A qui appartiennent les marques ? #1
01/07/2012
Depuis « l’affaire Gap », la réponse apparaît évidente … du moins pour les internautes : à eux !
Retour sur un banal fait-divers qui agita bruyamment les médias sociaux : début octobre 2010, l’entreprise de San Francisco change subrepticement d’identité visuelle, abandonnant son logo de lettres allongées sur carré bleu pour du banal Helvetica.
Immédiatement les fans de la marque se déchaînent sur Facebook, la blogosphère s’enflamme, les noms d’oiseaux volent bas … et les oreilles de l’agence Laird and Partners qui a commis le sacrilège, de siffler ! Une semaine plus tard, Gap enterre l’objet de tant de récriminations et ressort son vieux logo.
Entre-temps, la marque a suggéré à ses aficionados de lui proposer d’autres visuels : ce qu’ils s’empressent de faire et la toile croule sous les esquisses, des plus créatives aux plus saugrenues, des concours s’organisent ... C’est le triomphe du « crowd sourcing » !
Depuis, la rumeur circule que Gap a orchestré la fronde pour se relancer, après deux années difficiles où son action a été particulièrement chahutée en bourse, ou simplement pour créer le buzz – bref, exister face à la concurrence toujours plus agressive des H&M, Zara et autres Uniqlo.
Ou encore juste pour prouver au monde entier, l’attachement des consommateurs à leur marque …
Le 5 Janvier 2011, Starbucks Coffee annonce « a new look for the next 40 years of our history » sur sa page Facebook : changement radical, puisque les termes Starbucks et Coffee disparaissent du logo, seule demeurant la Petite Sirène.
Immédiatement, les fans se déchaînement : « Arc c moche ya même plus écrit starbucks » ! Bis repetita ? Starbucks passe outre, et quelques semaines plus tard, comme annoncé, la nouvelle identité visuelle trône sur la page Facebook … même si certains magasins, par résistance ou par négligence, arborent toujours l’ancienne.
Pourquoi Gap appartiendrait plus à ses clients que Starbucks – ou vice versa ? Pourquoi les premiers se mobiliseraient-ils plus que les seconds ?
On soulignera certes que le nouveau logo Gap utilisait une police de caractères sans personnalité – mais l’ancien n’était pas vraiment plus beau ! Et la nouvelle identité Starbucks a tout de suite également été qualifiée de moche : alors ?
Peut-être plus simplement, Gap a ouvert la boite de Pandore en proposant aux internautes de lui suggérer des idées de logos, alors que Starbucks est resté insensible aux critiques ; mais pour la firme de Seattle, gommer « Coffee » de son logo répondait à une nécessité : apparaître comme un espace de repos où se consomment café, mais aussi thé ou chocolat – surtout dans des pays comme la France ou l’Italie où l’on ne l’a pas attendue pour consommer un bon expresso !
Une marque qui sait ce qu’elle veut, une marque qui assume ses décisions stratégiques appartiendrait plus à son entreprise qu’une marque qui hésite, recule, atermoie ? Le choix de Gap de changer de logo ne répondait à aucune logique d’entreprise – juste un petit lifting ; Starbucks verrouillait un nécessaire repositionnement.
L’échec de Coca Cola à lancer son New Coke contredit l’analyse : jamais décision ne fut plus murie – et plus justifiée, semble-t-il, même si elle s’appuie certainement sur des études mal interprétées.
A la base, un constat : si Coca Cola demeure la marque – ou plutôt le produit – préférée des consommateurs, en « blind » (tests gustatifs aveugles, sans possibilité de connaître les marques des boissons), Pepsi Cola s’impose systématiquement … d’où la crainte, légitime en apparence, d’une potentielle érosion des ventes au profit du challenger.
Coca Cola décide donc de modifier sa formule et lance en 1985 le New Coke : un « me too » de Pepsi, destiné à remplacer le soda légendaire. A l’époque, pas de web social, la colère des consommateurs se déverse sur la ligne téléphonique dédiée au nouveau produit et sous forme d’appels à boycott.
Devant le tollé, la firme d’Atlanta renverse la vapeur et le « vrai » Coca-Cola réapparaît sous le nom de Coca-Cola Classic tandis que le New Coke, rebaptisé Coke en 1992, disparaîtra des derniers rayons une décennie plus tard.
Pourtant ses marketers avaient lourdement investi pour se prémunir du moindre échec : ils avaient réalisé des tests auprès de près de 200 000 consommateurs – excusez du peu ! Et tous les résultats concordaient : alors ?
La première erreur a été d’oublier que les consommateurs n’achète pas des produits sans marque ; la seconde, que la marque participe tout autant que sa composition à la valeur gustative d’un produit – voir ici.
Quoiqu’il en soit, le géant dut s’incliner sous la pression de ses fans – et ce, bien avant Facebook. Il le dut également quelques années plus tard, pour des raisons plus futiles.
Le site américain EepyBird – sous titré : « Entertainment for the Curious Mind », publiait le 3 Juin 2006 une vidéo montrant comment réaliser de magnifiques geysers en introduisant quelques bonbons Mentos dans une bouteille de Diet Coke : effet garanti !
Et c’est le début d’un vrai buzz : « We told one person. He told some friends … They told some friends … Within hours, thousands of people were coming to see the video » … qui ne fait pas vraiment sourire Susan McDermott, porte-parole de la Coca-Cola Company, qui déclare : « Craziness with Mentos … doesn’t fit with the brand personality » du Diet Coke.
Et pourtant, la marque devra rapidement revoir sa position, sponsorisant la création d’une vidéo exclusive pour son site, puis organisant un concours « Poetry in Motion » autour de cette création.
Pourquoi des marques puissantes comme Coca Cola ou Gap ont-elles du se résigner à accepter les oukases de leurs clients (et pas seulement de leurs clients …) quand Starbucks changeait tranquillement d’identité visuelle sans plus de soubresauts que les récriminations épidermiques de quelques geeks ?
Début de réponse le 9 Juillet : @ suivre …
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