Quel avenir pour le luxe ?
27/01/2009
Suite de l'article paru le 20 janvier.
Fonder dessus une industrie du luxe, suppose avérés – et ce, en permanence – deux postulats :
- Une réserve suffisante de clients : tant que le luxe demeurait artisa-nal, pas de soucis ; mais industrie, et même celle du luxe, rime avec lignes de production.
- Que le moteur financier, lui, ne cale pas … qu’en d’autres termes, l’expérience unique et personnelle ne passe pas par d’autres vecteurs.
Le marketing adore le luxe … tous les marketers en rêvent : normal, luxe signifiant marges élevées ; je n’ai jamais rencontré d’étudiants proposant spontanément de traiter dans leurs exposés du marketing des produits low cost – voire plus prosaïquement de l’entrée de gamme !
Avec la crise économique, les consommateurs vont nécessairement revisiter leurs arbitrages financiers – et la consommation faiblit déjà. Le marché du luxe va certainement se tendre, redevenir un marché de niches.
Pas grave en soi … sauf que le marigot ne nourrira plus la même multitude de crocodiles affamés de marges élevées : le marché du luxe est celui de la facilité … intellectuelle en marketing ! Des générations qui ont appris à construire tous leurs plans à partir de la seule politique de prix !
Bien sûr, il y aura toujours des riches, il y aura toujours des oligarques russes et des princes saoudiens ! Bien sûr, il y aura toujours des privilégiés – des vrais, ceux à parachutes dorés – en France et ailleurs : en restera-t-il assez pour toutes les marques de luxe ?
Les historiques et les autres ?
Le second postulat apparaît encore plus fragile.
Les années 1970 à 2000 furent en France celles de la possession et du paraître, comme le soulignera Baudrillard : « On ne consomme jamais l'objet en soi (dans sa valeur d'usage) – on manipule toujours les objets (au sens large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre propre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur ».*
D’où l’émergence d’une nouvelle forme de communication publicitaire "identitaire", détournant le message du produit vers son possesseur : sémiotiquement parlant, ce n’est plus l’objet qui se voit qualifier, mais son propriétaire.
Dans un tel contexte, la seule possession d’objets de luxe peut aisément s’assimiler à une expérience unique et personnelle : je m’épanouis en acquérant une montre Rolex, un sac à main Gucci, etc.
Aujourd’hui, une page sociétale se tourne, l’être l’emporte à nouveau sur l’avoir et le paraître : le Web 2.0 est passé par là.
Rédiger un papier sur mon blog constitue pour moi une expérience unique … impossible il y a dix ans ! Publier une vidéo sur un réseau social, pareil-lement, participer à un wiki, etc.
Bien sûr, tous les Français ne vont pas se muer en blogueurs, en acteurs du Web 2.0 : mais une page se tourne, et tous les Français ont réalisé que la seule possession d’objets ne constituait plus le luxe ultime … ou unique !
Une des avancées majeures du Web 2.0 n’est pas seulement d’avoir per-mis à des millions d’individus de par le monde d’accéder à un luxe qui leur était auparavant refusé : pouvoir s’exprimer – exprimer leurs passions – aux yeux de tous.
Non, elle est d’avoir apporté la preuve que l’on peut s’épanouir – et vivre des instants personnels inoubliables – autrement que par une dépense importante, exubérante. Que le "vrai luxe", finalement, se situe ailleurs. Le futur du "vrai luxe", je le vois comme la redécouverte des valeurs d’être et d’expression.
Celui de l’industrie du luxe, je le vois un peu moins bien.
* Jean Baudrillard : La société de consommation, Paris, Gallimard, 1979.
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