Thierry Maillet - La Génération Participation
14/01/2007
Marketingisdead : A la fin d'une critique assez violente de la Société de Consommation, tu cites la directrice éditoriale de novethic.com : "Les deux mamelles du marketing, les promesses bienfaitrices et le discours de rêve véhiculés par la publicité ont apparemment épuisé les réserves de crédibilité dont elles bénéficiaient". Peux-tu préciser ce que t'inspire plus particulièrement cette réflexion ? Marketing is dead ?
Thierry Maillet : Cher François, il m’est difficile d’être en désaccord avec toi car tes commentaires résonnent souvent justes à mes oreilles mais permets-moi de le confesser. Non le marketing n’est pas mort puisque ce n’est qu’une technique, une modalité et non pas une finalité… comme continuent à le croire trop souvent les étudiants d’écoles de commerce.
Là où je te rejoins volontiers néanmoins est que son contenu traditionnel doit être totalement repensé. Hier le marketing était au service du producteur dans le cadre d’une société de consommation qui revendiquait ostensiblement voire fièrement les termes de l’Académie Française : Consommer, c’est achever pour détruire.
Cette finalité est devenue difficile à afficher eu égard aux dommages admis par tous de cette consommation à outrance qui nous aura autant apporté qu’elle nous aura pris. La consommation évolue progressivement vers une variante liée à l’utilisation des produits et le gratuit est une forme d’expression. Dans cette perspective, le marketing redevient plus que jamais indispensable pour penser cette transformation. La modalité, penser la relation du producteur au consommateur, perdure, par contre les outils et méthodes utilisés jusqu’à présent doivent être indiscutablement rénovés.
Ce n’est pas un hasard si Marketing Magazine, dans son Centième Numéro Anniversaire, revisitait toutes les techniques du marketing2ou si l’Association des Agences de Publicité titrait la dernière Semaine de la pub à Paris en Novembre : Révolution3. Les professionnels semblent acquis à l’idée qu’un tournant est amorcé mais ils restent dubitatifs sur son degré et son ampleur. A nous de les y aider.
Marketingisdead : Le concept de participation en France n'est pas nouveau : De Gaulle avait tenté de l'introduire dans les années soixante, sans grand succès d'ailleurs. En quoi la participation que tu proposes aujourd'hui diffère-t-elle de celle du fondateur de la Cinquième république et quelles sont ses réelles chances de succès ?
Thierry Maillet : Le concept de participation a été relancé récemment à partir d’une idée initiale du Général de Gaulle qui cherchait une voie intermédiaire entre les visions traditionnelles du capitalisme et du socialisme au lendemain de mai 68. Il est toutefois possible de se demander si les Américains de la Côte Ouest proche de la contre-culture post 68 n’ont pas été inspiré par cette démarche gaulliste en créant les stock-options pour motiver les futurs cadres d’entreprises en création, à fort potentiel mais à faibles revenus immédiats.
Rapprocher Capital et Travail est une nécessité car les individus des pays développés ne veulent plus compartimenter leur vie et ils sont simultanément consommateurs, salariés, citoyens et les obliger à choisir n’est plus crédible ni souhaitable. La Génération Participation est la nouvelle classe dominante qui refuse de choisir pour respecter une segmentation qui lui était plus imposée par les différents pouvoirs que librement décidée.
Marketingisdead : Plus loin, tu précises : "L'entreprise sera citoyenne si elle devient participative" ; c'est quoi, une entreprise citoyenne ? Et quel rôle la participation vient-elle jouer là dedans ? Entreprise citoyenne, entreprise participative : ce ne sont pas simplement des termes à la mode, comme hier de développement durable ?
Thierry Maillet : L’entreprise citoyenne était peut-être une idée creuse, je te le conçois volontiers. Une mode sûrement. Néanmoins c’était la première manifestation d’une question essentielle : l’entreprise doit-elle le lieu central de la vie comme l’écrivait Patrick Viveret dans son percutant, Pourquoi cela ne va pas plus mal ? (Fayard, 2005). Cette centralité a été imposée dans les années 80 (sous un Gouvernement Socialiste…) peut-être plus comme un recours dans une période économique tendue (la France était en grande difficulté financière) qu’une proposition mûrement réfléchie.
Par contre en devenant participative c’est à dire en impliquant et en redonnant la parole grâce à une écoute retrouvée (les blogs) l’entreprise peut donner du contenu et du sens à la formule creuse des origines. Les entreprises qui sauront s’inscrire dans la durée seront celles que les consommateurs citoyens se seront réappropriées.
Je ne peux que m’inscrire en faux contre les spécialistes qui revendiquent les marques aimantes (Love Marks de C Roberts) ou encore plus récemment les marques qui racontent des histoires (Tous les marketers sont des menteurs de S Godin). Les entreprises ne doivent pas chercher à être aimées ou à séduire mais tout simplement à rendre service et à répondre aux attentes d’individus qui n’acceptent plus de croire en la suprématie de l’économie mais simplement son utilité.
Je me permets aussi de t’adresser le lien avec un papier de Véronique Richebois récemment paru sur mon livre et qui revient sur cette distinction, que je crois essentielle pour nos étudiants d’écoles de commerce entre supériorité ou primauté de l’entreprise par rapport simplement à leur nécessité. L’entreprise doit avoir un comportement citoyen mais elle n’est pas citoyenne au sens qu’elle serait centrale dans nos modes de vie.4
C’est la différence que je vois aussi entre Mode et Modernité : trop souvent nous avons cédé à la mode en oubliant que l’essence du progrès était la modernité.5
Marketingisdead : Page 175, tu annonces la mort, sinon de la publicité, du moins des groupes publicitaires : "Les publicitaires connaîtront-ils le sort des industriels de la musique avec la disparition de leur principal support nourricier, le film de 30 secondes comme le fut pour les producteurs de disques, le CD ?" Ce n'est pas un peu provocateur comme prédiction ?
Thierry Maillet : La publicité n’est pas morte si elle se transforme. Aucun grand groupe publicitaire n’a crée une structure aujourd’hui classée dans les premières agences web et Publicis est obligé de lancer une OPA à 1,3 billions$ pour combler son retard.
Oui les publicitaires, comme les journalistes, comme les producteurs de musique, comme hier tous les industriels doivent apprendre à évoluer. N’est-ce pas les seules professions (presse, pub) qui considéraient inutiles un budget R&D pour elles-mêmes. CQFD, ces entreprises ont eu dû mal à penser leur avenir en dehors des champs habituels de développement :
- Gratuit pour la Presse,
- Peer to Peer pour la Musique,
- Internet et nouvelle création/nouvelles formes de rémunération pour les agences.
Je me permets de te joindre un récent post à ce propos6.
Tous les communicants ne l’ont pas encore compris puisqu’une agence de RP réputée a voulu adopter avec les bloggers un comportement identique (je t’offre le produit pour que tu en parles) qu’ils adoptaient hier avec les journalistes. Ils ont simplement omis de considérer (il ne pouvait en être autrement puisqu’ils n’ont pas été préparé à cette évolution) que les good old days ne reviendront pas.7
Avant Internet, les relations entre pouvoirs économique et d’influence étaient moins éventées et leur régulation était plus aisée. Il n’en est plus de même et ce renversement de paradigme lié à l’accès à l’information n’est pas encore compris (sans parler d’être ou non admis) par nombre de professions qui restent conservatrices au sens où elles veulent espérer que le changement sera plus lent que prévu…
Dommage peut-être mais peu crédible. Le gazogène n’a plus jamais été utilisé pour s’éclairer pas plus que la diligence pour se déplacer. Alors oui le marketing des good old days, est mort mais pas le métier qui doit assumer la gestion de la relation entre des producteurs et des individus utilisateurs/consommateurs. Doit-il toujours s’appeler marketing, je te laisse y répondre et cela pourra faire l’objet d’un débat à venir.
Marketingisdead : Et en définitive, tu la vois comment, la société de demain ?
Thierry Maillet : La société de demain : la question la plus importante et la plus difficile. Nous sommes à un carrefour entre une direction individualo-égoïste qui place la consommation et ses projections de réussite et de bonheur au-dessus des autres valeurs. Véhiculée autant par une certaine Amérique que par les nouveaux riches de Shangaï, Bombay, Londres ou Moscou, ce paradigme exacerbe à l’extrême les éléments hier positifs de la consommation lorsque les pays étaient démunis mais qui deviennent ridicules.
L’autre voie à l’œuvre dans les pays développés est la direction participativo-implicante qui a été initiée par les classes créatives et peut se diffuser à l’ensemble de la société grâce à Internet et aux nouvelles applications. Cette voie est très présentes aux Etats-Unis (GW Bush n’est pas l’Amérique et il ne faut pas céder à ce tropisme) et en Europe, notamment en Europe du Nord.
En France l’année 2007 s’annonce passionnante car l’élection présidentielle pourrait aussi se résumer à cette confrontation qui pourrait permettre au pays de choisir une des deux orientations étant entendu que la voie participativo-implicante me semble promise à un futur plus dégagé.
1Note du 25.11.2006
2http://mailletonmarketing.typepad.com/mailletonmarketing/...
3www.lasemainedelapub.com/programme.html
4www.lesechos.fr/journal20070104/lec1_competences/4519069.....
5http://mailletonmarketing.typepad.com/mailletonmarketing/...
6http://mailletonmarketing.typepad.com/mailletonmarketing/...
7www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39365948,00.htm
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