17/09/2011
A nouveaux consommateurs, nouveau marketing
Sous-titre : Zoom sur le Conso'battant.
Un livre écrit à une dizaine de mains par Philippe Jourdan, François Laurent, Jean-Claude Pacitto, Caroline de Montety, Thierry Maillet, Laurent Garnier, Laurent Ponthou, Thierry Spencer, Marc Gauguier, Luc Wise, Loic Morando et Rémy Coqueraut … sans oublier une bonne vingtaine de témoignages prestigieux.
François Rouffiac en a rédigé la préface.
Un livre que j’ai eu le plaisir de coordonner avec Jean-Claude et Philippe ; et c’est Philippe qui s’y est collé pour l’interview sur le site de Dunod … mais c’est que le début d’une longue série de prises de parole !
Comment le consommateur s’est-il transformé en Conso’battant ?
Cette transformation n’a pas été subite, elle découle de la conjonction de plusieurs phénomènes : d’une part le sentiment, de notre point de vue avéré, d’une baisse continue du pouvoir d’achat, d’autre part la volonté de consommer mieux liée à un souci de préserver à la fois sa santé mais aussi l’environnement et enfin, mais liée aux deux autres, la volonté de ne plus subir sa consommation. Le nouveau consommateur veut être un acteur au sens véritable du terme, il ne veut plus qu’on l’influence de quelque manière que ce soit, il veut façonner, selon ses critères, son propre univers de consommation.
D’un certain point de vue, le consommateur veut retrouver sa liberté de choisir.
On ne peut pas comprendre l’émergence du Conso’battant si on ne prend pas en compte cette volonté du nouveau consommateur de renouer avec une liberté qu’il estime avoir quelque peu perdue ces dernières années. À ce titre, la crise (ou plutôt la succession de crises, car nombre de consommateurs ont le sentiment d’une consommation en berne depuis de nombreuses années) a joué le rôle d’un accélérateur, d’un faire-valoir à cette démarche de réappropriation de sa consommation. Elle n’en est pas la seule cause, raison pour laquelle nous pensons que ce phénomène est appelé à perdurer.
Aujourd’hui qu’est-ce qui motive l’achat d’un produit ?
Pour simplifier nous dirons qu’aujourd’hui le consommateur veut le prix et la qualité, l’un et l’autre et non plus l’un ou l’autre. Ce qui obligera à revoir nombre de segmentations opérées sur l’une ou l’autre de ces variables.
Certains diront qu’il s’agit au fond d’un retour aux fondamentaux de l’acte d’achat, épuré des « artifices » de la communication et du marketing. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’être aussi radical. Le Conso’battant ne ramène pas l’acte de consommation à une simple commodité régie par des considérations purement rationnelles et utilitaires. La recherche du plaisir n’est pas absente, mais l’exigence nouvelle, c’est d’aller au-delà du discours des marques et des produits pour questionner les fabricants, retrouver sa liberté de choisir, mettre en concurrence les réseaux de vente, privilégier l’essentiel et le revendiquer fortement. La renonciation au « superflu » est parfois vécue comme une nécessité par certains. Pour d’autres, aux revenus plus confortables, elle est un choix revendiqué, une sorte de posture idéologique et sociétale. Elle ne signifie pas nécessairement de renoncer à l’achat, mais de reprendre « la main » sur les marques, la distribution, la publicité pour assumer le choix des marques discount, des circuits courts, des marques « malines », des « bonnes affaires » échangées sur le Net.
Ce qui complexifie aussi l’acte d’achat, c’est qu’en même temps, le produit acheté doit contribuer à l’environnement. L’achat n’est plus vu comme un acte égoïste qui n’engage que le consommateur mais un acte qui engage la société dans son ensemble. D’un certain point de vue l’achat devient un acte civique qui doit contribuer au bien-être général de la société. Ce phénomène est toutefois observé auprès de ceux qui ont les moyens de dépasser une simple consommation de survie. N’oublions pas que selon une statistique récente la France compterait 8,9 millions de « pauvres » !
Quelles modifications les marques et enseignes distributeurs doivent-elles opérer pour répondre à ces tendances ?
Il faut que tous les acteurs de la chaîne de valeur (R&D, fabrication, commercialisation, marketing et communication) admettent que ces tendances sont des tendances de fond. Cela suppose de renoncer aux politiques opportunistes dont on mesure qu’elles ne fonctionnent pas. Comment analyser autrement l’échec de la multiplication des promotions et des baisses de prix opérées massivement par certaines enseignes de grande distribution ?
Il ne s’agit pas pour les annonceurs d’être seulement opportunistes et encore moins démagogiques : la défense du pouvoir d’achat est un discours auquel les consommateurs ne croient plus, témoins quotidiens d’une hausse des prix qu’ils estiment bien supérieure aux chiffres officiels.
Il ne s’agit pas non plus d’être pessimiste. Cette « révolution » silencieuse peut être porteuse de nouvelles opportunités pour qui saura les saisir. Reconfigurer les offres autour de nouvelles exigences (le prix et la qualité, le plaisir sans le superflu, le geste environnemental, la consommation citoyenne, l’achat de proximité, la consommation sur le Web, la fiabilité, la longévité, le « vrai » service, etc.). Au final, les producteurs et les distributeurs doivent jouer à fond la carte de la transparence et souscrire à l’idée que les Conso’battants souhaitent une consommation plus responsable et plus respectueuse (en premier lieu d’eux-mêmes). C’est probablement la fin de la consommation « Kleenex », car on sent un rejet des logiques de renouvellement permanent, d’enchaînement à une « obsolescence » perçue comme planifiée par les fabricants.
De surcroît et du côté de la distribution, il est clair qu’il faudra mettre en place des stratégies visant à faire vivre aux consommateurs des expériences nouvelles. Le modèle classique de la grande distribution des « trente glorieuses » doit opérer sa mutation, ce que certaines enseignes ont commencé à faire. Fini l’hyperchoix et l’hypersegmentation dans un lieu unique jugé trop froid et impersonnel ! Pour aider à lutter contre la morosité ambiante, la grande surface doit proposer un environnement expérientiel (et plus ludique) dans lequel le consommateur pourra satisfaire des besoins de découverte, d’apprentissage, de plaisir et d’échange. Enfin, les enseignes doivent répondre aux besoins des consommateurs d’être écoutés, entendus, compris et non plus seulement considérés comme des cibles marketing ! Il reste un long chemin à parcourir.
La crise financière persistant, va-t-on assister à l’ancrage des tendances actuelles ou bien à de nouvelles attentes ?
La crise financière n’a fait qu’accentuer les tendances constatées ; ces dernières lui sont bien antérieures. De ce point de vue, on aurait tort de penser que la fin de la crise signifiera le retour aux anciennes pratiques de consommation. Un retour aux anciennes pratiques qui légitimerait, de la part des annonceurs, le recours aux anciennes recettes ! Allons bon, les évolutions constatées sont à bien des points de vue irréversibles et la crise n’est qu’un « accélérateur ».
Et puis ne nous voilons pas la face. Sachons écouter toute une génération de Français « moyens » qui nous disent en substance : « de quelles crises parlez-vous ? Il me semble que depuis mon enfance, je n’entends parler que de crise, alors la crise, moi je vis avec tous les jours ». La seule particularité que nous pourrions relever est un divorce inquiétant des Français vis-à-vis des institutions politiques (taxées d’un manque de transparence et de visions courts-termistes) et une méfiance persistante vis-à-vis des banques et des institutions financières (tenues pour responsables de la crise). L’image des « pourvoyeurs » de crédit est ici entachée d’une suspicion qu’il faudra bien lever si l’on veut relancer durablement la consommation… et donc la croissance.
Les entreprises et les marques doivent-elles segmenter toujours davantage leurs consommateurs ?
Les années de croissance ont été marquées par une sophistication des techniques de segmentation marketing. Il s’agissait d’appréhender de manière de plus en plus fine des attentes, des besoins, des motivations d’achat spécifiques avec des outils qualitatifs et quantitatifs toujours plus pointus. Ces techniques ont-elles atteint leurs limites ? Oui si l’on considère l’hypersegmentation qui en résulte : comment gérer de manière opérationnelle des segmentations comportant plus de 15 segments identifiés en termes de socio-styles ! Et ce dans un contexte où le consommateur brouille les cartes, jouant tous les rôles à la fois selon son humeur ou envie du moment, et refuse de se laisser « enfermer » dans un portrait-robot. On est surpris de constater l’instabilité de certaines segmentations ou bien encore leur côté simplificateur et réducteur. De plus en plus, il faudra apprendre à appréhender le consommateur comme un individu changeant, versatile, aux contradictions assumées et aux motivations multiples. Ici encore, de nouveaux horizons à défricher !
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