08/03/2011
Circulez, il n’y a rien à voir … mais parlons-en !
L’affaire du sondage Harris plaçant Marine Le Pen en tête au 1er tour de la présidentielle – car on doit bien parler désormais d’affaire – est riche d’enseignement : le plus instructif est certainement celui de l’incompétence de l’intelligentsia journalistique française, qui n’a guère d’égale que la politique, hélas !
Je ne veut certainement pas dire que les instituts de sondage sont blancs comme neige en la matière, Harris comme les autres : la tentation de faire parler de soi est toujours très … tentante, et la façon qu’ont certains de s’écharper en l’occasion est pitoyable.
Mais les journalistes devraient apprendre à connaître le métier qu’ils vilipendent avant de jeter l’anathème sur une profession … et fournir du grain à moudre à des politiques qui n’attendent que ça … parce qu’ils n’y connaissent rien.
Reconnaissons que ces derniers ont toujours l’excellent réflexe de se refaire une virginité sur le dos des premiers venus, en caressant au passage une opinion publique qui ne comprend pas grand-chose non plus … mais qui aiment bien les boucs émissaires.
On se souviendra de la Loi Sapin de 1993 destinée à moraliser les collectes de fonds en politique et dont les publicitaires ont fortement souffert … mais évidemment pas les politiques.
Pareillement, il est clair que l’affaire – car là aussi, on peut parler d’affaires – des sondages de l’Elysée est scandaleuse : mais aucun des directeurs d’instituts d’études de marché que je connais ne ressemble, ni de près, ni de loin, à un Patrick Buisson !
Mais il est clair que si le législateur légifère bientôt, c’est toute une profession qui va souffrir – et certainement pas ceux (les politiques, enfin certains politiques) qui légifèrent …
Pour en revenir à nos moutons, quand il y a un problème avec une étude quantitative, quelle qu’elle soit, il convient de cerner les raisons du problème, et ne pas tout balancer dans le même sac, pour tout jeter encore plus vite à l’eau, comme une portée de chatons (la vie est impitoyable).
On peut se poser la question des échantillons, du mode de recueil, des interviewés, de l’exploitation des résultats, de l’interprétation des résultats.
Car en bout de chaine, il y a ceux qui interprètent les résultats, les journalistes : on a déjà souligné que Le Parisien, qui a publié les résultats, cherchait à contrecarrer la nouvelle maquette d’un concurrent … mais il faudrait déjà se demander pourquoi personne ne parle jamais des marges d’erreur : après tout, il y a des lois statistiques – bien plus fiables que celles que votent les politiques – et il serait de bon ton d’annoncer que … Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy se tenaient dans un mouchoir de poche et que – toujours statistiquement parlant – on pouvait tout aussi bien affirmer le petit Nicolas devançait la fille du borgne.
Circulez, il n’y a pas grand-chose à voir : beaucoup moins vendeur. Un de mes anciens patrons, Daniel Adam, se plaisait à dire que les journalistes commentent régulièrement des résultats qui n’en sont pas, expliquant une semaine pourquoi la côte un politique n’a pas vraiment bougé dans un sens, pour mieux expliquer la suivante, pourquoi il n’a pas vraiment bougé dans l’autre sens.
Je passerai sur la question de la taille de l’échantillon : le jour où les journaux seront prêts à les multiplier par 4 pour diviser la marge d’erreur par 2, la Seine sera aussi limpide à Paris qu’à sa source …
Je passerai aussi sur la question des omnibus, où Le Pen, Sarkozy, Aubry et les autres précèdent les préservatifs ou les tartes aux abricots selon les commandes du jour : comme si la suite d’un questionnaire était sans influence sur le début – surtout quand il y a un enquêteur au bout du fil !
Il y ceux qui vivent au passé et ne jurent que par les sondages téléphoniques : il y a un quart de siècle, ils ne juraient que par le face à face. Les deux méthodes se valent aujourd’hui, Internet présentant l’avantage d’être moins intrusif, notamment ; et le téléphone de l’être plus, ce qui est un autre avantage, d’ailleurs !
Mais dans un cas comme dans l’autre, on ne touche jamais la totalité l’échantillon visé : au téléphone, il faut compter 5 à 6 appels non aboutis (en moyenne) pour un interview réalisé ; alors, faire son marché dans un panel que l’on maîtrise ou dans un autre dont on feint d’ignorer les limites … De toutes façons, la France est composée d’un vaste réservoir – plus dela moitié de la population – de non répondants absolus, et il faut bien faire avec : le pire, c’est qu’ils sont capables de voter aux élections ces inconnus des sondages !
Les journalistes, qui n’y connaissent toujours rien, viennent de découvrir que les panélistes Internet – tout comme les participants à des groupes qualitatifs – sont dédommagés … et s’en scandalisent, sans bien même se rendre compte qu’une telle pratique – que seule leur incompétence leur permettait d’ignorer – est d’une extrême banalité et ne posent aucun problème aux directeurs d’études des plus grands annonceurs – qui sont, eux, de vrais professionnels, extrêmement compétents.
Reste la question de l’exploitation des résultats : comment passer de résultats bruts … à de magnifiques intentions de vote, bien glamour ? Car les sondés mentent, les bougres. Pas méchamment, mais certains sont gênés d’avouer certaines pratiques, certaines opinions ; d’autres se vantent, voire trichent intentionnellement : ils ont envie de faire peur à Sarkozy, à Aubry, au facteur, etc.
Alors depuis toujours, on redresse.
Avec le problème, c’est qu’on ne peut redresser qu’à partir de ce que l’on connaît et que la société évolue très, très vite ces années-ci ; alors quand, en plus, la candidate qui arrive en tête n’a encore jamais joué dans la cour des grands !
La chose qu’on puisse dire – puisque le second sondage avec Strauss-Kahn donne des résultats cohérent avec le premier –, c’est que, si problème il y a, il se situe à ce niveau, et non à celui du terrain, des échantillons, les mêmes causes donnant les mêmes effets.
Rien n’est moins sûr que ces redressements soient mauvais : après tout, certains politiques, à force de jouer avec le feu …
Bref, le mieux est d’attendre : avec le temps, et de nouvelles enquêtes, on y verra plus clair ; certes, il serait souhaitable que les instituts publient leurs boites noires, un peu de transparence en la matière ne serait pas mauvais aloi.
On peut d’ailleurs se poser la question de la pertinence de tels redressements : tous les pays ne procèdent pas ainsi. Alors entre des extrapolations qu’on ne maîtrise pas toujours, et des résultats bruts, dont on sait qu’ils sont à prendre avec des pincettes, peut-être serait-il préférable de se contenter des derniers.
En attendant donc, que les porte-parole des instituts fassent un peu profil bas pour l’instant : pas la peine d’en rajouter.
Et surtout, ne croyons pas trop ce que disent les journalistes : ils parlent trop souvent sans savoir.
C’est amusant comme ce qui ne devrait être qu’un non évènement peut accaparer la une des médias qui en oublient l’important, comme la révolution Libyenne.
PS : pour ceux qui n’auraient pas reconnu son coup de crayon, le dessin en vignette est de F’Murrr, l’incroyable inventeur du Génie des Alpages.
23:04 Publié dans Etudes Marketing | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
Commentaires
Trop marrant l'illustration :)))
Écrit par : sécurité sociale | 09/03/2011
Tout-a-fait d'accord avec cette mise au point... Cela etant, reste une question egalement d'importance: la notion d'"intention de vote" peut-elle vraiment etre prise au serieux? Voir ma modeste contribution au debat sur http://helvetia-atao.blogspot.com
Confraternellement,
Riwal
Écrit par : Riwal Ferry | 10/03/2011
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