21/09/2011
Leur faudrait une bonne guerre ?
Hugues Cazenave vient de publier : La guerre des sondages, sous-titre : Et si les sondages n'existaient pas ?
Rencontre avec l’auteur, par ailleurs patron de l’institut OpinionWay.
MarketingIsDead : Un livre sur les sondages politiques qui arrive juste au moment de la primaire socialiste, quand les difficultés techniques s’accumulent, et que même les journalistes prennent du recul face aux résultats, c’est de l’opportunisme ou du masochisme ?
Hugues Cazenave : Ni l’un ni l’autre, ce livre : La Guerre des Sondages, sort simplement quelques mois avant une élection présidentielle, c’est-à-dire au moment où surviennent généralement les polémiques sur les sondages. A chaque élection, ce sont les mêmes débats et les mêmes contre-vérités qui se reproduisent. J’ai donc voulu profiter de cette fenêtre de tir pour tenter de faire un peu de pédagogie et expliquer un métier dont on parle beaucoup au café du commerce mais que l’on connait trop mal. Je ne suis donc ni masochiste, ni opportuniste, juste un peu optimiste ou naïf : je forme le souhait qu’en dévoilant les coulisses des sondages, les journalistes et les citoyens seront moins tentés de les critiquer.
Les sondages sur les primaires socialistes ? Un faux débat selon moi. Les difficultés techniques existent bien sûr, car il y a des incertitudes sur le périmètre du corps électoral. Mais c’est le cas pour toute élection, car tous les citoyens n’y participent pas. Je rappelle que pour les élections européennes, moins d’un Français sur deux se déplace aux urnes et qu’il est donc tout aussi difficile de définir à l‘avance les électeurs qui voteront.
En réalité, quand on observe les intentions de vote aux primaires socialistes, on se rend compte que quel que soit le cercle d’électeurs considéré (large ou étroit) ou quel que soit le profil politique (sympathisants socialistes ou sympathisants de gauche par exemple), les résultats ne varient pas vraiment. Au final, il apparait certes difficile d’estimer avec précision le nombre de votants, mais les intentions de vote se mesurent très correctement. A condition bien sûr d’accepter enfin l’idée que les sondages ne sont pas des pronostics, mais des mesures instantanées …
MarketingIsDead : Plus sérieusement (quoique …), tu dis que le total des gains pour un panéliste sur un an (là, on entre dans la technique) ne dépasse pas les 10 euros … du moins, chez Opinionway et ses compétiteurs sérieux ; je viens de recevoir une offre attractive d’un institut me proposant (à moi, professionnel du marketing et des études) de gagner quelques milliers d’euros (avec tirage au sort, comme pour la FDJ, mais c’est alléchant) : « Participer au Panel est facile et gratifiant : gagnez des chèques cadeau et participez à notre tirage au sort mensuel de 3000€ ». Quand on attire les panélistes ainsi, on ne court pas à la dérive ? Et, hélas, à celle de la profession ? Comment réagir ?
Hugues Cazenave : C’est vrai qu’il y a débat dans la profession. Certains instituts prônent la loterie comme système d’incentives (ou de récompenses) des panélistes. Ce système présente l’avantage d’être moins coûteux. Mais l’expérience acquise par OpinionWay en plus de dix ans d’études en ligne nous apprend que ses inconvénients sont réels : la loterie génère une moins bonne implication des panélistes et un taux de participation aux enquêtes inférieur.
Il faut donc solliciter plus de panélistes à chaque fois pour obtenir la taille d’échantillon recherchée et la qualité des réponses s’en ressent …
Nous préférons donc récompenser tous les panélistes, qui se sentent ainsi mieux considérés et mieux fidélisés dans la durée. Là encore, la pédagogie est nécessaire pour expliquer aux annonceurs qu’on n’obtient pas la même qualité selon la politique d’incentives des panels. Si www.marketingisdead.net y contribue, tant mieux !
MarketingIsDead : Si les études en ligne sont aujourd’hui représentatives de la population, c’est un peu la fin de la fracture numérique ?
Hugues Cazenave : Aujourd’hui, les études comparatives menées entre le téléphone et internet démontrent effectivement une large convergence de résultats. Le CEVIPOF, Centre d’Etudes sur la Vie Politique Française, a réalisé de telles études et apparait comme un grand défenseur des études en ligne. Les chercheurs y trouvent leur compte, à la fois en termes de coûts (surtout avec des échantillons de taille importante), mais également en termes de qualité de réponse et de fiabilité.
Mais dans La Guerre des Sondages, je raconte qu’il y a 10 ans, en pleine fracture numérique donc, on pouvait déjà obtenir de bons échantillons représentatifs sur internet. A condition de respecter strictement certains quotas, les quotas sociodémographiques classiques mais aussi des quotas en termes de pratiques internet (fréquence de connexion, ancienneté d’utilisation par exemple).
La vraie limite des études en ligne aujourd’hui concerne certains sujets qui font intervenir la technologie. Les internautes restent encore un peu plus technophiles que les non internautes et produiront donc des réponses plus favorables dans des tests sur des produits à forte composante technologique. Pour la plupart des autres sujets, les études en ligne apparaissent très fiables.
MarketingIsDead : Question dans la question (précédente) : il me semble que demeure une population non branchée, atypique et pauvre, qui ne doit guère répondre non plus aux enquêtes téléphoniques ou face à face (il y a vraiment des quartiers où un enquêteur moyennement téméraire ne s’aventurera jamais) ; les études (pas seulement politiques, d’ailleurs) et le marketing en général, ne néglige-t-il pas un peu trop certaines franges de la population … qui n’en demeurent pas moins importantes ?
Hugues Cazenave : Oui, c’est vrai que ce problème concerne à peu près tous les modes d’interrogation, internet n’apparaissant ni plus ni moins performant que le téléphone ou le face à face. Les SDF, les personnes vivant en communautés (maisons de retraites, prisons, etc.) échappent souvent à nos échantillons. C’est regrettable. Nos clients en général ne le déplorent pas vraiment, peut-être parce que ces populations vivent aussi un peu en marge de la société, de la consommation et de la vie politique et donc les intéressent moins …
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