Eloge de la lenteur
24/10/2012
Cela fait longtemps que cette rubrique ne s'est pas ouverte - et pourtant, vous pouvez tous m'envoyer des textes ... surtout s'ils ne sont pas politiquement corrects !
Elle accueille aujourd'hui Xavier Charpentier de FreeThinking et qui plus est, éminent membre du Conseil Scientifique de l'Adetem.
A l’orée des années 20, Paul Morand écrivait L’homme pressé, un de ses romans les plus célèbres et les plus prémonitoires. Son héros ne pensait que vitesse, records, bolides… Avant que la vie ne le rattrape et que cette obsession ne finisse par lui apparaître pour ce qu’elle est : vaine.
Aujourd’hui, on peut se demander, quelquefois, si le marketing n’est pas une discipline d’hommes pressés. Et s’il ne devrait pas - comme le reste du monde économique d’ailleurs (et bien moins que certains secteurs comme la finance qui travaillent à la milliseconde…) prendre un peu de distance avec son obsessions de la rapidité, et même de l’instantanéité, pour prêter attention à certains signes qui nous montrent que la Lenteur a aussi ses vertus. Et qu’il faut à tout prix que le monde de la Marque les redécouvre, comme les politiques essaient de redécouvrir le temps long … (Cf. La dictature de l’urgence, Gilles Finkelstein, Fayard, 2011)
Notamment en termes de recherche consommateur et de planning stratégique, dans 4 directions qui sont aujourd’hui à la fois incontournables et permises par les nouvelles technologies et notamment le web 2 :
1 . La lenteur, c’est bon pour travailler ensemble, clients et conseil. Mettre au point des positionnements, trouver les idées, laisser mûrir. Travailler de façon vraiment collaborative, c’est-à-dire itérative, en mettant en contact le marketing avec des publics qui sont rarement connectés, par exemple les consommateurs et les designers. Inventer la voiture électrique et les usages qui vont avec ou une nouvelle téléphonie mobile sur-mesure pour des jeunes sur-avertis, comment le faire sans prendre ce temps ? Sans adopter cette nouvelle façon de travailler à la fois « très lentement » et « très vite » ?
La lenteur, c’est le temps réel de la collaboration.
2 . La lenteur, c’est bon pour essayer, se tromper, recommencer. Et c’est permis là aussi par les études collaboratives :
- Essayer, se tromper, recommencer en injectant des choses « en temps réel » mais en prenant le temps de les travailler ensemble : dans le dialogue client-planner autant que planner-consommateur.
- Parler, se contredire, nuancer, quand on est à la place du consommateur participant : bien utiliser les nouvelles technologies pour mener des interrogations longues, de 10 à 15 jours par exemple, c’est donner au participant la possibilité de dire une chose et son contraire. Et c’est souvent dans l’incohérence ou la contradiction interne que se trouvent les meilleurs insights.
La lenteur, c’est le temps réel de la vérité.
3 . La lenteur c’est bon pour écouter les gens penser. C’est la possibilité du retour du réflexif, au-delà de l’émotionnel, dans les études et la recherche consommateur. C’est utiliser le confort du web en recherche consommateur pour mettre les gens dans les meilleures conditions : vivent les insomniaques, les supermatinaux, les lambins, les timides ! Ils ont toute leur place dans la discussion parce que ce sont eux qui en dictent le rythme. C’est la fin de l’esprit d’escalier. C’est se donner toutes les chances de comprendre pourquoi les gens font ce qu’ils font, et pourquoi c’est difficile de les faire changer, parce qu’ils réfléchissent à ce qu’ils font.
Parler avec les classes moyennes de leurs difficultés de pouvoir d’achat, c’est leur donner la chance de nous en dire plus. Et de nous expliquer pourquoi la baisse du niveau de vie n’est plus le sujet – le sujet, c’est la transformation en profondeur des modes de vie et ce n’est pas du tout la même chose (« Ce changement de vie et de qualité de vie mine le quotidien et fait peur car la situation ne semble pas aller en s’améliorant… » Verbatim consommateur - Freethinking – Vers la société de consommation d’après – octobre 2012).
La lenteur, c’est le temps réel de la pensée consommateur.
4 . Enfin, assumer la lenteur c’est se donner les moyens de comprendre la vraie complexité de la vie sans laquelle le marketing n’est rien. « Il n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités » (Mémoires d’espoir, Charles de Gaulle) : c’est pareil pour le marketing. Utiliser le web, et par exemple la parole surabondamment exprimée par les femmes sur les forums, c’est au-delà de la séduction de l’instantanéité (« je vais savoir en quelques minutes et quelques clics ce qu’elles pensent de la dépendance, ou de la vieillesse, en faisant tourner un logiciel de reconnaissance lexicale qui me donnera les bonnes statistiques… »), assumer la rançon de l’abondance.
Quand les gens parlent beaucoup, il faut beaucoup de temps pour les lire et les écouter réellement, comprendre ce qu’ils veulent partager… Se plonger dans la réalité des conversations, c’est très long mais au final, prendre le temps de lire, ça permet de comprendre plus vite les vrais insights.Travailler sur les forums d’Auféminin.com sur la dépendance, ou la minceur, ou la famille, ou la vie numérique, par exemple, c’est se colleter avec cette réalité. C’est en prendre le temps.
La lenteur, c’est le temps réel de l’insight.
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