Et si on fondait une maison d’édition Web 2.0 ?
14/06/2007
Dans les deux cas, la profession y a dérivé d’un marketing de l’offre très volontariste – avec parfois des partis pris risqués, mais toujours qualitatifs – à un marketing de la demande débouchant nécessairement sur des productions le plus souvent médiocres, pour lesquels les éditeurs refusent de prendre le moindre risque.
L’édition musicale, c’était hier des maisons comme Atlantic ou Motown, dénichant à coup d’intuitions géniales, des Ray Charles et des Marvin Gaye, et les soutenant de toute leur énergie : qui aurait raisonnablement misé sur un noir toxicomane… et aveugle de surcroît ! Personne sinon Ahmet Ertegun, fondateur d’Atlantic.
Aujourd’hui, ce sont quatre majors se partageant 80% du marché, et la plupart du temps incapables de comprendre, tant leurs artistes, que leurs publics ; dépensant des sommes folles en marketing pour assurer la promotion de gloires éphémères sorties de la real TV ; et étranglant à l’aide de contrats draconiens les valeurs montantes – pour ne pas parler du sort réservé aux groupes qui ne pénétreront jamais le Top 50, c’est-à-dire la quasi-totalité de la scène française ou mondiale.
L’édition professionnelle, ce sont désormais des éditeurs totalement incapables de discerner un bon projet d’un mauvais, et bétonnant de partout pour éviter de prendre le moindre risque : avec des directeurs de collections universitaires pour répliquer à l’infini les mêmes antiennes quand la société évolue plus vite que les thésaurisateurs.
Surtout, la première question que vous posera tout bon directeur littéraire sera : « Quelles préventes pouvez-vous me garantir ? » ; à ce petit jeu, il est plus aisé à un directeur d’institut ou d’agence de communication – qui va acheter des centaines d’exemplaires pour assurer la publicité de sa société – ou à un professeur de grande école de se retrouver sur les rayons des librairies.
Le seul petit détail que ces braves gens ont oublié, c’est très peu de professionnels espèrent gagner leur vie – ou même simplement changer de voiture – de leurs écrits, sauf les quelques rabâcheurs qui ressassent les sempiternelles théories du millénaire passé.
J’écris, plein de mes copains écrivent, simplement parce qu’ils ont quelque chose à dire – et que pouvoir dialoguer avec d’autres professionnels l’emporte de loin sur l’obole que ne leur accordera jamais un éditeur. Alors, comme des tas de copains, je blogge… et j’y trouve un plaisir immédiat, nettement supérieur à celui de discuter le bout de gras avec n’importe quel éditeur !
Blogger, c’est bien, mais qu’en reste-t-il ? Au terme de quelques mois, les papiers, classés par ordre ante chronologique, s’accumulent au fond de la pile… et sombrent dans l’oubli ; par ailleurs, même si l’on publie quelques papiers de fond, plus construits, la plupart du temps, la pensée demeure journalistique, donc parcellaire.
Et c’est alors que le livre trouve toute sa place, comme une somme : sauf quelques stakhanovistes, l’on en publie jamais que 3, 4, 5 au cours d’une carrière professionnelle. Et pour les anciens – nés, comme moi, au siècle dernier – il y aura toujours la magie de la chose imprimée, du papier, de cet objet que l’on découvre dans les rayonnages des libraires…
Un peu comme un artiste débutant aperçoit son tout nouveau CD dans les bacs disquaires… et en arrive à oublier qu’il ne touchera certainement pas un centime dessus, après être passé sous les fourches caudines des maisons de disque.
C’est pourquoi de plus en plus d’artistes leur font désormais un bras d’honneur, en publiant gratuitement leur musique sur MySpace ou leurs sites Internet : de toute façon, ils gagnent – aujourd’hui comme hier – leur vie en tournant de salle en salle ; alors, à défaut de revenus, Internet leur apporte la publicité – gratuite – que majors ou indépendants sont incapables de leur offrir.
Et si on fondait une maison d’édition Web 2.0 ?
Bien des schémas sont envisageables : vente à prix réduits ou totale gratuité ; diffusion totalement dématérialisée ou mixte ; modèle associatif, coopératif, ou banalement lucratif. Le problème le plus épineux restera certainement celui de la direction littéraire et de la sélection des auteurs et des projets.
Avec la dématérialisation des contenus, la mise à disposition gratuite de livres au format PDF ne constitue plus vraiment un obstacle, les auteurs se chargeant alors eux-mêmes de la mise en page de leurs écrits ; toutefois, une commercialisation à coûts très réduits – quelques euros – peut également s’envisager.
En parallèle de cette diffusion virtuelle, des tirages papier en quantités limitées sont rendus possibles par l’évolution des techniques de publishing : certains éditeurs proposent d’ores et déjà des impressions en séries extrêmement limitées, voire à la demande – en fait le livre part en impression seulement après avoir été commandé.
Un modèle mixte – PDF téléchargeable gratuit/papier expédié payant à coûts réduits – constitue une alternative intéressante à un modèle purement virtuel : certains lecteurs, réticents à ingurgiter un lourd pavé sur écran, seront heureux de prolonger de façon plus classique un ouvrage feuilleté électroniquement.
La publication papier à façon peut se déconnecter de la fonction d’édition : un même imprimeur/routeur peut sous traiter cette tâche industrielle pour plusieurs maisons d’édition en ligne, assurant ainsi une sorte de back office ; dès lors, ces dernières peuvent aisément se constituer sans nécessaire apport de capitaux – voire fonctionner sur le seul bénévolat associatif.
Dès lors, n’importe qui – n’importe quel groupe – peut s’instituer éditeur, se constituer en maison d’édition : je militerais alors volontiers pour un système collaboratif par cooptation : deux ou trois auteurs se regroupant pour créer une telle maison virtuelle à l’occasion de la publication du dernier ouvrage de l’un d’entre eux… Suivront ensuite ceux des autres membres de la coopérative, et le tour est joué : aussi simple, ou presque, de lancer un blog sur Internet.
Pas de comité de lecture : la coopérative s’élargit par cooptation… structure et fonctionnement simplissime !
Evidemment, Web 2.0 permettra de créer le buzz… et comme ces auteurs Web 2.0 sont aussi des bloggers – confirmés, sinon d’influence, sinon, ils n’auraient jamais réussi à accoucher d’un livre – leurs réseaux vont rapidement propager l’information… et c’est tout ! C’est Web 2.0 : si le livre est bon, il aura une chance proportionnelle à sa qualité !
Quelques structures associatives plus établies pourraient fédérer autour d’elles plusieurs de ces microstructures virtuelles, leur conférant une plus grande visibilité – sans nécessairement cautionner les contenus : elles n’auraient pas à se substituer à leur direction littéraire.
Finalement, un schéma aussi souple que Web 2.0.
La redaction de Marketing is dead, mon prochain livre, avance très doucement, mais qui va piano… je suis prêt à le mettre au pot d’une telle démarche.
Et si quelqu’un est assez fou pour tenter l’expérience, ou simplement a envie de continuer le débat sur le thème, welcome on board !
7 commentaires
Vous connaissez Lulu.com ?
Je l'ai découvert il y a quelques jours... je vous invite à aller y jetter un coup d'oeil.
Bonne journée
Je trouve l'idée tout à fait intéressante. Comme nombre de tes idées, tu sais que nous sommes toujours ouverts à l'édition de ton livre mais on en reparlera en dehors de ce blog :).
La difficulté d'une telle idée, mais qui ne la rend pas irréalisable, est le travail éditorial. A quoi sert un éditeur en dehors de refuser des manuscrits :) ? Et bien, quand il fait son travail, il travaille avec les auteurs sur le manuscrit. Je peux dire que nous n'aurions jamais publié aucun des manuscrits que nous avons reçus tel quel, c'était impossible, ou mal écrits, ou mal organisés ou incomplets ou les 3 en même temps... Désolé pour les susceptibilités des auteurs mais il ne faudrait pas oublier cela.
Ok utiliser un lulu.com ou des éditeurs à comptes d'auteur (on paye pour se faire éditer) a toujours existé mais j'aimerais savoir combien de succès d'éditions en sont sortis ???
Par contre, ce qui peut être intéressant c'est le futur du e-paper. La dématérialisation des contenus, en réalité, n'a pas encore beaucoup touché le livre. Qui va lire un roman et même un livre pro sur son PC ? Mais le e-paper arrive, cela va donc changer et ouvrir de nouveaux modèles. A suivre...
Je trouve l'idée tout à fait intéressante. Comme nombre de tes idées, tu sais que nous sommes toujours ouverts à l'édition de ton livre mais on en reparlera en dehors de ce blog :).
La difficulté d'une telle idée, mais qui ne la rend pas irréalisable, est le travail éditorial. A quoi sert un éditeur en dehors de refuser des manuscrits :) ? Et bien, quand il fait son travail, il travaille avec les auteurs sur le manuscrit. Je peux dire que nous n'aurions jamais publié aucun des manuscrits que nous avons reçus tel quel, c'était impossible, ou mal écrits, ou mal organisés ou incomplets ou les 3 en même temps... Désolé pour les susceptibilités des auteurs mais il ne faudrait pas oublier cela.
Ok utiliser un lulu.com ou des éditeurs à comptes d'auteur (on paye pour se faire éditer) a toujours existé mais j'aimerais savoir combien de succès d'éditions en sont sortis ???
Par contre, ce qui peut être intéressant c'est le futur du e-paper. La dématérialisation des contenus, en réalité, n'a pas encore beaucoup touché le livre. Qui va lire un roman et même un livre pro sur son PC ? Mais le e-paper arrive, cela va donc changer et ouvrir de nouveaux modèles. A suivre...
Bonjour,
Je suis ravie de lire ce point de vue. Il est vrai que de plus en plus de gens écrivent dans leur loisirs personnels et les blogs sont la preuve de cette tendance à l'écriture.
C'est sur ce constat et en qualité d'amoureuse des livres en tant qu'objet, que j'ai créé Editego (www.editego.com) un site permettant de créer son livre en ligne, de faire sa mise en page, sa couverture et de l'imprimer en 1 exemplaire ou plus (abordable pour tous : 29 € pour 1 ex). On peut aussi le publier et bientot le vendre...
Recettes de cuisines, blogs de voyages, romans... les utilisateurs d'Editego sont nombreux et sont très heureux de recevoir leur ouvrage à domicile, pour eux ou pour l'offrir.
Alors j'attends vos manuscrits, vos photos et donc vos prochains ouvrages.
Tellement d'accord avec vous que je travaille depuis un petit moment sur un projet d'édition multi-support (dans un domaine un peu particulier puisqu'il s'agit de celui de l'édition touristique pour la famille et les enfants)! Faites un tour si vous avez eu une minbute sur le site de mon projet (plus haut). Je vous intègre dans tous les cas dans la liste de mes blogueurs favoris! Oui, les éditeurs doivent repenser la manière dont ils envisagent leur métier...et leur rentabilité. Plein de nouveaux "modèles" sont à inventer dans la conception comme dans la diffusion des livres. Mais il ne s'agit pas seulement de faire plaisir aux auteurs... Il faut aussi penser aux lecteurs! Marketing is not maybe complety dead ;-D ...
Je prépare mon 5ème bouquin et, avant même que le Web 2.0 soit devenu un phénomène de mode, j’ai toujours considéré la publication d’un livre de management (je n’ai le même avis pour un roman) comme un outil de marketing. C’est un CV en 250 pages, la PLV de l’expert, la brochure du conseiller… J’ai évoqué avec Malo cette idée selon laquelle, le livre n’est pas le produit final, mais simplement un outil de mise en marché comme vous le dites dans votre billet. La valeur ajoutée pour l’auteur ne réside pas dans les droits d’auteurs qui sont, pour notre marché francophone et pour les livres de management relativement faibles. L’édition d’un ouvrage, outre la satisfaction des besoins psychologiques de reconnaissance, de prestige, d’accomplissement et de partage de la connaissance, permet de faire vendre autre chose. Des conseils, des conférences, d’accroître sa réputation… je pense que les éditeurs n’ont pas encore saisi tout cela ou tout au moins ils n’ont pas encore su s’adapter pour fournir aux « auteurs » les services annexes qui leur assureraient un revenu complémentaire et aux auteurs un canal de mise en marché intéressant. Par exemple, les agents littéraires américains offrent souvent les services de « speaker bureau ». J’adore partager mes connaissances lors de conférences et cours, que cela soit à l’occasion de grands-messes ou de cours très pointus donnés pour des universités qui ont les moyens de faire intervenir des experts extérieurs à leur corps professoral. Pour tous ces cas, je suis prêt à verser une commission à un agent (pourquoi pas mon éditeur) qui interviendrait comme agent pour proposer mes services. Même chose pour une activité de conseil. En plus de la commission, cela lui assurerait également des ventes auprès de l’audience ainsi rassemblée.
De là à appeler cela, Web 2.0…. il y a un pas que je ne franchis pas. C’est simplement une évolution du marché de l’édition qui doit pouvoir saisir l’opportunité de la multiplication des auteurs.
Jean-Claude MORAND – www.cyberstrat.net
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