Sémioticiens, Cogniticiens, même combat !
19/06/2006
Bon nombre d’ouvrages traitant de la communication publicitaire se référent au schéma de Shannon et Weaver, ce qui est une hérésie, les travaux de ces ingénieur et philosophe américains concernant essentiellement les transmissions… télégraphiques et téléphoniques !
Dans ces cas précis, le signal émis doit parvenir au niveau de la cible dans l'état le plus proche de ce qu'il était au niveau de la source : si vous lancez un SOS, mieux vaut pour vous que celui qui le capte le perçoive également comme un SOS.Le schéma précédent présuppose pour toute communication six éléments essentiels : l’émetteur qui encode son message avant de le diffuser sur un canal, ou média, à un récepteur, à charge pour ce dernier de le décoder ; reste le bruit, extérieur au processus, mais qui peut le perturber.
Manquait initialement la notion de retour – ou feed back – qui viendra ultérieurement compléter le modèle. Moyennant quoi il devenait aisé de l’utiliser pour la communication publicitaire, d’autant qu’ici les choix entre médias occupent une position capitale ; et si le consommateur ne saisit pas à la perfection le sens du message qui lui est destiné, c’est qu’il y a de la friture sur la ligne.
Seulement, c’est peut-être aller un peu vite en besogne que d’assimiler le cerveau humain à une puce ou à une membrane microphonique : que celle-ci vibrera toujours pareillement soumise à ces conditions physiques identiques, notre encéphalogramme, quant à lui, tirera des conclusions totalement différentes d’une même information selon l’heure, le contexte – et la personnalité de l’individu, bien évidemment.
En d’autres termes, rien ne garantit un décodage inversement identique à l’encodage. Pire : aucun ne saurait l’être. Ce que soulignent Dan Sperber et Deidre Wilson dans La pertinence : « D'Aristote aux sémioticiens modernes, toutes les théories de la communication ont été fondées sur un seul et même modèle, que nous appellerons le modèle du code. Selon ce modèle, communiquer, c'est coder et décoder des messages. Récemment, plusieurs philosophes, dont Paul Grice et David Lewis, ont proposé un modèle tout à fait différent, que nous appellerons le modèle inférentiel. Selon le modèle inférentiel, communiquer, c'est produire et interpréter des indices »*.
Modèle inférentiel qui, lui, s’applique parfaitement à la communication publicitaire : pour interpréter une annonce, le consommateur va tisser tout un ensemble de liens entre cette matière première vide de sens et les informations déjà classifiées dont il dispose par ailleurs.
Avec l’univers publicitaire qu’il connaît, et notamment le passé de la marque présentée : à qui sinon attribuer ces publicités que Nike ne signe que de son Woosh ? La publicité Ariel ci-contre tire une partie de son sens de l’historique publicitaire Kookai.
Par contre, de tels raccourcis freinent toute tentative de repositionnement puisque notre cerveau nourrira plus aisément son interprétation de ses pré requis que des informations nouvelles, qu’il négligera parce que réputées inutiles : à quoi bon aller chercher dans une annonce Ariel des matériaux que l’on possède déjà par ailleurs ? A moins que ne surgisse un élément perturbateur : comme le style totalement en rupture pour la marque de ce message à la Kookai destiné à forcer la lecture.
Avec le médium supportant le message : sans affirmer aussi catégoriquement que Marshall Mc Luhan : « Le message, c’est le médium »**, l’étude des Climats de lecture*** de la presse magazine a montré combien le contexte rédactionnel pouvait enrichir la perception des annonces qui y sont insérées, et en faciliter, ou en perturber, la lecture : un titre féminin élitiste magnifiera le parfum, un autre, plus populaire, le transformera en une banale eau de toilette.
Avec sa propre existence, son propre vécu, ce qui se révèle souvent moins maîtrisable : tant que message se situe sur le plan des archétypes sociaux et d’un imaginaire plus ou moins collectif, l’intellection en sera assez prévisible ; mais s’il s’en vient buter sur des expériences plus personnelles, il pourra se charger de connotations, parfois positives, plus souvent négatives, peu contrôlables.
Ainsi les divers messages de solidarité suscitent-ils un écho plus favorable auprès de ceux qui connaissent de telles situations dans leur entourage propre ; et plus couramment les femmes en attente d’un premier enfant se montrent plus attentives aux publicités pour les produits de puériculture.
Avec les éléments contextuels les plus variés : quand le Crédit Agricole utilise la chanson Imagine de John Lennon, ou Microsoft Start me up des Rolling Stones, ce sont les valeurs de rébellion de toute une génération, aujourd’hui bien encadrées pour ne pas dire embourgeoisées, qui resurgissent et s’en viennent enrichir un propos par trop commercial. La communication des parfums et autres produits de mode joue énormément sur les connexions hypertextuelles à la création artistique.
Le modèle inférentiel proposé par les sémioticiens recoupe étroitement les modes opératoires du cerveau humain mis en évidence par les sciences cognitives, en contredisant tous deux les modèles mécanistes comme celui de Shannon et Weaver. Nous avons déjà analysée, notamment dans L’image de marque au fond d’un verre de vin – note du 29.03.2006 –, comment fonctionne notre cerveau. Nos perceptions se construisent avant tout par un dialogue entre organes des sens et mémoire à long terme, dialogue orchestré par le lobe temporale et surtout l’hippocampe.
Surtout, elles doivent plus à notre mémoire à long terme qu’a nos sens : ceux-ci se contentent de lui fournir les indices permettant de retrouver les informations nécessaires et pertinentes dont nous disposons déjà par ailleurs. Les sciences cognitives non seulement confirment les approches sémiotiques précédentes, mais elles leur fournissent une topologie : le processus inférentiel se situe au niveau de l’hippocampe.
*Dan Sperber et Deidre Wilson, La pertinence
**Marshall Mc Luhan, Understanding Media.
***François Laurent, Valoriser votre communication.
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