Mythologie des marques
16/02/2010
Comme je l'annonçait ici le 2 Février, voici l'interview de Georges Lewi, qui vient de publier : Mythologie des marques.
MarketingIsDead : Le storytelling fonctionne parfaitement pour une marque comme Yves Rocher, derrière laquelle, comme tu le précise bien, il y a un homme et une réelle aventure. Mais il y a également beaucoup de marque aujourd'hui derrière lesquelles il n'est d'histoires que fabriquées par la publicité : à l'heure du Web 2.0, où les consommateurs sont prompts à dénoncer toutes les supercheries (comme l'Oréal en a fait les frais avec le Blog de ma peau), n'existe-t-il pas un risque à façonner de belles histoires sans fondements légitimes ?
Georges Lewi : Comme toujours l’authentique est meilleur que la légende. Mais est ce si important ?
Le storytelling des marques est en fait plus souvent le storytelling des "récepteurs", des consommateurs plutôt que celui des émetteurs, les entreprises. Il y a marque quand il y a rencontre entre une "idée", un "repère mental" proposition d’une entreprise et une attente des consommateurs ou des clients qui rejoint cette proposition. Et c’est pour cela que cela "marche". Les seules mythologies qui "fonctionnent" sont celles qui existent déjà dans l’esprit des consommateurs : la beauté par la nature, le troc comme vérité du commerce "équitable", la science qui pourra retarder le vieillissement des jolies femmes …
Tant mieux si c’est vrai. Mais chez Yves Rocher, Nature et découverte ou Channel, est-ce totalement exact ? N’est ce pas avec le temps, légèrement ré-adapté, ré-écrit comme toute histoire fondatrice ?
Le « logos », le rationnel humain dénonce en même temps que l’imaginaire humain appelle.
Le mythologue Paul Veynes s’interrogeait : "Les grecs croyaient-ils en leur dieux ?" Comment les contemporains de Platon et de Socrate pouvaient-ils croire en ces idoles et en ces divinités de l’Olympe que se chamaillaient comme des enfants irresponsables ? Ou avaient-ils besoin de croire en « ces fables » pour continuer à vivre dans ce monde antique qui commençait à s’étendre ?
Croyons nous vraiment au storytelling des marques ou avons-nous besoin d’y croire pour continuer à vivre dans notre société de consommation ?
MarketingIsDead : De grandes marques récentes, comme Google ou Ebay, ont réussi à créer de réelles mythes, ou du moins, de belles histoires, sans recours à la communication classique (jusqu'à récemment, ni l'une, ni l'autre, n'avaient investi un dollar en publicité) : existe-t-il un storytelling "naturel" qui échappe aux publicitaires ?
Georges Lewi : Le storytelling des marques, leur narration originelle et fondatrice vient très rarement de la publicité. La publicité n’est là que pour amplifier une base narrative déjà légitimée par le nom de la marque, sons iconographie, ses produits, ses actions en faveur du public, son parcours marketing, par « le buzz » naturel des actions réussies fait par les premiers consommateurs. On va souvent trop vite aujourd’hui. Les faits et les RP doivent précéder la publicité et non l’inverse pour tenter d’obtenir une crédibilité.
Les marques les plus publicitaires sont des promesses de marques et des narrations dès leur apparition : MONSIEUR PROPRE se développe par la publicité mais sa seule sémiologie lui attribue déjà un rôle éminent auprès de la ménagère.
Internet est le lieu idéal des marques : un public large prêt à collaborer, une promesse tenue ou non et immédiatement identifiable. Une condition d’appuyer cette promesse sur une attente forte, de toujours, un mythe de l’humanité. Les pure players du Web n’ont mis que 3, 5 ou 10 ans au plus pour s’imposer dans un univers marketing encombré.
Le storytelling des marques exprime une délivrance pour le consommateur contraint.
GOOGLE ou le savoir universel à portée d’un clic nous délivre des lourdes encyclopédies et des bibliothèques aussi ennuyeuses que chronophages, EBAY par le goût du troc "naturel" nous délivre des "commerçants" et nous fait accéder à ce "statut", à ce "jeu" de la marchande bien connu des cours d’écoles maternelles.
Les publicitaires ne sont que sont que des porte-plumes. Mais le talent d’un porte parole vaut de l’or cependant !
MarketingIsDead : Certes aujourd'hui, les collégiens restent accros aux marques comme Nike ou Cenverse, parce qu'ils ont besoin de trouver leurs repères dans la société, et que la famille ne remplit plus son rôle socialisant comme naguère ; mais dès le lycée, la fascination pour les marques disparait. Avec la crise, les consommateurs se montrent de moins en moins sensibles au caractère statutaire des marques pour se raccrocher aux bénéfices concrets. Alors, moins d'histoires et plus de bénéfices concrets, le storytelling pourra-t-il résister à l'évolution sociétale actuelle.
Georges Lewi : La fonction identitaire des marques jouent à tout âge. Avec l’engouement pour l’IPHONE, 10 millions de cadres, hommes et femmes, sont redevenus des ados ou des enfants, malgré la crise ! En fait, chacun a son espace rationnel (certes qui s’élargit avec la standardisation qualitative des produits) et son jardin secret, "sa" catégorie pour laquelle il ne regardera pas pour investir.
Pour certains, ce sera toujours l’automobile, d’autres la technologie, d’autres les chaussures, d’autres la nourriture bio ou autre, d’autres les beaux livres et les éditions originelles. Tous ceux là ne sauront pas attendre que « leur marque » soit copiée, que les prix baissent et même lorsque cela devient le cas trouveront toutes les justifications pour continuer d’acheter leur marque préférée, d’en payer le prix et de faire confiance à son storytelling.
Le storytelling n’est pas celui des marques mais celui des consommateurs !
Chacun a besoin d’un espace de rêve, fût-il très limité. Dans une société de consommation, très peu arrivent à exclure totalement cette part de rêve de "leur" consommation ... Faut-il s’en inquiéter ?
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