Franck Cochoy et le self marketing
03/06/2012
Enseignant à l’Université de Toulouse II, Franck Cochoy est également l’auteur de nombreux ouvrages, comme De la curiosité et Sociologie d'un curiositif ; récemment de passage à Paris, il était l’invité de l’Adetem.
MarketingIsDead : Peux-tu préciser la notion de self marketing que tu as développée lors de ta récente intervention au Club Marketing 2.0 de l’Adetem ?
Franck Cochoy : En marketing, on connaît le self marketing au sens de « marketing de soi », c’est-à-dire au sens d’autopromotion, par exemple si je présente mes livres De la curiosité (Armand Colin, 2011) et Sociologie d'un curiositif (Le Bord de l'eau, 2011) dans ton interview pour me faire de la pub !
Je donne plutôt au mot de self-marketing le sens de « marketing pour soi », sur le modèle du « self-service » : de même que, dans un supermarché, je prends moi-même les produits que je souhaite, je m’aperçois qu’aujourd’hui un nombre croissant d’outils me permettent d’aller moi-même à la rencontre des informations commerciales susceptibles de m’intéresser, et donc de « faire mon marketing », en quelque sorte.
Ainsi, les codes-barres 2D me permettent de découvrir si tel est mon désir des offres ou d’obtenir des informations additionnelles ; l’application « Shazam » me permet de trouver avec mon smartphone le titre de la chanson que j’écoute, etc. La grande nouveauté avec le self-marketing, c’est qu’au lieu de recevoir comme jadis des informations commerciales non sollicitées, le consommateur participe volontairement au travail d’information commerciale, se rendant en quelque sorte complice, sans forcément s’en rendre compte, de sa propre séduction.
L’un des ressorts cruciaux d’activation du self-marketing est l’appel à la curiosité.
MarketingIsDead : Le Web social favoriserait la sérendipité en marketing : comment et surtout, avec quelles implications ? Et avant tout, quelle est ta définition de la sérendipité ?
Franck Cochoy : La sérendipité désigne l’aptitude à donner sens aux choses que l’on rencontre de façon inopinée au long de sa route ; c’est une notion dérivée d’un vieux conte oriental où trois Princes envoyés découvrir le monde par le roi leur père Sérendip, sont parvenus à s’intéresser aux traces d’un chameau découvertes au long de leur route, et à en tirer toutes sortes d’informations au gré d’habiles déductions : ils ont compris que le chameau boitait et était borgne car l’herbe était moins écrasée et broutée d’un seul côté, qu’il portait une femme enceinte parce qu’ils ont repéré qu’une femme avait uriné en laissant les traces de ses mains soutenant son corps alourdi, etc.
Cette vieille histoire renaît de plus en plus dans nos pratiques d’exploration du monde commercial, notamment grâce à l’Internet mobile : comme les Princes de Sérendip, nous allons notre chemin, sans forcément nous orienter a priori vers les offres commerciales, mais nous faisons mille rencontres auxquelles nous sommes portés à donner sens.
La nouveauté, c’est qu’aujourd’hui la Sérendipité est provoquée et/ou assistée : le web, les applications de géolocalisation, les comparateurs de prix comme Prixing ou les outils du marketing en temps réel suscitent et facilitent notre exploration du monde commercial.
MarketingIsDead : Tu as également évoqué l’idée « d’économie de l’attention » …
Franck Cochoy : Les économistes de l’Internet ont montré que l’attention des consommateurs est aujourd’hui un bien rare, une ressource cruciale pour les acteurs du marché, qu’il s’agit non seulement de capter, mais surtout d’économiser (pour ne pas gaspiller inutilement les ressources attentionnelles limitées des clients) et de valoriser (les traces d’attention font l’objet d’un commerce, comme le montre bien la vente du nombre de clics, etc.).
Les outils qui m’intéressent, à savoir les « curiositifs » ou dispositifs de curiosité, inaugurent un troisième mode de gestion de l’attention : désormais, l’attention est non seulement économisée et valorisée, mais elle est aussi excitée : le ressort de cette excitation est paradoxal, puisqu’il consiste à soustraire l’information commerciale pour susciter le désir de sa recherche : une affiche de teasing, une offre surprise, un code à découvrir nous prive d’un accès immédiat à l’information et par là-même captent notre attention.
Là aussi c’est une rupture importante avec les anciens modes d’information commerciale qui consistait plutôt à saturer l’attention des personnes au moyen de messages « pleins » et non sollicités.
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