Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/12/2011

Les interviews du Brand-Lab : Xavier Charpentier

Xavier Charpentier.jpgXavier Charpentier sera présent dans le cadre du Brand-Lab du BEC-institute du 9 Décembre – voir ici. En avant première, rencontre avec l’auteur de : Les nerfs solides – Paroles à vif de la France moyenne.

MarketingIsDead : Xavier, à l’occasion de la sortie de ton livre : Les nerfs solides, tu expliquais début 2009 sur ce même blog que les classes moyennes étaient celles qui souffraient le plus de la crise : en 2011, leur situation s’est-elle améliorée ?

Xavier Charpentier : Non ! On ne peut malheureusement pas dire cela... Elles continuent à souffrir et à serrer les dents tout simplement parce que leurs difficultés  sont aggravées par la crise, comme celles de beaucoup de Français de catégories modestes ou même favorisées, mais pas créées par elle.

Ce qui se passe pour les classes moyennes et dont elles souffrent, c'est un phénomène véritablement tectonique, de très grande ampleur et de long terme, qui a commencé il y a plus de 10 ans : leur glissement progressif vers les classes populaires en termes de revenus et de conditions de vie. C'est ce que nous appréhendons qualitativement à travers les récits de vie que nous recueillons sur notre blog à l'occasion de nos enquêtes d'opinion, c'est aussi ce que le Credoc mesure à travers les chiffres des dépenses contraintes.

Quand nos classes moyennes nous expliquent qu'elles ont le sentiment de survivre en travaillant toujours plus juste pour maintenir à peu près ce que l'on pourrait appeler un « niveau de vie solvable » (« Plan de rigueur sur plan de rigueur et après ? Travailler plus pour gagner plus ? Pour le moment, j’ai l’impression de travailler plus pour…travailler plus »), le Credoc mesure que la part des dépenses contraintes dans le budget des ménages des classes moyennes inférieures est passé de 28 à 38% entre 2000 et 2005, rattrapant ainsi le niveau qu'elle atteint chez les classes populaires - et on peut penser que la situation s'est aggravée depuis la crise.

Au final, ce qui est en jeu et s'aggrave avec la crise, c'est un malaise énorme sur la place des classes moyennes dans la société et leur horizon d'attente : « Avant, lorsque on avait pas de diplôme, on allait à l’usine et on se faisait une place dans la société, on vivait. Maintenant les usines délocalisent et nous, on reste au bord de la route … Aussi, je pense qu’il faudrait tout remettre à plat. Je termine par une phrase de Coluche qui disait : la place doit être bonne en haut, tout le mon de la veut. Et c’est lui qui avait raison. » 

MarketingIsDead : Je n’ai pas l’impression que non seulement les marketers, mais aussi les étudiants en marketing, soient préparé à ce nouveau paradigme social : quand ils ne rêvent pas de travailler sur des produits de luxe, ils appliquent des recettes datant d’une époque où les Français, et notamment les classes moyennes, disposaient de plus de moyens …

Xavier Charpentier : C'est vrai que pour les marketers et les apprentis-marketers, c'est aussi une révolution. Et qu'il faut réapprendre beaucoup de choses. Cela me rappelle une discussion que nous avions ensemble dernièrement, sur le « marketing inversé », celui qui nous revient des pays émergents.

A partir du moment où une catégorie très importante de Français - et là on ne parle pas des classes populaires, précarisées et vraiment prolétarisées par endroit -  commence à adopter des comportements de paupérisation dans sa consommation, il faut bien en tenir compte.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire, par exemple, qu'à partir du moment où un nombre croissant de Français moyens, souvent rurbains,  s'adonnent de plus en plus au faire pour préserver son pouvoir d'achat - faire son jardin pour éviter d'acheter des fruits et légumes, redécouvrir le fait-main pour les vêtements comme nos grand-mères … - il faut s'adapter à cette nouvelle donne. En trouvant un chemin de crète entre marketing du paupérisme - ce qui serait insupportable - et marketing de l'abondance - ce qui pour les gens est au mieux un marketing du passé, au pis un marketing de la provocation.

Est-ce difficile ? Oui, bien sûr. Est-ce impossible ? Non, les anglo-saxons font ça très bien et depuis très longtemps. En Grande-Bretagne, sans même parler de classes moyennes paupérisées, il y a toujours eu une classe populaire très modeste - les films de Ken Loach la mettent en scène depuis 20 ans, avec Riff Raff par exemple ou Raining Stones - et les marketers et publicitaires anglais ont toujours réussi à leur parler et à leur adresser un marketing intelligent, efficace. Qui les valorisent tout en intégrant leur culture et  en répondant à leurs préoccupations.

En France, il y a déjà des marques qui ont réussi ce changement de paradigme et trouvé à la fois les bons produits, les bonnes politiques de prix et le bon langage pour s'adresser à cette nouvelle cible. On peut citer Dacia par exemple. Qui est quand même un des grands succès marketing de ces dernières années. Est-ce que c'est excitant ? A mon sens, oui, c'est même un des défis les plus passionnants que les marketers ont à affronter depuis longtemps. Si j'étais étudiant, je serais très excité …

MarketingIsDead : Aujourd’hui, quels conseils donnerais-tu à une marque de produits ou de services « mass market » ? Comment doit-elle se réinventer … si c’est évidemment possible ?

Xavier Charpentier : Se réinventer, je ne sais pas, parce qu'il ne faut pas non plus sur-réagir à ces changements, même s'ils sont profonds. On reste malgré tout - même si les gens ont le sentiment d'être dans une grande centrifugeuse qui tend à les éjecter à la périphérie voire hors du système - dans la société de consommation.

Mais se recentrer sur les fondamentaux du métier, ça oui. Reprendre les choses à la base, en considérant que plus que jamais, dans une période où les inégalités se sont creusés, et où les modes de vie entre la France moyenne et modeste et la France plus favorisée se sont « dé-moyennés », il faut revenir aux bases du marketing et considérer plus que jamais le consommateur comme un « étranger » : quelqu'un qui a une réalité de vie qui est différente, à la rencontre duquel il faut aller pour comprendre de l'intérieur sa vie, sa culture, et l'engager au mieux.

Cela suppose d'inventer de nouveaux outils d'étude et de compréhension, de repenser les instruments du marketing. Plus que de repenser le rôle de la marque elle-même, qui reste vecteur de réassurance, de différence … Et de rêve. Parce que ce n'est pas parce qu'on a moins de pouvoir d'achat qu'on doit avoir moins de droit à rêver grâce aux marques.  

17:49 Publié dans Interviews | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | Pin it!

Les commentaires sont fermés.