équipé au niveau le plus haut, je l’ai vendu à un copain, au prix de l’abonnement. Mais il y a des personnages qui se négocient 1500 euros sur eBay !
Tapez World of Warcraft sur eBay.fr et vous verrez une (petite) partie du business français.
Dans World of Warcraft, on joue contre des monstres, ou d’autres gens, mais rarement seul : on crée sa guilde. Une guilde, c’est dix personnes qui signent une charte, et après, on recrute, ça permet d’aller plus vite dans le jeu.
Et là, on ne joue plus avec des avatars, mais avec d’autres gens ; et parfois, on se retrouve dans la vraie vie : j’avais un ami qui faisait partie de la plus grosse guilde française, ils ont loué une maison en Ardèche, ils se sont retrouvés à plus de 200 !
Et comme les jeunes maîtrisent parfaitement les nouvelles technologies, pratiquent avec aisance le multi skating, on s’appelle sur Skipie, ou plutôt avec Team Speak : c’est nettement plus pratique pour jouer ensemble.
Finalement, World of Warcraft participe du même mouvement que MySpace ou Peuplades : des plateformes stables permettant à des communautés plus ou moins éphémères, plus ou moins stables, de s’organiser, d’exister. La différence étant que MySpace ou Peuplades ne s’inscrivent pas dans le rêve, mais dans la vraie vie…
Dans la vraie vie, dans la vraie vie… Mais elle est où, finalement, la vraie vie ?
* http://en.wikipedia.org/wiki/World_of_Warcraft
** Voir ma note du 16.05.2006 : Palo Alto et après… Systèmes instables et permanence.
15:45 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
03/10/2006
Tokyo Game Show
Tous les grands du jeu rivalisent d’imagination et d’audace pour les attirer sur leurs stands – si l’on peut qualifier d’audace des hôtesses tellement peu vêtues que Paris Plage évoque un Couvent de Bénédictines. Tous sauf Nintendo, qui le boycotte depuis l'origine – Nintendo dont la DS Lite s'est déjà écoulée à près de 4 millions d'unités depuis son lancement en mars dernier sur l'Archipel !
Pour en savoir plus sur le Tokyo Game Show, rendez-vous sur les blogs des français vivant au Japon, et notamment :
http://tokyo.viabloga.com/news/51.shtml
http://www.docteeboh.net/blog/?p=306
Comment se tenir au courant – évidemment très partiellement, mais en un clin d’œil – de l’actualité sociétale nippone ? J’ai agrégé dans une page Netvibes les flux RSS d’une douzaine d’expatriés français et les parcours de temps à autres, en sirotant mon café matinale : un petit outil artisanal de veille bien sympathique – et de quoi glaner quelques signaux faibles…
Et pour ceux qui ne connaissent pas encore Netvibes, l’adresse à consulter d’urgence : http://www.netvibes.com/.
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