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02/04/2006

Le futur ne se crée pas, l’œil rivé dans le rétroviseur

Les seniors deviennent omniprésents, baby boom et allongement de l’espérance de vie obligent : ils détiennent pouvoir et argent, dirigent notre pays – tous les pays développés – et peu à peu, le marketing générationnel se fossilise en marketing pour les seniors. Le senior marketing, c’est vendre et communiquer aux générations de plus de 50 ans*.

Que les seniors soient l’objet de toutes les attentions des marketers et des communicateurs, tant mieux pour eux. Qu’ils détiennent les rênes de la politique, dérange certainement plus – l’on s’interrogera sur le désamour grandissant de nos concitoyens pour la chose publique. Mais qu’ils prétendent imaginer ce que devrait être un futur à la construction duquel, eux – les plus de 50 ans –, ne contribueront que fort marginalement, ne peut qu’aboutir à des aberrations et des contresens.

Quelques exemples pour l’illustrer…

Récemment, lors d’un colloque sur le futur des transports urbains, divers experts prônaient le covoiturage comme l’ultime solution à nos problèmes de déplacement – le car sharing, doit-on dire désormais, parfaite synthèse entre le collectif et l’individuel.

En un mot le transport idéal d’une génération dont le premier réflexe, à 21 ans, l’âge légal de la majorité alors, consistait à passer son permis pour se noyer le plus rapidement la grande masse des conducteurs : rite de passage initiatique, mythe moderne de la société de consommation. Le problème aujourd’hui, c’est que l’on ne devient plus adulte en se calant derrière un volant.

Récemment, je demandais à des adolescents leur avis sur la conduite accompagnée : « Je ne me vois pas au volant d’une voiture », me répondirent-ils. Ne tirons pas des règles hâtives de quelques remarques isolées, mais en y regardant de plus près, leurs moyens de locomotion sont multiples – et ne sont certainement pas les mêmes selon que s’adressent aux bandes encore très tribales des banlieues ou à des lycéens urbains.

Globalement, on en dénombrera trois, ultra-majoritaires : la chaussure de sport, le roller, le skate. Les jeunes marchent : avant d’acheter des marques comme Nike ou Adidas, ils plébiscitent un mode de locomotion – d’ailleurs, si les collégiens continuent à baliser leur univers de marques emblématiques, lycéens et étudiants continuent à se chausser sportivement, mais plus anonymement. Roller et skate complètent très logiquement cet équipement.

Le futur des transports urbains ne s’envisage certainement pas à l’aide de chaussures de sport, rollers et skates, un peu comme le RER a su réserver des espaces dans ses wagons pour les vélos ; simplement ce sera celui d’une génération pour qui la voiture ne constitue plus un mythe : car si Roland Barthes a su inscrire le DS 19 parmi ses Mythologies**, l’époque apparaît bien révolue !

Le problème, c’est que bien des archétypes sur lesquels se fondent nos experts pour décrire les jeunes d’aujourd’hui apparaissent plus en résonnance avec ceux des jeunes… qu’ils ont eux même été. Et de nous peindre des lycéens et étudiants tribaux, obnubilés par les marques.

Or le tribalisme, c’est l’exacerbation de la fermeture sociale : les individus y respectent des codes extrêmement structurants, auxquels nul ne saurait se soustraire sous peine d’exclusion. Le tribalisme a façonné la France des siècles durant : celui de nos villages, de nos quartiers, voire même de nos grandes écoles – celui, aujourd’hui encore, de nos banlieues.

Mais dans leur grande majorité, les jeunes Européens cherchent à en faire éclater les carcans et à y substituer des systèmes plus lâches et ouverts – tellement ouverts qu’ils ne répondent même plus à la définition des théoriciens de Palo Alto. Des systèmes de communication où l’on peut « avoir envie de dire à ami, je pense à toi, sans avoir à entamer une conversation avec lui ». Faute de l’avoir compris, les opérateurs de la téléphonie mobile sont passés à côté des SMS.

Quant à la passion des jeunes pour les marques, elle cesse assez brutalement à l’entrée au lycée. La première, Nike en fit les frais quand en 2001, un étudiant du MIT lui commande des chaussures personnalisées du mot sweatshop – ces ateliers de la sueur où les petits asiatiques fabriquent les baskets du géant américain. D’emblématique, la marque se muait en un vulgaire punching ball – car bien entendu l’histoire fit le tour de tous les sites Internet !

Pareil dans le domaine des nouvelles technologies où, d’accrocs aux marques, les jeunes se sont mués en véritables experts, capables de discerner parmi une kyrielle de produits par trop semblables celui qui correspond exactement à leurs besoins : les fabricants de baladeurs mp3 ou de téléphones mobiles l’ont appris à leurs dépends.

Voici donc un futur bien étrange aux yeux de marketers formés au siècle dernier, nourri au lait de marques grasses d’un imaginaire construit à grands renforts publicitaires… Et pourtant, telle est la direction vers laquelle il leur faut tourner leurs regards, car c’est la que se construit le futur.

*Jean-Paul Tréguer, Le senior marketing, Dunod.
**Roland Barthes, Mythologies, Editions du Seuil.
***Paul Watzlawick, Une logique de la communication, Editions du Seuil.

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