Marketing is dead… Synopsis – 2ème partie
06/02/2007
4 Le pari Pascalien du marketing
L’avenir du marketing semble reposer sur un pari Pascalien : « Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien ».
Si nous nous situons dans une logique de progrès, tous les espoirs sont permis, moyennant quelques adaptations : business as usual. Mieux : de beaux jours s’ouvrent aux agences conseils qui pourront – moyennant de grasses rétributions – initier les annonceurs aux nouvelles approches liées aux nouvelles technologies
Inversement, dans le cas d’une logique de rupture, tout est à reprendre à zéro, ou presque ! Allez développer une politique de prix cohérente quand ce sont les consommateurs qui fixent désormais les règles du jeu : je caricature à peine…
Ce qui explique que dans leur grande majorité, les marketers estiment aujourd’hui que si leur discipline doit s’adapter – ce que nul ne saurait nier – malgré tout, cette adaptation se situe plus dans un cadre évolutif que révolutionnaire : les fondamentaux demeurent.
Pour les citoyens… la question ne se pose même pas : car là, on quitte le champ de la théorie pour celui du vécu, de la quotidienneté.
Un pari sur le futur donc – et bien aisé, parce que rien ne permet de trancher. Ni dans un sens, ni dans l’autre…
« 2006 marque l'avènement du mobile comme média publicitaire », titrait récemment Le journal du net : « Outre l'envoi de messages commerciaux par SMS, les annonceurs osent désormais utiliser toute la palette d'outils offerts par l'Internet mobile, du MMS à l'affichage de bandeaux sur les sites Wap. Une expérience tentée avec succès par Coca-Cola France à l'occasion du lancement événementiel de sa nouvelle plate-forme de communication mondiale : "Prends la vie côté Coca-Cola" ».
Dans un même temps, 430 000 particuliers tirent des revenus en commerçant sur eBay, 150 000 en vivent à plein temps. Imaginez 150 000 personnes vivent d’un négoce où les acheteurs notent les vendeurs… et vice versa !
Dans un même temps Murdoch, le magnat des médias traditionnels, casse sa tirelire pour se payer My Space : 580 millions de dollars en juillet 2005. Un an plus tard, c’est au tour de Google de débourser 1,65 milliards pour acheter You Tube : plus de deux milliards au total pour deux plateformes où tout un chacun vient déposer ses musiques, ses vidéos, ce que bon lui semble… Du pur Web 2.0.
Les plus riches investissent à tour de bras – et les marketers prient que la locomotive ne déraille pas et que perdurent leurs modèles ! Tant que demeure l’incertitude, tout le monde y trouve peu ou prou son compte.
2. 5 La logique Web 2.0… et au delà
Impossible de trancher ? En prenant un peu de recul, peut-être…
En prenant un peu de recul, force est de reconnaître que Web 2.0 introduit dans la communication des bouleversements nettement plus profonds que ceux généralement envisagés.
Web 2.0, c’est, certes, la montée en puissance du many to many ; mais ce n’est pas que cela.
La communication Web 2.0 diffère de la communication d’hier – Web 1.0, mais également de toute communication humaine jusqu’au début de ce troisième millénaire – par quatre critères essentiels : elle est plurielle, latérale, inverse et asynchrone.
Plurielle : c’est le fameux many to many, nous ne reviendrons pas dessus.
Latérale et non plus up down : aucune hiérarchie a priori entre bloggers, aucun ne s’arrogeant pas plus de droits que ses lecteurs.
Inverse : vu la multitude des information mises à disposition, l’impulsion principale vient du lecteur qui organise le sens à sa guise, notamment grâce aux flux RSS.
Asynchrone : hier, vécu comme une contrainte, l’asynchronisme constitue un avantage : il casse l’urgence, et délite des liens trop formels.
Or une telle communication déroge à deux fondamentaux : la notion de systèmes ouverts, élaborée par Gregory Bateson et ses collègues de Palo Alto ; celle ensuite de modèle inférentiel, édictée notamment par Paul Grice.
En ce sens, elle sape les bases de nos sociétés occidentales, les déstabilise : après l’ère des systèmes fermés – dix-neuvième siècle – puis celle des systèmes ouverts – vingtième siècle –, nous entrons dans celle des systèmes instables.
Bien sûr il faut regarder par delà l’épiphénomène Web 2.0, ce que révèle le succès de ce type de communication – l’usure prématurée des valeurs propres aux société occidentales. La fin de la société dite « de consommation ».
« Il est impossible de ne pas communiquer » notait Palo Alto : la communication structure notre univers… et fonde marketing et publicité ; sauf qu’aujourd’hui « les marchés sont des conversations », pour reprendre le premier principe des fondateurs du Manifeste des évidences… ce qui nous situe bien de la communication de marque classique.
3. 6 Plus qu’une révolution… un débordement !
En résumé, ce qui se passe aujourd’hui ne s’inscrit ni dans une logique de progrès – logique évolutive –, ni même dans une logique de rupture – changement de paradigme au sein d’une même structure… puisque c’est la structure même qui se modifie.
Pour saisir l’ampleur du phénomène, précisons que Web 2.0 n’en est pas la cause – juste le catalyseur ! Car si la structure s’effondre si aisément, c’est peut-être qu’elle était déjà bien minée, pour ne pas dire… bien pourrie ?
Et ce qui gêne une claire vision du dit phénomène, c’est qu’il débute bien avant… Web 2.0 ! Un petit détour par le marché de la musique permettra de mieux le cerner.
Le marché de la musique se révèle extrêmement riche d’enseignements : d’une part, la dématérialisation croissante des contenus autorise des mutations inenvisageables dans d’autres secteurs ; d’autre part, la musique participe pleinement de la vie même des jeunes, tout autant que boire ou manger : or ces derniers maîtrisent mieux que tout autres les nouvelles technologies.
La remise en cause de l’économie de marché dans le secteur de la musique apparaît dès la fin des années quatre-vingt dix avec la montée en puissance du mp3, suivie en 2000 par la mise en ligne de Napster par Shawn Fanning… c’est-à-dire la possibilité de s’échanger à l’échelon de la planète de la musique plutôt que l’acheter.
Commence alors un long bras de fer entre jeunes « pirates » et majors, qui verra l’émergence de nouvelles formules d’échanges décentralisées – le fameux P2P –, des procès plus ou moins médiatiques et quelques projets de loi : ça, c’est la logique de l’affrontement – une logique de rupture, qui détient cependant en soi les germes de bouleversements encore plus radicaux et imminents.
L’étape suivante, je la daterai arbitrairement d’octobre 2005 quand quatre musiciens de Sheffield, les Arctic Monkeys, réussissent l’exploit de placer leur premier single en tête des charts en Angleterre, dès sa sortie. Un record que même les Beatles n’avaient pas battu ! A quel producteur, à quel label talentueux doivent-ils un tel succès ?
Aucun… Ils se sont créés seuls leur propre réputation en tournant dans les salles enfumées d’outre Manche : le bouche à oreille – le Buzz – a fait le reste. Le bouche à oreille… et la mise à disposition gratuite de leur musique sur leur site Internet : un adolescent en a parlé sur son blog, puis un autre et bientôt toute la blogosphère… adolescente.
Ils ont simplement nié l’existence même des maisons de disque – eux et d’autres, comme Clap Your Hands Say Yeah aux Etats Unis – et ça a marché : c’est en cela qu’il ne convient plus de parler de révolution mais de débordement.
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