Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/08/2006

Gilles Lipovetsky en retard d’une société

medium_Lipovetsky.jpgEffet Bobo* à retard ? Les philosophes séduisent le monde du business, du marketing et de la communication. Parmi eux Gilles Lipovetsky a récemment publié : Le bonheur paradoxal.**

Trait commun à tous ces nouveaux philosophes : ils affirment sans démontrer, maniant le "je" avec véhémence. Les "Je ne le crois pas", "J’ai au contraire la conviction…"** remplacent allègrement les démonstrations Cartésiennes auxquelles nous avaient accoutumé nos professeurs de Terminale.

S’ils ne démontrent pas – contrairement aux grecs ou aux classiques – d’où tirent-ils leur soudaine légitimité ? De l’affirmation catégorique et péremptoire de thèses indémontrables mais estampillées de l’inestimable sceau de l’Autorité Universitaire – rien de moins !

De l’affirmation définitive de ce que souhaitent entendre business men et publicitaires sans trop oser le demander : que la société de consommation se porte bien, qu’au passage les Français aiment toujours la publicité, et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes – moyennant quelques petits aménagements sémantiques dont les communicateurs ont le secret.

Gilles Lipovetsky s’est engouffré dans la brèche : puisque le microcosme communicationnel est en manque de consommation, il lui offrira… de l'hyperconsommation. Si avec ça, on ne s’arrache pas ses livres ! L'hyperconsommation constitue, dans pensée Lipovetskienne, le troisième cycle de la société de consommation. Petit rappel historique…

Le cycle I qui s’achève à l’aube de la seconde guerre mondiale, voit naître production et marketing de masse, avec la « triple invention » de la marque, du packaging et de la publicité – sans oublier la distribution de masse, les grands magasins ayant « enclenché un processus de démocratisation du désir ». Sic !

Le cycle II renvoie aux Trente Glorieuses : « Si la phase I a commencé à démocratiser l’achat de biens durables, la phase II a parachevé ce processus en mettant à la disposition de tous ou presque les produits emblématiques de la société d’affluence : automobile, télévision, appareils électroménagers ». C’est également le stade de la consommation collective – celle des foyers

Lipovetsky fait démarrer son cycle III à la fin les années soixante-dix – soit après les deux Chocs Pétroliers qui ont signé la mort des Trente Glorieuses. Nous pénétrons ici dans le champ de la consommation individuelle : « La consommation "pour soi" a supplanté la consommation "pour l’autre" en phase avec l’irrésistible mouvement d’individualisation des attentes, des goûts et des comportements ».

Jusque-là, l’analyse semble pertinente – bien que triviale : le marketing est né du dépassement de l’offre sur la demande – grosso modo, la phase I –, puis la gigantesque accélération économique des Trente Glorieuses a favorisé l’équipement du plus grand nombre – phase II – avant que le brutal coup de frein consécutif aux deux Chocs Pétroliers.

Et là, les Français vont devoir arbitrer entre leurs désirs et leurs capacités financières : en caricaturant à peine, quand on n’a plus les moyens de frimer, on se met à cocooner et on redécouvre les plaisirs minuscules.**** Ce qui explique le succès immédiat du livre d’un Philippe Delerm pleinement en phase avec son époque.

Depuis, il y a eu la Nouvelle Economie – Internet, le high tech tout puissant – et sa tout aussi vertigineuse chute, le rejet de plus en plus affirmé des marques par les jeunes, la montée du low cost, etc. Et des citoyens qui s’interrogent face à des crises à répétition – la guerre, les épidémies, la crise des banlieues, etc.

Tout cela ne laisse aucune trace réelle dans la pensée Lipovetskienne, depuis la fin les années soixante-dix, nous naviguons dans une société d'hyperconsommation : l'hyperconsommation, c’est une « façon d’exorciser la fossilisation du quotidien », de « remettre de l’aventure dans la vie ».**** Non, vraiment n’a changé depuis un quart de siècle… et rien n’est près de changer !

Et pourtant, que dire par exemple de ces consommateurs experts qui ne s’en laissent plus dire, ni par les marques statuaires, ni par leur communication, et encore moins par les argumentaires de vendeurs ? Gilles Lipovetsky balaie la critique d’un revers : « C’est autant un individualisme débridé et chaotique qu’un consommateur "expert" se prenant en charge de manière responsable qui s’annonce ».

D’où un monde totalement paradoxal, peuplé d’individus schizophrènes, à la fois fashions victims et babas cools, accros à la consommation bien que parfaitement capables d’en déjouer les pièges – en un mot, des turbo-consommateurs.

Et là aussi, il n’a pas totalement tort, Lipovetsky : nos contemporains apparaissent pétris de contradictions – flânant chez Aldi un sac Gucci à la main, ou comme ces écologistes qui déboulent dans les rues de Paris au volant de leur véhicule tous terrains.

Sauf qu’une telle société est tout, sauf stable !

Si nous changeons sans cesse de comportement – parfois dans un sens, parfois dans l’autre, nous autorisant de surprenants allers retours –, n’est-ce pas plus simplement parce que nous nous situons au carrefour de deux mondes, de deux civilisations – et qu’un jour plus ou moins prochains, les comportements d’hier laisseront définitivement place à ceux de demain ? Ce jour-là, Lipovetsky devra bien reconnaître son erreur… ou s’en tirer par une nouvelle pirouette philosophique.

Comme tout philosophe, Lipovetsky analyse un passé qui, même proche, n’en demeure pas moins révolu, ce qui le conduit à confondre l’eau qui passe avec la rivière – là où ne se discernent que des remous, ou encore une société paradoxale ! Mais en tournant ses regards vers l’aval – c’est-à-dire vers ceux qui crée le futur : les jeunes –, il verrait bien autre chose… et notamment que ces consommateurs experts qui se détournent des marques statutaires sont légions.

Chemin faisant, Lipovetsky fait sienne l’erreur des pères de la Nouvelle Economie : « Les nouveaux produits sont devenus une des clefs de croissance des entreprises : en phase III, l’innovationnisme a supplanté le productivisme du fordisme ». Sauf que l’on a vu à quoi a conduit la fuite en avant du tout technologique : à un climat de stress social sans précédent, et à une suspicion nouvelle à l’égard des marques.

Reste la question du succès du livre de Lipovetsky auprès des publicitaires. Sans doute est-il à rapprocher de celui de Noami Klein***** auprès des consommateurs : les premiers étaient enclins à encenser le premier ouvrage venu leur affirmant que 2000 ans de félicité s’offraient à eux – quand tout leur prouvait le contraire ; les seconds à se reconnaître en un pamphlet dénonçant la dictature de marques qu’ils commençaient à brûler.

Ce que nous prouve aujourd’hui Lipovetsky, c’est que nous n’avons surtout pas besoin de grands théoriciens pour nous expliquer à quoi ressemble le monde qui nous entoure. Mais au contraire de traqueurs de signes de changements – d’indices de la nouvelle civilisation qui se met en marche. Pourront alors venir d’autres philosophes pour nous parler complaisamment du passé.

Mais, de grâce, ne leur confions surtout pas notre métier, ils se meuvent dans une autre échelle temporelle. C’est à nous d’agir !

* David Brooks : Les bobos

** Gilles Lipovetsky : Le bonheur paradoxal : Essai sur la société d'hyperconsommation

*** Philippe Delerm : La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules

**** Conférence de l’auteur le 28 Juin 2006 au Club DDB

***** Noami Klein : No logo

11:55 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | | Pin it!

22/06/2006

Vient de paraître …

… au Village Mondial : Les études Marketing – Des études de marché au Consumer Insight, par François Laurent.
Encore un ouvrage sur les études marketing ? L’auteur s’en explique dès les premières pages. En espérant que ce court extrait vous donne envie d’en lire plus.

medium_Livre_Etudes.jpg Il existe de nombreux ouvrages consacrés aux études marketing, certains très spécialisés : l’animation des groupes qualitatifs, l’analyse statistique des données ; et d’autres généralistes, parfois de type do it yourself : comment réaliser soi-même ses propres études de marché ? Nombre d’entre eux sont excellents.

Ou plutôt l’étaient, encore très récemment : car aujourd’hui, le marketing en général, et les études marketing en particulier, doivent faire face à une double mutation qui jette à terre bien des présupposés sur lesquels ils se fondent – sans oublier des avancées récentes dans le champ des sciences fondamentales.Une mutation sociétale d’envergure, tout d’abord, qui rend caduque bien des outils existants : comment – et à quoi bon – disséquer les composantes d’une image de marque quand ses clients plébiscitent ses concurrents … sans marques – no names ! Comment argumenter quand ses mêmes clients décodent mieux les axes de communication que sa propre agence de publicité ? Voire se montrent plus férus de technologies que nombre de vendeurs !

Autre défi majeur, les multiples mutations technologiques, qui relèguent au musée les approches traditionnelles, et soulèvent bien des questions scientifiques et méthodologiques : Internet pénètre un foyer européen sur deux, et pourtant il n’existe aucun annuaire d’adresses électroniques. Et tandis que la téléphonie mobile touche à près de 75% de la population, se développe à domicile une téléphonie sur IP, c’est-à-dire utilisant le protocole Internet.

Quand tout ne se mélange pas dans une cacophonie infernale : éduquées par les émissions économiques à la télévision, certaines consommatrices se professionnalisent et hantent les réunions de groupe, multipliant numéros de téléphone et identités, réussissant parfois à participer à plus de 10 groupes par semaine : à 45€ d’indemnités non déclarées, cela fait 1800€ mensuels assez agréablement gagnés. Evidemment, la qualité des résultats s’en ressent !

La majorité des livres consacrés aux études marketing – pour ne pas dire au marketing en général – se révèlent aujourd’hui obsolètes parce qu’ils n’enseignent que des outils – des méthodes, voire des process – sans jamais soulever la question du « pourquoi », se contentant inlassablement du « comment ».

Les études marketing ne limitent pas à une collection de méthodes

Dans bien des entreprises, les responsables d’études marketing bénéficient de l’auréole des spécialistes : ceux qui savent qu’à telle demande il convient de répondre par un trade off quantitatif, et à telle autre par des entretiens individuels. Bien sûr qu’il est important de maîtriser ces outils ; nécessaire, mais totalement insuffisant.

Il convient avant tout de disposer des connaissances en sciences humaines et cognitives pertinentes. Savoir par exemple que le goût dépend tout autant de nos papilles gustatives que de notre mémoire à long terme – et qu’ainsi, une même boisson ne sera pas pareillement perçue selon que le test s’effectue avec ou sans bouteille, avec ou sans marque.

Au fil des ans ces connaissances se sont affinées ; parallèlement, les technologies de recueil et traitement de l’information se sont également développées : du recueil en face à face, où l’enquêteur notait patiemment les réponses des interviewés, on est aujourd’hui arrivé à l’auto-administré par Internet, tandis que des mini caméras bien placées permettent une ethnologie non intrusive.

Les études socioculturelles sont datées tant parce que leur mise en œuvre nécessitait des moyens informatiques indisponibles avant le début des années quatre-vingt ; que parce qu’elles permettaient des segmentations en accord avec l’explosion des imaginaires de marque. Mais aujourd’hui, elles butent sur la complexité croissante des citoyens et aux mêmes questions se substituent désormais des réponses purement qualitatives.

C’est pourquoi les études marketing ne sauraient se réduire une compilation d’outils : elles requièrent de bien plus vastes connaissances que leur champ d’application étroit, le marketing. Elles fondent la connaissance de l’individu – d’où leurs multiples racines en psychologie, sociologie, ethnologie, mais également neurobiologie, sémiologie, etc.

L’université constitue la meilleure formation aux études marketing – parce que s’y enseignent les sciences humaines sur lesquelles elles s’appuient ; mais aussi la curiosité qui fait souvent cruellement défaut dans les écoles de commerce, où l’on privilégie méthodes et process.

Nul ne saurait cependant maîtriser toutes les disciplines sur lesquelles se fondent les études marketing : c’est pourquoi nous essaierons systématiquement d’éclairer nos propos des bases fondamentales nécessaires, non seulement à la compréhension, mais également à la mise en œuvre des méthodologies présentées.

Maîtriser les outils d’aujourd’hui et de demain

Cet ouvrage enseignera comment apporter des réponses méthodologiques à des problématiques marketing – la raison d’être des études marketing – en croisant tant connaissances fondamentales et avancées technologiques que mutations sociétales.

Il se composera de trois parties : la première consacrée aux méthodes les plus couramment utilisées – les fondements des études marketing ; la suivante, à leur mise en œuvre dans un domaine d’investigation majeur – la communication publicitaire ; et la dernière, aux défis auxquels les études doivent faire face aujourd’hui – et devront encore plus demain.

  • Les fondements des études marketing

Qualitatif ? Quantitatif ? Pour mieux appréhender les études marketing, il convient de se souvenir que, si dans la pratique courante, le qualitatif précède souvent le quantitatif – bien souvent relégué en une fonction annexe –, il en va inversement d’un point de vue historique – et que la longue histoire des études de marché peut s’appréhender comme celle d’un long combat pour réintroduire du qualitatif dans le quantitatif – voire lui accorder la prédominance !

Dans cette première partie seront abordées les bases techniques des études quantitatives : rédaction et administration des questionnaires, échantillonnage, dépouillement et traitement de l’information ; et qualitatives : l’interrogation directe – individuelle ou en groupe, avec les aléas liés aux différentes forme de mémoires – et ses alternatives.

Mais auparavant, nous verrons comment tout est parti des sondages électoraux américains, puis de l’application de ces premières techniques dans le champ publicitaire – et d’une vision simple et mécaniste du consommateur ; vision que premières études socioculturelles tenteront de dépasser avec l’appui des premiers outils de traitement informatique.
Et qu’aujourd’hui, les praticiens butent sur deux écueils majeurs : de flagrants problèmes de qualité liés, notamment, à la complexité des outils ; de tout aussi évidents problèmes de pertinence face à la complexité des citoyens qu’ils étudient.

  • La communication publicitaire
Sémiotique et sciences cognitives en ont profondément modifié notre compréhension.

La sémiotique souligne que les messages ne sont pas systématiquement codés et décodés selon l’ancien schéma de Shannon, mais que leur destinataire leur confère un sens à partir d’une multitude d’indices, endogènes ou exogènes aux annonces elles-mêmes. Théorie confirmées par les sciences cognitives qui soulignent les interactions entre nos organes sensoriels, et nos mémoires à court et long terme.

Tout ceci conduira nécessairement à une totale redéfinition des critères pertinents en matière de pré testing publicitaire : alors que le débat s’est longtemps instauré sur la suprématie de l’impact sur la persuasion – ou vice versa –, tant au niveau du choix des concepts, en qualitatif, qu’à celui de la finalisation des matériaux communicants, en quantitatif, nous établirons la – longue – liste des indicateurs à valider.

Pareillement en post testing, nous démythifierons les critères superfétatoires – et pourtant bien souvent les plus usités ! – pour montrer comment toute action peut, et doit, s’évaluer en fonction des moyens publipromotionnels mis en œuvre, et notamment des distributions de fréquence dans les médias.

  • Les études face à leurs défis

Le premier défi auquel doivent aujourd’hui faire face les études marketing, ce sont les mutations qui traversent notre société – et leurs conséquences immédiates. Si la Nouvelle Economie a échoué a créer un nouveau modèle sociétal – celui de la Génération Bobos pour schématiser –, les outils high tech sur lesquels elle se fondait, eux, demeurent, et les citoyens s’en sont saisis pour leur plus grand bonheur – parfois en les détournant de leurs usages initiaux.

Les grosses machines socioculturelles des trente dernières années se révèlent soudain totalement incapables d’expliquer les nouveaux comportements des consommateurs, et les marketers se dotent de nouveaux outils pour piloter la stratégie de leurs entreprises, le plus souvent d’essence qualitative, l’intuition remplaçant les certitudes d’hier : certains commencent à se répandre assez largement, comme les études de tendances, et d’autres demeurent à inventer.

Le second défi des études marketing réside dans les multiples bouleversements technologiques qui frappent la profession : une part grandissante des utilisateurs ne jurent plus aujourd’hui que par Internet – plus rapide, plus souple, et surtout moins cher –, sans trop se soucier des conséquences en matière de représentativité, ou de sincérité due à la multiplication des alias, etc. Tandis que les autres fuient l’outil comme un piège diabolique.

Les organismes professionnels édictent des guides de bonnes pratiques, et peu à peu les praticiens apprennent à en optimiser la mise en œuvre, ou plus simplement à en éviter les divers pièges, tandis que se profilent déjà à l’horizon les sondages par téléphonie mobile – pratique fort prometteuse au Japon, où la 3G se répand rapidement.

De la conjonction de ces deux réalités – des nouvelles méthodes d’appréhension du consommateur ; de nouveaux supports technologiques – naissent des pratiques originales, et la profession n’arrête plus d’effectuer des révolutions Coperniciennes : un exemple parmi tant d’autres, celui de la hiérarchie presque centenaire instituée par les Américains, le qualitatif servant à dégager les pistes d’une nécessaire et ultime quantification.

Aujourd’hui, le qualitatif se révèle dans bien des cas la discipline majeure parce que la seule à pouvoir dégager des schémas explicatifs – de réelles causalités, le quantitatif se bornant à constater des coïncidences. D’où un process : un quantitatif « léger » pour fixer des ordres de grandeurs, puis un qualitatif approfondi – et souvent pluridisciplinaire – pour dégager les fondements d’une prise de décision parfaitement étayée.

Le recueil par access panel sur Internet, en dissociant le recueil – les gestionnaires de bases – de l’analyse autorisent les instituts qualitatifs à se doter d’une expertise complémentaire qui auparavant leur échappait, et peuvent désormais légitiment s’imposer comme leaders de vastes projets qui auparavant leur échappaient.

La dernière ambition de ce livre sera de donner à ses lecteurs les moyens d’appréhender plus sûrement ces mutations.

21:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | Pin it!

13/06/2006

La Grande Mutation des Marques High Tech

medium_Academie.4.jpgL'Académie des Sciences Commerciales a décerné la « Médaille de l'académie des Sciences Commerciales » à La Grande Mutation des Marques High Tech, de François Laurent.

L’Académie des Sciences Commerciales, créée en 1957, suscite, encourage, développe coordonne et récompense des études intéressant les sciences commerciales et les techniques connexes.

Plus d'infos : http://www.academie-des-sciences-commerciales.fr/

On a beau ne pas écrire pour des médailles, cela fait quand même d’autant plaisir qu’on ne s’y attend pas vraiment. Petit rappel pour ceux qui ne l’ont pas encore lu : le pourquoi de ce livre. En fait, les premières pages.

medium_Livre.jpgEn cette fin de vingtième siècle, le troisième millénaire s’annonçait sous les meilleurs hospices : non seulement le terrible bug de l’an 2000 ne s’était révélé qu’un pétard mouillé ; mais surtout, grâce à la fée digitale, et après deux décennies de stagnation, l’économie était enfin repartie. Les nouvelles stars s’appelaient AOL ou Amazon en Amérique, Wanadoo et Orange sur le vieux continent, toutes opé­raient dans les NTIC : les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Com­munication.

Une nouvelle ère s’ouvrait à nous, magique, un nouvel univers peuplé d’ordinateurs, de DVD, de mp3, de téléphones mobiles, etc. Et bientôt de réfrigérateurs direc­tement connectés au Web pour commander un nouveau pack de bière, dès la der­nière cannette ouverte ; de téléviseurs suffisamment intelligents pour apprendre nos goûts et enregistrer entre notre absence les émissions que nous aurions re­gretté de rater. La France s’équipait à marche forcée, nous en redemandions mê­me : au cours de la seule année 1999, ne s’était-il pas vendu plus de 11 millions de mobiles ?

Dans l’euphorie la plus complète, une nouvelle civilisation – ou, pour le moins, une Nouvelle Economie – se construisait, avec en point d’orgue, la méga fusion AOL/Time Warner : le fougueux conquérant de la galaxie Internet s’emparait d’un des plus brillants fleurons de l’ancienne économie, incapable de résister à ses avan­ces. Une première méga fusion pour en préparer une autre, celle toujours annon­cée bien que jamais avenue, de la télévision et de l’ordinateur, avec des apparte­ments tapissés d’écrans, jusque dans la salle de bains et le garage !

Et ainsi, dès les premiers jours de 2000, la presse unanime soulignait qu’avec « le rapprochement AOL/Time Warner, une société d’accès sur le Net met en com­mun ses ressources avec un producteur de "contenus". L’enjeu est de taille, l’or­dinateur et la télévision d’aujourd’hui étant amenés à céder la place à terme à un poste multimédia, sorte de télé du futur cumulant les avantages du Net et de la télévision ».

Deux ans plus tard l’Express tente encore d’y croire : « Avec la télévision inter­active, Steve Case et Gerald Levin tiennent peut-être le Vitaphone du XXI° siè­cle ».* Mais le cœur n’y est plus vraiment : car entre temps, dès la fin du premier trimestre 2000 le Nasdaq commence à s’effondrer, entraînant dans sa chute – ou entraîné par la chute de – toute la Nouvelle Economie. Les jeunes pousses les plus prometteuses se referment avant d’éclore, les banquiers commencent à paniquer, et la presse à se gausser de business models qu’elle encensait quelques mois au­paravant. Le consommateur, un instant ébloui, se détourne sagement des miroirs aux alouettes.

Depuis l’explosion de la bulle technologique, les nuages ne cessent de s’accumuler sur la planète éponyme. WAP, Iridium, UMTS, autant de flops retentissants pour des projets sensés préfigurer l’avenir de notre société – et de nos retraites : le gouvernement souhaitait alors utiliser le produit de la vente des quatre licences UMTS (plus de 120 milliards francs) pour en financer le fond de réserve ! Pour dire les douces illusions dont nous bercions tous à l’aube du millénaire nouveau – tous : entrepreneurs, politiques, médias, économistes et consommateurs.

Pour ces derniers, les dégâts demeurent limités. Certes, avec le retour de la cri­se, leur pouvoir d’achat faiblit, le spectre du chômage se profile à nouveau à l’ho­rizon, mais c’est un peu comme un lendemain de fête trop arrosée : on a la gueule de bois, on évite de toucher aux boissons fortes. Les citoyens se remettent dou­cement d’une indigestion de technologie nouvelle et flamboyante ; et dans les ma­gasins, les clients se détournent des produits high tech qu’ils admiraient, pour ne plus s’équiper qu’avec retenue, et à bon escient.

Pour les entrepreneurs, les ravages apparaissent sans commune mesure, à la hau­teur des espoirs insensés  – et des investissements démesurés pour certains – de tous les industriels des NTIC : voilà des opérateurs de télécoms qui ne compren­nent pas que leurs clients répugnent à changer de mobile tous les ans, à souscrire à une multitude de services dont ils ne saisissent pas le sens ; des constructeurs d’ordinateurs qui ne réussissent plus à faire saisir aux leurs la beauté d’une loi de Moore qui devrait les inciter à changer d’équipement beaucoup plus rapidement ; etc.

Les voici donc tous désormais confrontés à un phénomène aussi terrible qu’inédit, face auquel ils se sentent bien désarmés : les concepts de base même du marketing se révèlent soudain totalement inopérants – même si avant ils ne s’en étaient guère souciés ! Alors que les ouvrages fondateurs leur enseignent de chercher, analyser et décortiquer les motiva­tions susceptibles de pousser leurs clients à acheter produits et services, ils dé­couvrent que les leurs ne génèrent désormais plus que des freins. Des freins, et seulement des freins.

Deux questions se posent alors légitimement à eux : comment, pourquoi en est-on arrivé là ? Et bien évidemment, comment s’en sortir ?

La première question devrait se reformuler ainsi : pourquoi les approches marke­ting traditionnelles se révèlent-elles soudain totalement inefficaces ? Parce que la société de consommation, à l’aune de laquelle elles avaient été construites – la seule qui ait jamais requis des outils de promotion et de vente sophistiqués - est en train de se dissoudre, de se désintégrer, ou pour le moins de s’effacer au pro­fit d’une autre société, une autre culture, une autre civilisation, aux valeurs bien différentes, et que nul ne saurait encore ni nommer, ni préciser.

Un monde repensé, refa­çonné par – et pour – les citoyens, des citoyens à qui les NTIC confèrent sou­dain le pouvoir dont ils rêvaient depuis longtemps. Toutefois si jaillissent de toutes parts de nouveaux comportements, de nouveaux mo­des de vivre et de penser, rien ne s’ordonne, ne s’agence encore de stable – juste un maelström d’idées souvent généreuses, un bouillonnement d’initiatives tout au­tant créatives que désordonnées.

Ainsi le décor est-il planté : nous traversons aujourd’hui un vaste no man’s land sociologique, sans repères concrets, avec pour seule certi­tude que les recettes d’hier sont définitivement obsolètes.

Les premières parties de cet ouvrage permettront de dresser un double état des lieux, explicatif et prospectif. Explicatif du malaise social actuel dans Le marke­ting en crise – et du désamour des consommateurs et des citoyens pour le high tech ; pros­pectif dans Le futur n’est plus ce qu’il était, en tentant de discerner, par delà les pratiques émergen­tes, quelles en seront les valeurs fondatrices de la société de demain – quelle civili­sation est en train de se bâtir sous nos yeux.

Restera alors à jeter les bases de nouveaux outils marketing. Et à poser l’ultime mais nécessaire question : alors que les produits high tech n’en finissent pas d’envahir notre univers, quelle est – et sera demain – la légitimité des marques technologiques, face à l’indifférence croissante des consommateurs à leur encon­tre ? Voire même un certain rejet. Telle sera l’ambition de la dernière partie de cet ouvrage : Pour un nouveau marketing.

* Case et Levin sont les patrons d’AOL Time Warner, le Vitaphone est le procédé de synchronisa­tion sonore qui a fait la fortune des frères Warner

21:45 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | Pin it!