Le branding des marques qui n’existent pas
28/02/2014
Je viens de recevoir un communiqué de presse m’annonçant la sortie du « premier téléphone certifié Google de THOMSON ».
Thomson, vous avez dit Thomson ? « Depuis plus de 120 ans, la marque THOMSON est un acteur incontournable de l’industrie électronique », précise le communiqué.
Nettement plus glamour que d’écrire qu’une société de « commerce de gros d'appareils électroménagers » (code NAF 4643Z) vient de mettre sur le marché un Smartphone fabriqué on ne sait où, ni par qui (aucune précision dans le communiqué).
C’est vrai que Thomson, c’est une belle histoire – en termes plus marketing, un extraordinaire Storytelling : une société plus que centenaire, issue de la Thomson-Houston Electric Company fondée en 1883 par Elihu Thomson (photo) et Edwin Houston, disposant d’un superbe portefeuilles de brevets, dont celui du mp3 (avec l'institut Fraunhofer, pour être précis).
On passe généralement sous silence les passages moins prestigieux : l’épisode malheureux du « franc symbolique » d’Alain Juppé en 1996 ; et bien sûr, le placement de sa branche téléviseurs – l’activité grand public phare – dans une coentreprise avec TCL qui aboutira à sa mise en liquidation en 2006. Pas vraiment glamour : si peu glamour que pour rassurer le petit monde de la finance, la société se verra rebaptisée Technicolor en 2010.
Parler du téléphone de Thomson est limite mensonger : une marque sous licence ne dispose évidemment d’aucune usine … et Admea, le licencié, non plus.
La question est : à qui profite le crime ?
Certainement au propriétaire de la marque qui exploite ainsi un de ses actifs immatériels : pas de grands risques, sinon de la voir dégradée par des mauvais usages – mais pour des financiers, c’est quand même mieux que de la laisser dormir au fond d’un tiroir ! Et dans le cas présent, le risque est d’autant plus limité que la société a elle-même abandonné le nom !
Pour les licenciés, le calcul n’est pas si clair : certes, Admea dispose immédiatement d’une marque disposant d’une bonne notoriété, d’une (relativement) bonne image, d’une réputation un peu plus douteuse, si l’on écoute un peu les forums (on parle ici téléviseurs) : « C'est pas si dégueux que ça, ça manque de fluidité et c'est pas la précision chirurgicale d'un Samsung c'est sûr, mais elles sont souvent les moins chères du rayon ».
Mais le risque est maximal : suffit qu’un des licenciés « se plante » pour que tous dérapent : or la marque est utilisée en télévision par TCL, par Hama pour les accessoires, etc. Et d’ailleurs, Admea concourt également à la dégradation collective de la marque ! Bien sûr, inutile de lire les pseudos papiers élogieux « copier/coller » des communiqués de presse qui pullulent sur les blogs de faible autorité ; par contre si l’on s’intéresse d’un peu plus près aux discussions des forums, on découvre quelques soucis comme ici :
« Tu ne dois pas l'avoir depuis bien longtemps car c'est un modèle (nouvelle entrée de gamme de chez Thomson) récent, n'est-ce pas ?... Perso, je pencherais sur une qualité intrinsèque aléatoire du produit, d'où une évidente instabilité dans son fonctionnement » … bref, pas grandiose !
C’est évidemment, les marques historiques délaissées par leurs propriétaires se dévalorisent peu à peu, ne serait-ce que parce qu’il y a toujours un licencié pour en tirer la réputation vers le bas – et tous en souffrent immédiatement ! Bref, Technicolor va devoir apprendre à dévaluer la valeur de se marque au fil des ans … mais pour un financier, seul compte le profit à très court terme, de toutes façons.
Les consommateurs ne sont pas si bêtes : ils savent très bien ce qu’il en est, et pour ceux qui l’oublieraient, il y a toujours une âme charitable au détour d’un forum pour leur rappeler : « Il faut se méfier des marques légendaires qui ressuscitent telles que SABA, Grundig, Brandt, Continental Edison... elles ont toutes été revendues ».
Les bonnes affaires à court terme se révèlent bien souvent de très mauvaises à moyen ou long terme.
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