08/09/2006
Chronique d’une mort annoncée
Je ne parle pas ici du Chinois Lenovo, qui a repris la division PC d'IBM il y a maintenant presque un an et qui vient de publier des bénéfices en chute libre par rapport à l'année précédente.
Ni même d’Infogrammes, qui a quadruplé ses pertes l’an passé à près de 150 millions d’euros tandis que l’action a dévissé de 55 euros à 45 centimes en 6 ans.
Non, je souhaiterais simplement évoquer le cas d’Apple – et plus particulièrement de son offre musicale fondée sur le trinôme : marque / produit / services.
Une marque légendaire, voire mythique, charismatique, attachante ; un produit, l’iPod, sans réel compétiteur de taille ; une offre musicale en ligne, iTunes, qui décolle quand la concurrence montre de sérieux retards à l’allumage et que le P2P règne en maître ; le tout verrouillé par un standard privatif, l’Advanced Audio Coding : les fichiers iTunes ne sont lisibles que sur les baladeurs… iPod.
Première alerte, en juin dernier : The Mail on Sunday souligne dans un article intitulé iPod City que les employés l’usine Foxconn, située près de Hong Kong et qui produit ces fameux iPod, gagnent moins de 50$ US par mois pour plus de 15 heures de travail quotidiennes, sept jours sur sept – ce que le journal assimile à du travail forcé.
Voilà donc Apple pris dans une tourmente semblable à celle qui a touché Nike il y a déjà quelques années : d’ici à ce que des internautes narquois lui suggèrent de créer une gamme d’iPod personnalisés « Sweatshop » !(1)
Seconde alerte, courant août : SanDisk confirme le lancement prochain aux Etats-Unis de son baladeur Sansa e280, qui embarquera 8 Go de mémoire flash, pour un prix se situant aux alentours de 250 dollars… soit le prix moyen d’un iPod Nano une capacité deux fois inférieure.
SanDisk peut paraître un nain face à la firme de Compertino : à peine 2 milliards d’euros de CA en 2005 contre près de 12 pour Apple. Mais le fabricant de cartes mémoire se situe loin devant ses autres challengers : ainsi le très créatif Archos ne pèse quant à lui que 100 millions ! Par ailleurs, Sandisk est très profitable : 326 millions d’euros de résultat net la même année 2005, soit un ratio RN sur CA de près de 17% versus moins de 10% pour la pomme.(2)
Apple truste près de 76 % du marché américain, bien loin devant les grands de l’électronique : Samsung et Sony peinent à respectivement 2,5% et 1,9% de part de marché ! Les consommateurs les ont ipso facto exclus de la bataille, considérant plus le mp3 comme une extension du monde informatique que celui de l’audio vidéo : un état de fait préexistant à l’arrivée d’Apple.
L’événement aujourd’hui, c’est la seconde place de SanDisk, à 9,7% de part de marché : nul doute qu’avec le lancement du Sansa e280, les écarts vont se resserrer ! D’autant que son baladeur présente une totale compatibilité avec les principaux standards du marché – notamment le fameux mp3.
Et dernière alerte, le 29 du même mois : le Financial Times révèle qu’Universal Music, numéro 1 mondial de l'industrie du disque, vient de signer un accord totalement inédit avec SpiralFrog, selon lequel la major mettrait gratuitement son catalogue de musique en ligne aux Etats-Unis et au Canada, via la jeune start up new-yorkaise.
Le business model sous-jacent repose uniquement sur le financement publicitaire du téléchargement des morceaux ; toujours selon le Financial Times, plusieurs annonceurs majeurs seraient déjà prêts à acheter des espaces. Cerise sur le gâteau : SpiralFrog a d’ores et déjà engagé des discussions avec EMI, Warner et Sony-BMG.
Bref la lutte contre le téléchargement gratuit illégal va enfin se résoudre grâce au téléchargement légal… gratuit ! Et tant pis pour Pascal Nègre, président d’Universal Music France, et éternel pourfendeur du P2P !
Quoiqu’il en soit, cet accord tire une sacrée épine du pied d’Apple en France : en effet le projet de loi Dadvsi stipule que les consommateurs pourront contourner une protection pour convertir un format de fichier vers un autre. Donc transcoder un fichier protégé par l’Advanced Audio Coding, format propriétaire d’Apple, en vulgaire mp3 pour le lire sur n’importe quel baladeur ; et inversement, lire sur un iPod, n’importe quel morceau légalement téléchargé… ailleurs que sur iTunes !
Selon Apple, la loi allait faire « s'effondrer les ventes de musique en ligne juste au moment ou les alternatives légales commençaient à séduire les clients » ; et de parler assez vertement de « piratage sponsorisé par l'Etat ».(3)
Une bagarre qui désormais n’a plus lieu d’être !
Chronique d’une mort annoncée ?
(1) Voir note du 02.04.2006 : Le futur ne se crée pas, l’œil rivé dans le rétroviseur.
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