Acte manqué ?
26/04/2010
Libération, Vendredi 23 Avril dernier.
Sous le titre : "Du blanc en une de Libé", Laurent Joffrin explique : "Martin Margiela est une créateur original, inventif et exigeant. Libération, qui a toujours su innover en matière publicitaire, a donc accepté de s'associer à cette marque respectée pour une opération différente".
Bref, Martin Margiela aime le blanc, il a le droit de revoir à sa façon la couverture du quotidien ; ou, en d'autres termes, le journal a vendu sa première de couverture à un annonceur, et même la une, la deux et les deux dernières pages : à ce dernier de s'en débrouiller pour vendre - mais attention, de manière créative - son produit.
Et c'est là que ça devient drôle.Il s'agit d'assurer la promotion d'un nouveau parfum appelé (untitled) : "refusant le diktat du star system, ce nouveau-né pourrait bien faire évoluer les codes de la parfumerie actuelle", précise le publirédactionnel. Un positionnement à l'opposée de "la starification à l'extrême", des "créateurs de modes [qui] se pipeulisent au rythme des unes des grands féminins".
Bref, la couleur de la Maison, c'est le blanc, un blanc que le créatif va lancer à l'assaut de la une de Libération, sous forme de quelques coups de pinceau, un peu comme un peintre commence à recouvrir un mur recouvert de vieux papiers peints ...
... sous-entendu : la marque réellement dans l'air du temps - pas la pseudo mode du bling bling, mais le vrai luxe, le naturel - s'impose enfin sur un monde superfétatoire !
Et qui apparaît sous le coup de pinceau narquois de l'artiste ? Nicolas Sarkozy himself ...
Dire que Libération soit un des plus vaillants supporteurs de l'actuel président tiendrait de la galéjade ; mais depuis le départ de July, il se veut un quotidien sérieux.N'empêche que l'analyse sémiotique est criante de vérité : le vrai luxe, talent, mode ... le Vrai s'impose au pseudo, cliquant, dépassé.
Titrer sur les mauvais sondages du président le même jour peut être le simple fruit du hasard - ou pas : une telle actualité peut se retarder sans risque d'un jour ou l'autre ; et inversement, l'on peut aisément attendre qu'apparaisse la tête de Sarkozy en une de n'importe quel quotidien, il fait tout pour cela.
Alors : hasard, acte manqué, ou volonté délibérée ? Impossible à savoir. C'est bien là le problème de la publicité, on ne prévoit pas le contexte - tout le contexte - dans lequel on va passer et parfois, il y a des télescopages.
C'est d'ailleurs souvent le cas avec le système Google sur la toile comme cet exemple déjà signalé sur le site de ... Libération.
Enfin, pour les nostalgiques des coups publicitaires de Libération - enfin, dans Libération -, ce numéro en ... tissu !
Un numéro daté de 1986, destiné à assurer la promotion des industriels du textile et adressé par coursier spécial aux journalistes de la radio et de la télévision à l'heure des revues de presse matinales ... et que quelques lecteurs ont également eu le bonheur de découvrir le même jour dans leur kiosque préféré.Pour la petite histoire, si le papier se coupe parfaitement bien en sortie de rotatives, il n'en va pas de même du tissu : après deux ou trois exemplaires parfaitement massicotés, le trait de coupe risque de défigurer la une, en fonction de la tension impossible à stabiliser.
Seule solution : couper les numéros à la main, la nuit ... travail effectué par des taulards des prisons de la région parisienne (un petit boulot comme un autre).
Un quart de siècle déjà, mais un bon souvenir !
PS : pour les mauvaises langues, je n'étais pas à Fleury Mérogis, mais travaillais chez Futurs, l'agence de publicité qui a réalisé l'opération.
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