Marque personnelle #2
04/06/2012
Suite du post paru le 28 Mai 2012.
Les meilleures marques personnelles sont évidemment des créations originales – elles sont donc plus rares !
Karl Lagerfeld en est également une remarquable : couturier de talent, il sortira de l’ornière une Maison Chanel au bord de la fermeture – il en occupe toujours la direction artistique.
Depuis, il s’emploie essentiellement à la construction de la marque Lagerfeld.
Sa différence, il l’exprime par un look improbable (col cassé blanc, lunettes noires, rigidité absolue, etc.) et des sentences à l’emporte-pièce comme : « Seule ma propre opinion m'intéresse » ou : « Je suis une sorte de nymphomane de la mode qui n'atteint jamais l'orgasme » ; Wikipédia en donne ici un amusant florilège.
Couturier, il se veut aussi photographe et surtout « dilettante professionnel », comme il se plaît à se qualifier : inutile de retracer la liste de ses initiatives et collaborations (éditeur, acteur, lunettier, designer, chanteur, etc.), toutes ne visent qu’à construire un personnage – et une marque – hors du commun.
En 2008, il signe un contrat de licence avec Coty pour lancer une ligne de parfums à son nom ; se pose alors la question de la marque à utiliser … ou plutôt : comment l’utiliser ?
Pour Pierre Cardin, Chloé et autres Marc Jacobs, pas de problème : il suffit d’utiliser le logo existant ; et pour Beyoncé ou Céline Dion, un lettrage approprié soulignera la personnalité de la star.
Lagerfeld, lui, n’est pas seulement un personnage complexe, une simple vedette : c’est une marque ; et qui plus est, une marque « dilettante ». Dès lors, comment éviter les dérives et que la marque Karl Lagerfeld ne tire le parfum en des territoires inappropriés ?
En la « démarquant » : Coty utilise la signature du couturier … et ne la laisse apparaître que sous un flacon à la marque Kapsule ; sage précaution, d’autant que circulent par ailleurs des eaux de toilette griffés : Lagerfeld Photo !
La marque Karl Lagerfeld s’est développée essentiellement à partir des années 80, la marque Steve Jobs a réellement explosé à la fin de la décennie suivante : elles ne doivent leur succès qu’à des méthodes traditionnelles de relations publiques – et notamment ses fameuses grand-messes médiatiques baptisées keynotes pour ce dernier.
Internet – et le web social – ont amplifié leur visibilité ; mais le couturier manie parfaitement tous les leviers promotionnels classiques et truste les plateaux télévisés chaque fois que nécessaire.
Par contre, il est clair que les nouveaux moyens de communication vont favoriser le développement de nouvelles marques personnelles comme Huffington.
Toutefois ici, la mise en œuvre apparaît légèrement plus complexe, Huffington constituant le trait d’union entre un patronyme : Arianna Huffington ; et une marque commerciale : The Huffington Post.
On constatera d’ailleurs que ni le média, The Huffington Post, ni même le patronyme d’Arianna Huffington, n’appartiennent réellement à la journaliste : née Stassinopoulos et divorcée d’un parlementaire américain, elle en conservera le nom ; quand au journal en ligne, elle le vendra à AOL en 2011.
Ici encore, et de manière accrue, se pose la question de la coexistence entre marque personnelle et marque d’entreprise : le web autorise aujourd’hui – et favorise même – d’aussi flagrantes ambigüités parce qu’il est aisé pour un entrepreneur de développer sa marque personnelle parallèlement à celle de la société qu’il développe.
En fait, Arianna Huffington et The Huffington Post n’existent tous deux que par et au travers du web : il est non seulement le lieu d’existence du titre d’information, mais c’est sa partie conversationnelle – le web social – qui supporte la marque personnelle Arianna Huffington.
Google indique « environ 948 000 résultats » à la requête « Arianna Huffington » pour la seule blogosphère : aujourd’hui, l’impulsion ne vient plus seulement les individus, mais également de la multitude des internautes qui surfent et écrivent sur des blogs, Twitter, Facebook.
Facebook justement ! Ici aussi coexistent deux marques fortes : celle du réseau social – et celle du héros du film « The Social Network », Mark Zuckerberg ; certes, la première apparaît considérablement plus forte que la seconde, mais la seconde constitue un contrepoint potentiellement dangereux.
Dangereux parce leurs valeurs apparaissent radicalement opposées : Facebook, c’est avant tout la convivialité, l’amitié, le réseau sympa et conversationnel ; Zuckerberg, c’est le petit génie névrotique, complètement monomaniaque, et dont on ne sait s’il faut l’aimer ou de le haïr pour avoir marché sur ses copains d’université.
Certes, le film peut revendiquer une forte responsabilité dans la réputation sulfureuse du fondateur de Facebook … mais aujourd’hui, celle-ci constitue une réalité dont il convient de tenir compte : pour les internautes qui surfent sur les médias sociaux, ce dernier est (selon les auteurs) névrotique, névrosé, ou pour le moins instable !
Et surtout, il apparaît très doué pour se construire une image personnelle atypique … bien que plagiant volontiers Steve Jobs : le patron d’Apple organise-t-il des keynotes pour assurer la promotion de ses nouveaux produits ? Zuckerberg organise son « F8 » pour annonce les évolutions majeures de son réseau social.
Mais attention, ce sera un évènement taillé à la mesure de son héros : ainsi le 22 Septembre 2011, avant de parler « TimeLine », « Ticker » et autres nouvelles fonctionnalités, c’est un sosie de Zuckerberg qui monte sur scène – tellement caricatural qu’en fin de compte, on se fait plus qui parodie qui …
On est loin de l’osmose Jobs / Apple : or s’il est aisé pour des actionnaires de se débarrasser d’un CEO encombrant (tout dépend la plupart du montant du chèque …), il l’est beaucoup moins de décoller l’image personnelle d’un fondateur de celle du produit qu’il a créé.
L’affaire Guerlain en a récemment apporté la preuve : le 15 octobre 2010, interrogé sur France 2 sur la création du célèbre parfum Samsara, Jean-Paul Guerlain déclare : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin … ».
Evidemment les propos choquent, les associations antiracistes se mobilisent, de même que nombreux journalistes (dont Audrey Pulvar, lors de son éditorial quotidien sur France Inter) – et bien évidemment la blogosphère s’enflamme ! Sur Twitter, on relaie à l’envie les : « Le nègre t’emmerde et boycotte #Guerlain » et autres réactions similaires.
L’après-midi, le parfumeur tente de s’excuser au travers d’un communiqué à l’AFP, mais sans réellement convaincre ; le lendemain après-midi, c’est au tour de la filiale de LVMH de tenter de prendre ses distances, en précisant sur Facebook que : « Jean Paul Guerlain n’est plus salarié, ni actionnaire de la société » et : « Ses propos ne correspondent en rien aux valeurs de l’entreprise » …
… ce qui ne suffit en rien à calmer les consommateurs indignés ; et malgré une nouvelle prise de distance le 22, une manifestation est organisé le samedi suivant devant la boutique des Champs Elysées.
Quand il s’exprime ainsi, Jean-Paul Guerlain, arrière-arrière-petit-fils du fondateur de la maison Guerlain ne possède donc plus, ni actions, ni fonctions au sein de la société éponyme, comme le souligne le groupe LVMH : pour les internautes, cela ne change rien.
D’ailleurs les hashtags (#) mettent bien évidemment en avant la marque, Jean-Paul Guerlain s’écrivant alors « Jean-Paul #Guerlain » : et une recherche sur le site de micro-blogging mêlera nécessairement propos racistes et parfums !
LVMH aura trop trainé à réagir – et bien trop mollement ! Quand début 2011 John Galliano sera interpellé pour avoir proféré des insultes antisémites et racistes dans un café parisien, il sera immédiatement suspendu de ses fonctions par Dior avec qui il est sous contrat.
Bien sûr, la marque Galliano ne s’écrit pas comme la marque Dior, mais Guerlain a trop tergiversé ; or si les médias sociaux constituent un vecteur exceptionnel de promotion pour les marques personnelles, ils peuvent également très rapidement les tuer … avec le risque, pour les marques commerciales associées, d’être prises dans la tourmente !
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