Prix, vous avez dit prix ?
07/05/2006
Des études et modèles statistiques pour déterminer le prix idéal des biens technologiques, comme il en existe pour les produits de consommation courante ? Admirable, bien que quelque peu illusoire ! Mais plutôt que de se morfondre ici sur les échecs passés, rappelons plutôt quelques évidences caractéristiques des biens high tech.
Avec la première d’entre toutes : leur vertigineuse chute des prix. Ainsi les écrans LCD 16/9 de 17 pouces, qui à l'automne 2003 se vendaient en France plus de 1 000 €, en valaient-ils à peine 800 un an plus tard, soit une chute de 20%. Chute qui n'est certainement pas près de s'arrêter au vu des gigantesques capacités de production asiatiques.
Souvenons-nous également qu'un lecteur DVD qui coûte en moyenne 100 € aujourd’hui – voire 40€ en hyper –, se payait 850€ en 1998, et encore près de 400€ en 2000 ! On se situerait donc plus ici au niveau du pilotage à vue en pleine tempête : le temps de réaliser une telle étude et d’en modéliser les résultats… elle sera depuis longtemps périmée.
Ne sauraient donc être réellement concernés par quelque tentative de modélisation que les produits pour lesquels la concurrence demeure balbutiante : les innovations de rupture, au demeurant fort rares.
Innovations qui demeureront encore des mois après leur lancement totalement incompréhensibles aux consommateurs non avertis, voire même à tous consommateurs – à l'exception de ces aficionados que sont les early adopters. La grande majorité des Français se révèle aujourd’hui totalement incapables d’imaginer l’usage qu’ils pourraient faire de produits réellement innovants, et totalement différents ce ceux qui peuplent leur quotidien.
Prenez les enregistreurs vidéo à disque dur qui commencent à pénétrer le marché : même si tout le monde sait à quoi sert un disque dur dans un ordinateur, bien peu de gens l’an passé étaient capables d’imaginer comment utiliser le même disque dur logé dans un petit boîtier près de leur téléviseur, à la place de leur bon vieux magnétoscope. Seule solution pour le chercheur : équiper une population cible de prototypes. Ce qui va bien en quali, mais devient plus problématique en quanti. Or les modèles sont gourmands en chiffres.
On sera alors tenté d’extrapoler à partir d’information recueillie auprès de la seule population des early adopters, ces fous de high tech à l’affût de toute nouveauté. Ce qui hier marchait encore à peu près, quand le high tech était encore très aspirationnel ; mais aujourd’hui la situation s’est hélas encore un peu plus compliquée.
Au lancement de toute innovation, on distingue schématiquement trois cibles : ces fameux early adopters qui se ruent dessus et constituent un réservoir de 2 à 300 000 individus à l’échelle du continent ; les immediate followers, qui prennent aussitôt le relais et en assurent le succès, avant que les populations mainstream s’y intéressent… mais les prix auront alors très sévèrement chuté.
Le comportement des early adopters importe en fait relativement peu : ils se gavent continuellement d’innovations, et leur intérêt pour un produit particulier ne préjuge en aucun cas de son succès ultérieur ; celui des immediate followers apparaît en revanche capital : ce sont eux qui lui confèrent sa légitimité, lui assurant une réelle assise. Un bien high tech dont ils ne se saisissent pas demeurera une curiosité, au mieux ancrée sur un marché de niche.
Le problème ces dernières années est celui d’un croissant découplage entre early adopters et immediate followers, ces derniers adoptant des comportements de plus en plus proches des populations mainstream : dès lors, où mettre le curseur en matière de prix ?
En fait, le marché s’en charge fort bien tout seul. Les industriels lanceront toujours leurs innovations au prix le plus élevé, ne serait-ce que dans l’espoir fragile d’amortir le plus rapidement possible leurs coûts de R&D ; et ils auraient bien tort de s’en priver, l’élasticité au prix se révélant très faible auprès des early adopters.
Et après ? Après, ce sera la vertigineuse chute des prix, liée aux gigantesques capacités de production en matière d’écrans, aux faibles coûts de production asiatiques, … et à l’attentisme de consommateurs de plus en plus blasés. Besoin de modèles sophistiqués ? Pas vraiment : simplement de bon sens. Et des nerfs solides.
Marketing Magazine N°92 – Janvier 2005
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