Musique et Marketing
01/04/2010
Mes échanges par courriers électroniques avec des étudiants en cours de rédaction de mémoire de recherche me permettent souvent de préciser mes réflexions sur tel ou tel sujet, comme ici la musique et l'industrie musicale.
Pouvez vous nous indiquer et expliquer vos activités professionnels et extra professionnelles en rapport avec l’industrie de la musique ?
Mes activités professionnelles n'ont aujourd'hui plus aucun rapport avec l’industrie de la musique ; par le passé, j'ai beaucoup travaillé sur le concept du mp3, puisque Thomson, où j'occupais des responsabilités de Consumer Insight Manager, est à la base des algorithmes de compression et possède de nombreux brevets en la matière.
Par contre, je me suis toujours passionné pour la musique pop et rock, des Cream et King Crimson aux Arctic Monkeys et autres White Stripes : d'un point de vue sociologique, le marché de la musique constitue un extraordinaire sociétal, où s'affrontent des adolescents pour qui la musique est aussi essentielle que l'eau du robinet et quelques vieux barbons qui planquent leur fric en Suisse de peur de payer trop d'impôts, et des hommes d'affaires et des politiques qui ont un peu trop vite oublié que le musique se vit, afin de de se consommer en conserve : la scène avant les CD.
Quels sont les spécificités d’un produit culturel concernant sa commercialisation (si prend t-on de la même façon qu’avec un produit non culturel) ?
Un produit culturel n'existe qu'au travers de ceux qui le consomment : sans ados, pas d'Arctic Monkeys aujourd'hui, pas de Beatles hier - pour ceux qui ne me croient pas, je renvoie à Barthes. L'idée de commercialiser de la musique en boîte est récente dans l'histoire de la musique ; par ailleurs, les artistes, les vrais, ne créent pas pour l'argent - ce qui signifie pas qu'ils doivent vivre dans la misère, mais ce n'est pas le fric qui les anime. A partir de là, on revisitera le marché des produits culturels avec d'autres yeux, et on comprendra que les créateurs de Motown ou Atlantic, les labels mythiques, méritent un immense respect - miser sur un noir drogué comme Ray Charles, faut oser - et que les marketers d'Universal qui font la promotion de la musique comme celle des petits pois en méritent beaucoup moins - et Pascal Nègre, le champion de la répression anti piratage, pas du tout.
Peut-on considérer la musique comme un bien comme un autre ou du fait de son rôle culturel, la musique doit être traitée, diffuser de façon spécifique?
La musique est vivante, donc elle est spectacle, c'est le point de départ.
Aujourd'hui, jouer une musique de qualité est à la portée financière de n'importe qui, et même de l'enregistrer - bien sûr, d'un point de vue esthétique et / ou créatif, il en va autrement !
Moralité, le monde n'a jamais autant fourmillé d'artistes auteurs / compositeurs, la création ne s'est jamais aussi bien portée.
Bien sûr, cela ne nourrit pas tout son petit monde ... mais je connais bien des musiciens qui préfèrent jouer le soir, et vivre leur passion, sans en tirer grand profit : la passion prime le pognon, en quelque sorte.
Du coup, le business - par ce qu'il s'en fait toujours, ou qu'il y aura toujours des gens pour vouloir en faire -, s'est déplacé des producteurs aux tourneurs ... mais la mutation n'est pas achevée, et de toutes façons, la vraie vie musicale est ailleurs.
Pensez vous que les entreprises de l’industrie du la musique ont rattrapé leur retard concernant leur insertion dans les technologies du web2.0 ? Pourquoi ?
Non, et bonne nouvelle : elle ne le rattraperont jamais, pour le plus grand bien de la création musicale.
Pourquoi ?
Parce que l'on est passé d'un système vertical - où les majors pouvaient imposer leurs vues à coups de dollars - à un système horizontal - où les artistes peuvent exister sans cette contrainte financière : c'est un peu comme si vous demandez à un internaute qui discute sur un forum s'il de regrette pas le temps du courrier des lecteurs de la presse magazine ...
Qu’est ce qui a changé dans l’approche marketing de cette industrie depuis le Web 2.0 ? Le marketing peut-il sauver l’industrie musicale ?
Quelles sont les technique marketing les plus adapter à l’industrie musicales, de nos jours ?
Non, l'industrie musicale est morte, parce qu'elle a trop pratiqué de marketing, sans amour du produit. Du marketing, au mauvais sens du terme, puisqu'il s'agissait d'un marketing de façade, complètement tourné sur l'optimisation des bénéfices et sans intérêt pour le consommateur.
Sinon, les majors auraient compris que la musique ne s'achèterait bientôt plus mais s'écouterait en flux, plus en album mais en morceaux, et au lieu de se battre pour mettre des verrous partout, ils auraient cherché à développé des offres dignes d'intérêt pour les adolescents, notamment.
Il faut avoir du respect pour ses clients, c'est la base du marketing ... mais c'est une règle que l'on ne retrouve pas chez les majors.
Les véritables marketers de l'industrie musicale s'appelaient Berry Gordy, Ahmet Ertegün, Herb Abramson : on devrait plus les vénérer que Philip Kotler, la musique, ce n'est pas du détergent.
Quels sont les nouveaux processus de diffusion, distribution et de promotion de musique, utilisant les nouvelles technologies ?
Les nouveaux artistes les pratiquent tous les jours, il y les réseaux musicaux, on permet aux amateurs de gouter, et s'ils apprécient, ils consomment dans les concerts ; mais à partir de là, plus besoin de maison de disque ... d'où le passage de Madonna chez Live Nation.
il y a des tas de choses à inventer, un peu comme Malraux a inventé les Maisons des jeunes et de la culture, mais cela signifie être capable de faire une croix sur le passé ... et sur des monceaux de capitaux.
C'est pourquoi, ils devront laisser la place à de nouveaux venus, plus petits mais plus dynamiques, plus intuitifs aussi - plus à l'écoute des publics également : la base du marketing, en fait.
Avez vous déjà entendu parler des labels participatifs tels que MyMajorCompany ?
C'est un épiphénomène : c'est amusant, les internautes ont découvert un nouveau concept, ils ont joué avec, on a lancé Grégoire qui ne laissera certainement pas grand trace dans l'histoire de la musique - point barre.
Pourquoi ?
Parce que si MyMajorCompany remet en cause le mode capitalistique du point de vue de la constitution de ce capital, il ne remet pas en cause le système lui-même. La preuve : le premier artiste sorti est aussi mauvais que ceux issus de la Star Académie !
Il y a déjà un système nouveau qui fonctionne, à base de réseaux sociaux et de gratuité pour le découverte et la promotion, débouchant sur la musique vivante : c'est quand même le système qui s'impose de plus en plus, avec éventuellement relai sur un site dédié pour les artistes qui ont les moyens. Même MGMT vient de lancer son dernier en l'offrant gracieusement en écoute sur son site ... et franchement, MGMT, c'est autre chose que Grégoire, non ?
Comment envisagez vous l’avenir de l’industrie musical et du marketing au sein de cette industrie (scénarios d’évolution de la filière) ?
Impossible à imaginer, il sera ce qu'en feront les artistes et les amateurs, ados en tête. La seule prévision réaliste, c'est la fin, à plus ou moins long terme, des majors si elles ne se bougent pas très très vite.
Par contre, la musique n'a jamais été aussi vivante, et les ados de demain en prendront encore plein les oreilles.
3 commentaires
Bonjour,
je me permets un bémol sur votre excellente analyse du marché de la musique/marché du disque.
Quand vous écrivez "par ailleurs, les artistes, les vrais, ne créent pas pour l'argent (...) ce n'est pas le fric qui les anime. A partir de là.(..)on comprendra que les créateurs de Motown ou Atlantic, les labels mythiques, méritent un immense respect - miser sur un noir drogué comme Ray Charles, faut oser." -->. le rapport à l'argent n'est pas si léger que vous le sous-entendez.
En effet, Motown qui a "sorti" des artistes immenses (Charles, Wonder, Robinson...), était clairement organisé comme "une usine à tubes".
L'objectif du label était de "sortir" le maximum d'artistes, d'occuper toutes les premières places des charts américains et faire le maximum de dollars. Ils créaient donc AUSSI pour le fric.
Soit, il s'agissait d'une musique authentique (Soul, R&B) qui revêtait une dimension sociale essentielle (la reconnaissance et l'émergence des afro-américains dans la société white US) mais c'était aussi une histoire de business, de machinerie marketing parfaitement huilé (des sorties régulières de Hit, des mélodies tubesques, un circuit de distribution, des artistes packagés, un marché potentiel de 200 millions d'individus qui découvrait la musique des bas-fond...).
Contrairement à nous, les américains ont un rapport à l'argent complètement décomplexé.
Là bas, il est tout a fait normal, et même logique, de vouloir faire de l'argent avec la musique où toute autre forme d'art.
Et ça n'entrave pas systématiquement la qualité artistique des oeuvres...preuve en est les productions et artistes Motown
Je suis entièrement d'accord avec vous.
"Non, l'industrie musicale est morte, parce qu'elle a trop pratiqué de marketing, sans amour du produit. Du marketing, au mauvais sens du terme, puisqu'il s'agissait d'un marketing de façade, complètement tourné sur l'optimisation des bénéfices et sans intérêt pour le consommateur."
Ils se plaignent maintenant mais il est un peu tard.
Que de raccourcis. On parle tantôt de création, tantôt de majors. On ressort les grands marronniers : un public ado, la musique est vivante avant tout, l'avenir c'est le concert, les majors doivent disparaitre...
Parler d'industrie pur un business qui représente le CA d'un Auchan de province a toujours été un peu déplacé. Vu votre profession, j'aurais souhaité que vous voyez la base de cette économie, un tissus association, de TPE et de PME qui assure la diversité et l'offre dans une filière touché par la disparition de sa principale rentrée d'argent, la vente de contenu. Oui, on n'a jamais eu autant "d'artiste", mais l'artiste n'agit pas seul, il y a les musiciens qui l'accompagne, les techniciens et tout un écosystème de compétences et de métiers qui soutiennent la création (sans parler de ce qui font le support, la vente etc...
J'espère que vous ne parlez pas avec autant de clichés et de simplification à vos étudiants...
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