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26/03/2012

C’est la faute au marketing !

bernard-stiegler-64177.jpgLa France va mal, le chômage augmente, le pouvoir d’achat chute, Madoff est parti avec la caisse, les trains arrivent en retard et le petit dernier a les oreillons ? Un seul coupable : le marketing !

« Dans les rues à Paris, au bistro en face, là, vous discutez avec les gens, il y en a de toutes les nationalités et ils sont tous d’accord sur une chose, c’est que ça va mal et que personne ne voit comment sortir de là. L’organisation de la destruction de tout cela, c’est le marketing ».

La différence entre ces deux assertions, c’est que la première – elle est de moi – se veut juste caricaturale ; et que le seconde est signée Bernard Stiegler et se lit au premier degré.

Si le marketing est l’art de persuader des conducteurs pourtant respectueux de l’environnement d’acheter de grosses cylindrées gourmandes en carburants, le marketing apparaît évidemment coupable … mais n’est-ce pas là lui conférer un pouvoir qu’il n’a pas vraiment.

Le marketing permet au mieux à l’entreprise d’adapter ses produits aux attentes des consommateurs ; de ne plus leur imposer un unique modèle de Ford T … Et encore, cela ne marche pas à tous les coups : le marketing peine bien souvent à vendre à des citoyens responsables des produits qui ne dégradent pas la planète !

Mais il faut des boucs émissaires : alors les marketers ont pris l’habitude qu’on les accuse de tous les maux !

Ce qui ne peut pas dire que le marketing soit blanc comme neige : quand le business se porte mal – ce qui est le cas en ce moment –, nombreux sont ceux qui sont tentés de franchir la ligne, et de promettre des bénéfices irréalistes à leurs clients, ou d’assommer les internautes de mails non sollicités.

Depuis déjà quelques années, le marketing est devenu le marronnier de journalistes en mal d’idées ou l’objet de détestation des associations de défense des consommateurs … et peut-être est-ce bien là le cadet de soucis de professionnels qui doivent sans cesse défendre leurs budgets auprès de financiers incrédules et justifier leurs choix auprès de commerciaux qui trouvent que les ventes ne décollent pas assez vite.

Mais quand ce sont de brillants philosophes qui pèsent soudain de toute leur autorité sur le sujet et accusent un marketing dominateur (associé à un capitalisme financier hégémonique) de faire « régresser nos sociétés » – rien de moins !

Comme si le marketing lui-même ne souffrait pas de la dite « hégémonie du capitalisme financier » … Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet !

Toujours est-il que les propos de Bernard Stiegler dans bastamag.net , « disciple de Derrida (qui) dirige l’Institut de recherche et d’innovation et a cofondé l’association Ars Industrialis » (ouf !), ne peuvent laisser indifférents.

D’autant que le style se révèle incisif, et d’autant plus efficace que l’auteur manie volontiers le raccourci et l’approximation. Ainsi, « l’énorme RCA » n’a pas vraiment été « rachetée une bouchée de pain par Thomson » : c’est General Electric qui acquiert RCA en 1986, pour ensuite de se débarrasser de RCA Records auprès de Bertelsmann et de l’électronique grand public auprès de Thomson … tout en conservant les droits sur les brevets (la poule aux œufs d’or) pendant encore une bonne décennie !

Mais dit comme cela, c’est moins mordant !

Stiegler va tout aussi brillamment manier le raccourci en des domaines où il pèsera de tout son poids de philosophe – et où la controverse apparaîtra hélas moins évidente : facile de le titiller sur la vente de l’EGP de RCA à Thomson par GE … plus compliqué de venir batailler sur le terrain psychanalytique – même si Stiegler n’est pas analyste de formation (juste « analyste programmeur », selon Wikipédia) !

Or il est vrai que le marketing naissant s’est rapidement appuyé sur les sciences humaines en général, et la psychanalyse en particulier : ainsi Ernest Dichter jettera les bases des premières études de motivations dans The Strategy of Desire, avec une fidélité presque caricaturale à la pensée Freudienne – pour lui, comme pour son maître, il n’y avait de pulsion que sexuelle !

Les études marketing s’intéressent à l’inconscient … tout simplement parce que les consommateurs ne sont pas toujours conscients de leurs motivations – ou des freins qui les bloquent.

Ainsi Joannis expliquera-t-il dans De l'étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes, que si les femmes aiment bien que leur produit à vaisselle mousse, ce n’est pas parce que la mousse dégraisse (ce qu’elles déclarent spontanément), mais parce que la mousse masque à leur yeux le côté « répugnant de cette activité ». Inutile donc de les convaincre qu’un produit qui ne mousse pas est un bon produit : elles ne l’achèteront pas …

Voici le type d’exercices auxquels se livre à longueur d’année la communauté marketing ; mais elle saura aujourd’hui faire appel à bien d’autres disciplines pour mieux comprendre le consommateur : sciences cognitives, sémiotique, ethnologie, analyse du discours sur les réseaux sociaux, etc.

Alors lorsque Stiegler révèle sur le ton de la conspiration le « projet d’Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud », et qu’on le rapproche des propos de Joannis sur la vaisselle, on devrait sourire … s’il n’y avait ces commentaires qui suivent l’interview : « J’espérais lire un jour quelque chose de ce genre, mais je ne pensais pas que cela pouvait arriver si tôt ». La virulence de ses propos trouve un certain écho.

Pour Stiegler, le projet d’Edward Bernays, c’est « de faire consommer les Américains de plus en plus en détournant leurs désirs, en court-circuitant leurs pulsions ». Donc « Le marketing est une des grandes causes de désaffection du public pour le progrès. Le marketing est responsable de la destruction progressive de tous les appareils de transformation de la pulsion en libido ».

Rien que cela : un peu ridicule ?

On pourrait alors se poser la question des causes réelles « de désaffection du public pour le progrès » … en d’autres termes.

Peut-être conviendrait-il de distinguer le vrai progrès du faux : le nième additif qui permet à une lessive de laver plus blanc, ne convient plus grand monde, surtout depuis Coluche ; tout comme les nouvelles formules de soins de beauté dont on n’espère plus vraiment qu’elles retardent le vieillissement …

Mais bien souvent le progrès suffit à tuer … le progrès : la loi de Moore n’est guère compatible avec l’expérience humaine, et rapidement le consommateur perd pied ; surtout quand les standards se multiplient – standards qui ne le sont justement pas ! Alors le consommateur se dépêche … d’attendre !

Le marketing porte souvent sa part de responsabilité : quand le marché de la télévision ne s’était pas encore converti au LCD, les fabricants ont commercialisé des téléviseurs super flats, puis extra flats … et lorsque sont enfin apparus les tubes cathodiques vraiment plats, il y a bien fallu les nommer : real flats.

Eternelle fuite en avant : mais sur un marché concurrentiel, qui peut se permettre d’apparaître en retard sur ses compétiteurs ? Et cela n’a pas empêché les Français de se ruer sur les écrans LCD quand leur prix est devenu abordable … c’est-à-dire identique à celui des téléviseurs à tubes, quelques années auparavant.

Car les consommateurs ne se détournent pas réellement du progrès … quand il leur apporte de réels avantages, et si possible à un prix abordable : sinon, comment expliquer le succès de la téléphonie mobile, des smartphones, des tablettes numériques ?

Par contre le progrès social, lui, n’est pas si linéaire … Le philosophe devrait se pencher sur la question !

Quand Google met gracieusement à la disposition de millions de citoyens de part le monde le plus puissant des moteurs de recherche, en le finançant par la publicité, est-ce du marketing ?

Quand l’Unicef vend tous les ans des cartes de vœux pour financer ses actions caritatives, est-ce du marketing ?

Quand Allianz lance http://www.jaideunprochedependant.fr/, un site qui a pour but de faciliter les aidants à aider leur proche dépendant, est-ce du marketing ?

Quand http://www.bastamag.net publie une interview plutôt vindicative de Bernard Stiegler, pour attirer les regards sur un titre militant (et sans même recouper les informations factuelles, d’où les approximations sur le rachat de RCA par Thomson), est-ce du marketing ?

Dans tous les cas, je réponds oui.

Il y a des financiers honnêtes … et il y a des Madoff ! Il y a des journalistes, des philosophes, des marketers qui respectent l’éthique … et d’autres un peu moins !

Pourquoi aujourd’hui le marketing remplit-il parfaitement le rôle de bouc émissaire pour certains penseurs, chercheurs, philosophes ? Certainement paie-t-il les excès de certains … publicitaires : tout le monde a en tête la Rolex de Séguéla.

Mais il y a certainement quelque-chose de plus profond, logé dans … l’inconscient collectif : mais si je suggère d’aller creuser la question et de m’intéresser à leurs motivations secrètes, je vais me faire huer.

De toute façon, ils n’ont plus vraiment de pulsions : le marketing les a tuées ! On se demande même où ils vont puiser leur énergie …

10:01 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | | Pin it!

Commentaires

Le marketing, c'est vieux comme le monde. Quand Joseph interprète les rpves de ses codétenus, c'est du marketing. Quand Moise fait des miracles, c'est aussi du marketing!

Écrit par : Herve | 29/03/2012

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