03/04/2010
Vrai ou faux témoignage ?
Vendredi matin, 8 heures, le RER A arrive Gare de Lyon, freine mais passe la station sans s'arrêter : à Nation, la RATP nous a averti qu'en raison d'un incident grave, le train ne marquerait pas l'arrêt à la station suivante.
Assis près de la fenêtre, dans le sens de la marche, sur le côté droit du train, je scrute le quai, isolé par un ruban en plastique : plusieurs policiers, un appareil photo sur pied, un corps allongé sur le sol - ou plutôt une forme, totalement emballée dans une sorte de couverture en aluminium doré, un peu comme ces couvertures de survie que distribue la Croix Rouge : bref, pas grand chose à voir, manifestement l'accidenté est décédé, le corps emballé avant évacuation.
Le train passe la station au ralenti, entre sous le tunnel, accélère.
Intrigué par cette procédure inhabituelle, le consulte en début d'après-midi la presse en ligne et découvre que je viens de voir ce que les séries américaines ont banalisé : "une scène de crime" ... ma première scène de crime depuis bien longtemps - depuis les attentats avenue d'Italie, près du métro Maison Blanche, en 1995 ; à l'époque mes bureaux était à 100 mètres de là, mais il n'y avait eu que des blessés, et quand je suis arrivé sur les lieux, bien plus tard dans la journée, il n'y avait plus rien à voir, sinon les télévisions filmant des boulons là où il n'y en avait plus !
Je lis donc qu'à 6 heures du matin, un homme de 52 ans a été poussé sur les voies par un inconnu qui a pris la fuite.
Et que "selon un journaliste de l'AFP, présent vers 10 heures 30 à bord d'un RER A qui n'a pas marqué l'arrêt à Gare de Lyon, le corps d'un homme, semblant de forte corpulence, le crâne dégarni, était étendu torse nu sur le quai au niveau de la queue du train", comme le rapporte par exemple le Nouvel Obs.
Pourquoi avoir déballé le corps et l'avoir à nouveau exposé aux regards des passagers ? Étrange ... ou e corps est resté dans sa couverture ... ou je me suis trompé le matin ?
Ce qui bien évidemment pose le problème de la mémoire - ce que l'on voit et ce dont on se souvient, éventuellement ce que l'on reconstruit après coup : les souvenirs ne sont-ils pas plus des reconstructions de la réalité que des morceaux de cette réalité ? Les travaux de nombreux chercheurs, dont Elizabeth Loftus, de l'université de Washington, soulignent la fragilité des souvenirs et celle des témoignages.
Ainsi un faux souvenir plusieurs fois répétés devient plus "vrai" qu'un vrai souvenir, jamais rappelé.
Emballé ? Déballé ? Torse nu ? Vraiment étrange. Quand j'ai vu le corps dans sa couverture, à deux mètres de moi, de l'autre côté dela vitre, je me suis dit : "C'est fini, mais pourquoi tant de policiers ?".
Si mon souvenir est correct, quid du témoignage du journaliste ? Sinon qu'il a été relayé pas tous les médias français parce qu'émanant d'un journaliste de l'AFP ... certainement pas meilleur témoin que vous ou moi : juste des témoins.
Ou peut-être moins bon témoin : moi, je n'avais pas vu quelque-chose mais n'avais pas vraiment grand monde à qui en parler ; lui non plus n'avait pas vu quelque-chose ... mais il avait beaucoup de gens à qui en parler : il était la seule source autorisée capable de donner sa version des faits.
Sous le tunnel après la Gare de Lyon, la reconstruction du souvenir - son embellissement - pouvait s'effectuer - inconsciemment ou malhonnêtement, je ne saurais dire.
Un souvenir qui ensuite allait partir de l'AFP pour être ensuite relayé par une majorité de sites médias.
16:47 Publié dans Sciences Cognitives | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
je pense que faux témoignage...c`est pas le première fois que ça nous arrive avec SNFR
Écrit par : emule | 03/04/2010
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