L’âge subjectif
30/05/2006
Lorsque l’on discrimine une population selon son âge, on utilise systématiquement la seule variable objective en sa disposition : la date de naissance. Toutefois l’âge chronologique d’un individu renvoie à une réalité extérieure à lui, et non à une vérité en concordance avec l’image qu’il se fait de lui-même. Ce qui explique, parmi toutes les imperfections liées à l’utilisation des critères sociodémographiques pour segmenter une population, la part importante de celles liées à l’âge, comme le soulignent d’ailleurs les études socioculturelles, sans toutefois y apporter de réelle solution.
Si l’on compare âge objectif – tel qu’inscrit sur nos cartes d’identité – et âge subjectif – l’âge lié à l’image que tout individu se fait de lui-même –, on constate toujours un phénomène de rajeunissement, du moins à partir d’une vingtaine d’année, les adolescents cherchant au contraire à se vieillir. Pourquoi ne pas alors considérer comme plus jeune que la moyenne tout individu dont l’âge subjectif serait inférieur à son âge objectif – un individu qui se vit plus jeune que ses contemporains, qui s’est créé une image de soi, une représentation mentale plus jeune que celle inscrite à l’état civil.
Nous le pourrions si tout le monde ne présentait pas la même tendance à tricher sur son âge – tendance très fortement majoritaire, même si certains cherchent au contraire marginalement à se vieillir. En moyenne, les Français se rajeunissent de neuf années, le phénomène s’amplifiant au fil des ans : les retraités se vivent 20 ans de moins* que ne le prétend leur extrait de naissance. Par contre tous ne se rajeunissent pas pareillement : ainsi, alors que les 35 à 49 ans soustraient généralement 8 ans à leur age, un quart d’entre eux – dénommés toniques par Bruno Schmutz et Denis Guiot dans leur étude – en retirent 17 : à 42 ans, ils considèrent donc n’en avoir que 25 !
Les différentes études consacrées à cette notion soulignent les fortes proximités attitudinales et comportementales entre individus de même âge subjectif : ainsi les toniques de l’exemple précédent (42 ans en âge chronologique, mais seulement 25 en âge subjectif) pensent, agissent, consomment comme des individus normaux de 26 ans (26 ans en âge chronologique, 25 en âge subjectif) : ils sortent nettement plus que leurs conscrits, voyagent beaucoup, s’intéressent à la mode, aiment tester les produits innovants.
« L’influence de l’âge subjectif sur la consommation a peu fait l’objet de recherches. Seuls des liens ont été mis à jour avec : la possession de véhicule 4X4 et d’ordinateurs individuels, l’utilisation de nombreuses cartes et de services bancaires, la pratique de sports en gymnase-club » reconnaissent les auteurs.** Peut-être est-ce dû à ce que les principaux chercheurs à se saisir du sujet en termes de marketing ne s’intéressaient qu’à une frange assez faible de la population, bien qu’en pleine ascension, et riche, ce qui ne dénote évidemment pas : les seniors. Une population assez mal connue, souvent méprisée, en faveur de laquelle médias et agences de communication déploient de vastes efforts pour convaincre les annonceurs.
Par contre, aucun réel travail approfondi sur les autres tranches d’âge : le besoin n’apparaissait pas si criant, aucun support, aucun publicitaire n’ayant besoin d’un bâton de pèlerin pour persuader ses clients de s’adresser aux moins de 50 ans, bien au contraire. Les jeunes sont choyés parce que dynamiques, porteurs d’avenir, leurs aînés le sont parce que disposant de meilleurs revenus ; alors que les retraités sont l’objet de nombreux préjugés, comme si toute sortie de la vie professionnelle correspondait en fait à une sortie de la vie tout court.
Pourtant que d’enseignements pourrait nous apporter l’observation de ces gens dont l’âge subjectif se situe entre 25 et 35 ans, mais qui disposent déjà de revenus conséquents. Des individus qui ont passé la barrière fatidique de la trentaine – âge chronologique, s’entend, celui auquel les couples ont leur premier enfant et deviennent plus casaniers par la force des choses. Des parents qui vont s’équiper de téléviseurs grands formats et d’amplificateurs Home Cinéma dernier cri pour les longues soirées passées à la maison, mais également de baladeurs numériques parce qu’ils bougent beaucoup, et de systèmes de navigation GPS dans leur voiture.
* Bruno Schmutz et Denis Guiot, L’âge subjectif, Séminaire IREP, 12 et 13 décembre 2001.
** Denis Guiot, Âge subjectif et segmentation des seniors, Décisions Marketing, Septembre-Décembre 1999.
1 commentaire
Merci pour cet article sur l'âge subjectif.
Au passage, concernant l'auteur principal, il ne s'agit pas de Denis Guillot mais de
Denis GUIOT, Prof à Dauphine.
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